2-Racines et Histoire de notre langue occitane 2/4

conférence de Louis Valès
mercredi 7 septembre 2011
par  Martine Astor

En fait, il oublie peut-être un peu trop l’influence du francique, langue de Clovis, langue officielle jusqu’à l’époque de Charlemagne. Les royaumes francs de Neustrie et d’Austrasie ne firent que des conquêtes en pays romanisés où se parlait une langue romane et non pas le francique, c’est ce que veut prouver Cantalausa.
Nous savons que la suzeraineté franque fut imposée par les évêques catholiques romains (dont la religion était prioritaire dans les Gaules à l’arrivée des Francs), ceci en vue de contrer les Goths ariens, donc hérétiques, installés dans la Gaule du sud de la Loire.
Suzeraineté franque plus théorique que réelle puisque seuls les évêchés du sud des Gaules furent rattachés à des évêchés situés dans les royaumes de Neustrie ou d’Austrasie.
Les seigneurs gallo-romains et goths se maintinrent pratiquement indépendants dans leur domaine en dépit des raids de pillages entrepris par les troupes franques dans le sud des Gaules, ceci pendant plusieurs siècles jusqu’à la conquête du roi franc Charlemagne, devenu ensuite le premier empereur germanique sacré par le pape en l’an 800. C’est ce que revendiquent avec raison les Allemands.
Dès l’époque de Charlemagne, le francique est la langue officielle de l’empire. C’est à cette époque que débute la différence entre le nombre des manuscrits en francique et qu’apparaît l’absence presque totale de manuscrits méridionaux. Ceci nous fera prendre conscience du début du génocide culturel qui sera infligé aux pays occitans par la croisade contre les Albigeois et par la guerre contre les châteaux qui furent pillés et leurs manuscrits brûlés. Les croisés de culture franque ne connaîtront pas l’occitan et considéreront ces écrits comme hérétiques.
Mais dès le VIIIe siècle la compréhension entre les Gaules du nord et du sud devait encore exister. La séparation entre le gallo-roman francique et le gallo-roman méridional ne se fera qu’au cours du Xe siècle.
« Les serments de Strasbourg » écrits par Nithard, petit-fils de Charlemagne, et conseiller de Charles le Chauve, sont un traité entre Louis le Germanique et Charles le Chauve, fils de Louis le Débonnaire : ils se promettent sous serment aide mutuelle contre toute entreprise de Clothaire, leur troisième frère.
Ils sont écrits en deux langues : Louis le Germanique et ses partisans s’expriment en langue vulgaire des Gaules ; Charles le Chauve et sa suite, en langue tudesque. « Les serments de Strasbourg » furent écrits en 842.
Cantalausa pense qu’il y avait encore quasi-identité entre les deux gallo-romans parlés en Gaule. Curieusement, Cantalausa dans ses traductions veut surtout se rendre compréhensible aux lecteurs français mais pas forcément aux occitans d’aujourd’hui.
Les textes qu’il cite sont très longs. Il s’agit surtout de textes religieux. Cantalausa les transcrit en entier, d’abord avec le fac-similé du texte initial en écriture médiévale très difficile à lire pour nous ; ensuite, il étudie minutieusement chaque texte. Il en extrait les termes traduisibles en langue romane septentrionale et en gallo-roman méridional pour prouver que les deux langues vulgaires parlées dans l’ensemble des Gaules étaient très proches l’une de l’autre et devaient être compréhensibles par tous, malgré les différences dialectales et d’accent inévitables.
Les deux langues ne se différencient effectivement qu’à partir du Xe siècle et évolueront ensuite en langues différentes se perfectionnant suivant les pouvoirs politiques de chaque région, français au nord de la Loire, occitan au sud.
Dès le Xe siècle, le roman méridional est devenu à peu près parfait et se lit en occitan actuel sans trop de peine.
Voici quelques textes étudiés par Cantalausa :
« La Passion de Clermont » a été écrite au IXe siècle. Déjà les termes occitans apparaissent, bien que l ‘écriture en soit fort différente de l’actuelle.
« Com el perveing a Betfage » on dirait aujourd’hui « coma arivet a Betfage ».
Le poème de Boèce a été écrit à la fin du Xe siècle, vers 950 : l’occitan déjà y prend forme dans la construction de la phrase.
« La Canson de Santa Fe » (La Chanson de Sainte Foy) est écrite au XIe siècle en provençal rouergat.
Dès le IXe siècle, la grammaire de cette langue vulgaire était déjà bien avancée.
Dans le cartulaire de Conques, écrit en mauvais latin, on trouve plus de 2000 mots indubitablement écrits en langue vulgaire (celle du peuple). Le cartulaire rapporte une bonne dizaine de chartes qui sont écrites, tout ou partie, en langue vulgaire. Déjà la langue vulgaire l’emporte sur le latin.
Dès 1115, il ne subsiste plus que des chartes écrites en langue vulgaire. Au XIIe siècle, « La vie d’Alexandre le Grand » se lit bien. Au XIIIe siècle, « La passion de saint Etienne » se lit parfaitement en occitan actuel. « La passion de Harley », vers 1130, est un très long texte facile à lire, c’est déjà l’occitan actuel.

Castela : La constitution, malgré sa diversité, d’un espace occitan au sud de la Loire

Nous passons maintenant à l’étude de Paul Castela dans son livre « Occitanie ».
Cette étude peut être divisée en deux parties :
- Celle que nous traiterons aujourd’hui nous parle de l’origine de la civilisation occitane à partir des influences subies au cours des âges, bien avant la conquête romaine et son évolution, liée à la romanisation précoce des terres de la future Occitanie. Ceci dura
500 ans jusqu’à son épanouissement au XIIIe siècle, suivi de sa mise sous tutelle par la conquête franque lors de la croisade des Albigeois.
- La deuxième partie, non traitée aujourd’hui, a trait à l’évolution de la culture occitane niée et amoindrie par l’imposition de plus en plus forte de la culture française jusqu’à l’interdiction de la langue d’Oc à partir du XIXe siècle et sa timide émergence aujourd’hui.

Voici donc cette première étude.
Le futur espace occitan s’est constitué progressivement par la consolidation agro-pastorale : introduction des meules méditerranéennes vers 6000 avant notre ère.
On identifie les premières populations de l’espace occitan à la fin du IVe millénaire en parlant des Ligures et Ibères. En fait, faire apparaître l’histoire connue vers 3000 ans avant J.-C. est une pure fiction. C’est vers 3200 qu’apparaissent les premières villes en Mésopotamie, Syrie et Egypte. Les civilisations qui ne connaissent pas encore l’usage de l’écriture sont dites protohistoriques. Pour la Méditerranée occidentale, la chronologie est la suivante : 3500 à 2000, l’âge du cuivre ; 2000 à 700, l’âge du bronze. A partir de 700, le premier âge du fer dit de Hallstatt et, à partir de 500, le second âge du fer dit de la Tène. Mais depuis la révolution néolithique jusqu’à la conquête romaine, la mise en place progressive des caractères spécifiques du futur espace occitan fonctionne déjà comme un carrefour des plus actifs.
Les Massaliotes, Grecs de Marseille, appellent les Romains à l’aide en 154 et 151 avant J.-C. dans le cadre d’un conflit local. Les Romains utilisent ce prétexte pour s’installer officiellement au-delà des crêtes alpines et fondent la colonie Narbonnaise en 120 avant J.-C. Jules César conquiert le restant des Gaules en 52. Les Gaulois situés au-delà de la limite septentrionale des territoires celto-ligures et celtibères sont soumis.
Les populations de la Narbonnaise, y compris les Rutènes provinciaux, participent aux conquêtes de César. Vercingétorix sera le héros glorifié par l’historiographie française de la fine du XIXe siècle dans le but de présenter la résistance gauloise comme une préfiguration de la Résistance française. Idem pour Jeanne d’Arc, inconnue par les historiens de Louis XV et réhabilitée par Lavisse et l’Eglise qui en a fait une sainte… en 1920.
La Narbonnaise devint en peu d’années l’exemple magnifique d’une civilisation qui provoquait l’admiration et l’envie des tribus celtes, ce qui allait faciliter la promenade victorieuse de Jules César, malgré le soubresaut du roitelet arverne dont nos jacobins ont fait le premier héros national.
La Narbonnaise enveloppa bientôt tout le sud de la Celtique, baptisée Gaule par les Romains, avec des villes superbes comme Aix, Nîmes, Marseille, puis Bordeaux et Lyon.
Le nord des Gaules mit plus longtemps à se romaniser car il fut plus tôt et plus souvent envahi par les peuplades germaniques, d’abord migrantes comme main-d’œuvre et pourvoyeuse de mercenaires bon marché, puis en peuples barbares pillant tout sur leur passage.
Il est probable que la première disparition de Condatomag vers 260 soit le fait d’une invasion d’Alamans. Cependant les futurs pays d’Oc furent un peu moins soumis à ces invasions périodiques. Vers 350, les Vandales déferlèrent en hordes sauvages sans s’arrêter, pour se fixer dans le sud de l’Espagne en Bétique qui deviendra ensuite Andalousie et ensuite en Afrique du nord.
La grande crise qui secoue l’empire Romain au IIIe siècle, présentée souvent comme le début de la décadence de l’empire, marque au contraire un renouveau avec des réformes politiques majeures. L’ordre est rétabli par Dioclétien qui crée la tétrarchie et l’économie redevient prospère .
En ce qui concerne la future Occitanie, la célèbre liste de Vérone établie au début du IVe siècle, fait apparaître une future Occitanie parfaitement dessinée : ses contours sont ceux du diocèse de la Viennoise comprenant les provinces de la Viennoise, de Narbonnaise première, de Narbonnaise seconde, de Novempopulanie, d’Aquitaine première, d’Aquitaine seconde et des Alpes maritimes. Cela signifie que dès le IVe siècle la Loire est perçue comme une limite fondamentale. L’an 395 marque la division de l’histoire méditerranéenne. La notion d’empire garde toute sa cohérence. Le futur espace occitan, loin d’entrer dans les temps obscurs, prolonge de façon remarquable la richesse des siècles antérieurs dominés par la civilisation romaine. La négation de la réalité occitane repose en partie sur l’ignorance de cette époque où, justement les futures terres d’Oc se distinguent des régions situées au-delà de la Loire.
Le monde romain perdure en grande partie grâce à l’action des Goths qui s’établissent sur le futur espace occitan dès le début du Ve siècle. La diversité des invasions barbares varie avec l’identité de ces peuples. Le peuple qui nous intéresse, nous Occitans, fut le peuple goth, un peuple relativement civilisé et converti au christianisme arien par l’évêque Ulfila de 311 à 383. Ulfila était goth de naissance ; il avait traduit la Bible en langue gothique.
Ce peuple avait été chassé de ses terres par un vrai peuple barbare, les terribles Huns. Les Goths furent accueillis par l’empereur d’Orient lui-même favorable à l’arianisme. Ils le furent également par l’empereur d’Occident au titre de mercenaires de l’Empire. Mal lui en prit : les Wisigoths pillèrent Rome qui n’était même plus la capitale de l’Empire. Pour s’en débarrasser , l’empereur les envoya en Narbonnaise puis en Espagne.
Ils créent le premier royaume de Toulouse, vers 418.
Sous le règne d’Euric (466–484), les Wisigoths étendent leur contrôle de la Loire au-delà des Pyrénées. Ils occupent l’Auvergne en 475 et la Provence en 478. Les limites du royaume de Toulouse correspondent de façon très nette au futur espace occitan qui est désormais une entité cohérente aux yeux des grandes puissances.
Mais les Goths amenaient une nouvelle division avec l’arianisme ce qui allait les mettre en opposition avec l’église catholique romaine déjà bien implantée en Gaule. Cela va en faire la question religieuse essentielle. L’arianisme remettait en cause un ordre déjà bien établi par l’Eglise romaine solidement installée dans les pays du nord de la Loire et jusqu’à la vallée du Rhin. Au XIXe siècle, la vision catholique officielle reprise par l’historien Lavisse, sur de prétendues persécutions ariennes contre les catholiques romains est fausse.
En fait, la tolérance règne, chaque communauté vivait le christianisme suivant ses conceptions. Dans les territoires administrés par les Wisigoths, des comportements particuliers ont contribué à une forme originale de civilisation. La hiérarchie s’établit en fonction des mérites personnels plus que sur le rapport des forces. Il y a peu d’esclaves. Les femmes sont considérées à l’égal des hommes ; elles prônent la tolérance religieuse. L’arianisme des Wisigoths ne peut pas être retenu comme un facteur d’hostilité de la part du peuple gallo-romain majoritaire. Un des traits essentiels de la future civilisation occitane est déjà en germe : à savoir, la tolérance et l’acceptation des différences.
Voici qu’arrivent les Francs. Sur la rive gauche du Rhin et jusqu’à son embouchure s’était établi à demeure un peuple barbare réputé pour sa bravoure au combat et avide de conquêtes.
Le nouveau roi des Francs, Clovis est païen. Il mène depuis 481 une politique d’élimination des autres chefs francs. En 486, il bat le général romain Syagrius qui s’était taillé un royaume en Gaule sur les terres entre Somme et Loire. Clovis bat les Alamans et annexe leurs territoires sur la rive droite du Rhin. Il échoue contre les Burgondes puis se réconcilie avec eux en épousant Clotilde, nièce du roi Gondebaud. Elle est catholique et incite Clovis à se convertir.

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