Racines et Histoire de notre langue occitane par Louis Valès 1/4

Conférence de Louis Valès
mercredi 7 septembre 2011
par  Martine Astor

SOUS L’ÉGIDE DE LA SOCIETE D’ÉTUDES MILLAVOISES
CONFÉRENCE DE LOUIS VALÈS SUR LE THÈME

Racines et Histoire de notre langue occitane

Louis Valès

Louis Valès, félibre, s’interroge sur les racines de la langue occitane, et par contrecoup de la langue française, à la lecture de trois ouvrages : Les Rutènes (1948) d’Alexandre Albenque, Aux racines de notre langue (1990) de Cantalausa et Occitanie (1999) de Paul Castela. Il interroge l’archéologue sur les couches ethniques, le linguiste et homme de lettres sur les couches linguistiques, et l’historien et géographe sur la constitution de l’espace occitan.

La présente causerie repose sur l’étude des écrits de trois écrivains régionaux :
Albenque traite des populations anciennes du Rouergue et de leurs influences probables sur la mémoire des langues de notre petite patrie.
Cantalausa, dans une étude magistrale suit les transformations de la langue vulgaire employée en Gaule à partir du IIIe siècle pour aboutir à la formation de deux langues distinctes : la langue d’oïl au nord de la Loire et la langue d’oc au sud.
Castela résume l’histoire des terres occitanes depuis les premiers siècles jusqu’à la conquête de l’Occitanie par le royaume de France à la suite de la croisade des Albigeois.
Il décrit la différence fondamentale entre la rigueur religieuse féodale imposée au nord de la Loire et la civilisation occitane faite de tolérance, d’amour et d’acceptation de la diversité chantée par les troubadours.

Quand on aborde des études faites par de savants historiens, il est bon de rappeler à quel point l’interprétation que nous en faisons doit nous conduire à une extrême modestie de peur de ne pas avoir bien saisi tout ce qu’ils ont voulu nous transmettre, c’est-à-dire l’antériorité de nos racines occitanes.
Ces racines qui nous disent qui nous sommes et pourquoi nous avons des expressions qui nous sont propres pour décrire ce que nous ressentons.
Ces racines qui expliquent notre façon de vivre et de penser malgré l’influence centralisatrice du français et la fausse histoire de France qui nous fut enseignée à l’école, relayée aujourd’hui par la radio et la télévision.
Condenser en quelques pages un travail qui a demandé des années de recherches dans les archives anciennes avec toutes les difficultés pour en extraire le fait qui prouve l’authenticité des sources à une époque précise, un fait qui permet de suivre, avec le maximum de détails, l’évolution de l’histoire d’un peuple au cours des siècles qui nous ont précédés, pour arriver à notre époque où bien peu de compatriotes s’intéressent à leur passé occitan.
Pour nous, Occitans et fiers de l’être, c’est un plaisir et un devoir de rappeler cette histoire, notre vraie histoire.

Albenque : la mise en place du fonds linguistique

Comprendre d’où vient l’occitan nous oblige à remonter dans le temps car une langue a toujours délimité un peuple.
Voici ce que nous dit Albenque : « Nos lointains ancêtres nous ont laissé des peintures vieilles de 15 000 à 30 000 ans, mais l’écriture n’existait pas encore. Il est probable que parmi les noms de lieux qui existent encore aujourd’hui il y ait des racines que nous employons malgré les celtisation, romanisation et francisation successives au cours des siècles. Une langue ne se maintient que si son peuple a pu utiliser l’écriture. Les peuples qui n’ont disposé que de la transmission orale ont disparu ».
A partir de 1000 ans avant notre ère, des vagues successives de Celtes ont envahi l’Occident de l’Europe. Invasions plus ou moins pacifiques car seuls les « Caps barrés », ces antiques fortifications pourraient en témoigner. Les bandes de Celtes qui s’installèrent dans le Rouergue y trouvèrent des populations qui avaient déjà derrière elles un long passé.
Le soudain développement de la civilisation, à la dernière phase de l’âge de la pierre polie et la densité des traces d’occupation ne peuvent s’expliquer que par l’irruption d’un peuple nouveau, sans doute originaire des pays méditerranéens et qui devait appartenir à une race indo-européenne. C’est dans les Causses que ce travail de mise en culture des sols a été poussé le plus loin avant l’arrivée des Celtes.
La civilisation du bronze, introduite au début du 2e millénaire dans l’est de la France par les proto-Celtes venus de l’Allemagne du sud-ouest, paraît s’être propagée très lentement en Rouergue. Les invasions celtiques dans le sud du Massif central commencent dès la première période de l’âge du fer. La pénétration s’est faite en plusieurs étapes et elle s’est poursuivie jusqu’au milieu de la seconde période de l’âge du fer dite de la Tène, IVe et IIIe siècles avant notre ère.
La première période de l’âge du fer est dite de Hallstatt. L’installation des hallstatiens a dû provoquer beaucoup d’agitation ; c’est sans doute de cette époque que remontent les premières fortifications des Caps Barrés, qui étaient des refuges temporaires.
Au VIe siècle avant notre ère, des contingents importants partis de Bohème et de Bavière déferlent à travers notre pays et viennent occuper les plaines du Sud-Ouest jusqu’aux Pyrénées. Ces envahisseurs durent être très nombreux, la forte proportion des noms de lieux celtiques sur les plateaux albigeois est un indice significatif. Une dernière invasion eut lieu à la fin de l’époque de la Tène, au IIIe siècle. Elle semble contemporaine de l’installation d’une colonie de Volques, peuple fixé en Bavière et réputé pour sa richesse.
Les nouveaux venus, apparemment peu nombreux, se sont installés dans la plaine albigeoise, au milieu d’une population indigène déjà dense.
La mise en place des tribus celtes, de l’Auvergne à la Montagne Noire, a duré plus d’un demi-millénaire. Elles formaient un agglomérat de petits groupes détachés, dans la suite des temps, de formations plus importantes qui, au cours de leurs migrations avaient côtoyé la région ou s’étaient installés dans ses environs. Ces divers éléments firent leur unité en se mélangeant avec les autochtones. La fusion des deux populations était achevée bien avant la conquête romaine. Ainsi se forma le peuple des Rutènes autour de l’oppidum de Segodunum, au nom typiquement celte.
La Ruténie indépendante englobait l’ensemble des massifs et plateaux qui forment la transition entre le Midi méditerranéen et les montagnes du Centre.
Il est bien évident que les limites de cette région n’ont pas été tracées au hasard. Sa structure révèle que les Rutènes et leurs voisins Arvernes, Gabales, Volques et Cadurques ont procédé, non sans luttes sans doute, au partage judicieux des régions naturelles du Massif Central. L’installation celtique fut importante et les Celtes imposèrent leur langue aux indigènes.
Les Ibères venus d’Espagne au Ve siècle avant notre ère se sont avancés jusqu’au Rhône mais ont été refoulés dès le IIIe siècle sous la pression des Ligures suivis des Celtes.
Pasteurs à l’origine, les Celtes envahisseurs devinrent vite agriculteurs. Ils ont fondé des marchés agricoles, deux d’entre eux nous sont connus par la table de Peutinger, Condatomagos et Carantomagos (aujourd’hui Cranton).
Tout au plus pouvons-nous, en étudiant les racines de quelques mots, retrouver les traces de leur langue. Les Celtes n’avaient pas d’alphabet. De plus, il semble que les druides, leurs érudits, n’admettaient que la transmission orale et il a fallu attendre la romanisation de la Celtie, appelée Gaule par les Romains, pour trouver de très rares écrits en langue celte employant l’alphabet romain.
Mais plus de deux siècles avant notre ère les futurs pays occitans avaient été touchés, d’abord par les Grecs à Marseille et Agde et ensuite par la conquête de la Provence par les Romains, qui fondèrent cette Narbonnaise qui s’étendra jusqu’au pays des Rutènes et aux rives du Tarn.
Depuis les âges les plus lointains, il y a eu assimilation progressive des envahisseurs par les peuples indigènes, ce qui a entraîné une évolution continue de la langue initiale du peuple le plus nombreux.
La conquête romaine et la romanisation qui s’ensuivit a perduré six siècles en Occitanie et la langue latine est restée pendant plus de mille ans la seule langue officielle.
Pendant les guerres de conquête de Jules César, les Rutènes provinciaux, déjà sujets romains, participèrent à la guerre au côté des Romains, tandis que les Rutènes indépendants se joignaient aux troupes gauloises, mais dès la chute d’Alésia, ils se soumirent et ne soutinrent pas les Cadurques dans leur résistance désespérée.
Les Rutènes restèrent sous la domination romaine jusqu’à la fin du Ve siècle de notre ère. Dans le cadre de l’Etat romain, ils conservèrent leur personnalité et une large autonomie. Ils s’administrèrent eux-mêmes comme par le passé et le pouvoir resta aux mains de l’autocratie des grand propriétaires fonciers.
En ce qui concerne la future langue occitane, ce n’est qu’à partir du IIIe siècle qu’apparaissent quelques rares écrits en langue vulgaire, un latin bâtard employé par le peuple et les mercenaires à la solde des Romains.

Cantalausa : une langue unique se diversifiant

Prenons maintenant les écrits de Cantalausa.
Lui a étudié l’évolution des langues vulgaires populaires dans les Gaules pour aboutir à l’apogée de la langue occitane au XIe siècle. L’étude va de 400 à 1080.
Quand il s’agit de la naissance d’une langue, la période de gestation s’ étale sur plusieurs siècles. Il ne sera donc pas question, dans cette esquisse, de suivre la lente évolution des sons qui, de sons latins, se sont insensiblement transformés en sons de langue d’oc, puis de langue d’oïl.
Au VIIe siècle, le peuple comprenait encore le latin quoique bien altéré.
Dès le Xe siècle, la langue vulgaire des Gaules, qui, à l’origine, était la même, avec ses variantes au nord comme au sud, se diversifia de plus en plus avant de se transformer en deux dialectes qui, au siècle suivant, se transformèrent en deux langues : la langue d’oc et la langue d’oïl.
Mais des différences essentielles vont apparaître entre la Gaule du nord et celle du sud à cause des différences de degré ou d’ancienneté de la romanisation primitive : la Gaule du sud, plus précocement romanisée, absorbera plus rapidement les apports des Wisigoths.
En résumé, Cantalausa pense que l’usage de la nouvelle langue vulgaire gallo-romaine, née dans la Gaule du sud beaucoup plus tôt que dans la Gaule du nord, se répandit peu à peu au XIe siècle, non seulement dans toutes les Gaules, mais aussi en Grande-Bretagne et en Allemagne, en se dialectisant de plus en plus.
Cantalausa pense qu’au VIIIe siècle il n’y avait pas encore ni de langue d’oc ni de langue d’oïl mais une seule et même langue vulgaire écrite et parlée, mais plus parlée qu’écrite. Vers 1100, personne dans le peuple ne comprenait le latin.
Il revient aux origines lointaines. Il pense qu’à l’époque des grandes pyramides, notre pays était probablement occupé par des pro-Celtes dans le nord et par des Ligures au sud. Pour lui, le futur pays occitan doit avoir plus d’ancêtres ligures ou ibères que celtes.
En l’an 500 avant J.-C., l’historien grec Hécate de Milet parle pour la première fois des Celtes mais nous savons qu’il y eut plusieurs invasions celtes à partir de l’an 1000 avant notre ère avec domination certaine des Celtes sur la population indigène.
Mais après plusieurs siècles de romanisation, l’arrivée des Francs en Gaule va profondément marquer notre avenir.
L’installation des Francs en Gaule est signalée au IVe siècle. L’empereur Julien les a installés sur la rive gauche du Rhin de 361 à 363.
Les Francs parlaient une langue germanique que Cantalausa nomme le francique : c’était probablement du vieux allemand ou peut-être du vieux flamand puisque le pays des Francs était la Hollande actuelle. Le francique et le gallo-roman étaient deux langues très différentes qui durent se heurter violemment avant de se fondre en gallo-roman septentrional au détriment du francique.
Cantalausa étudie l’évolution du latin des premiers siècles et sa transformation en langue romane. Il pense que du IVe au IXe siècle, il n’y eut pour l’ensemble des Gaules, des Pyrénées aux bouches du Rhin, qu’un seule langue romane qui se serait diversifiée à partir du Xe siècle entre gallo-roman du nord et gallo-roman du sud. Il veut prouver la similitude d’évolution entre le gallo-roman du nord et le gallo-roman méridional.

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