JACQUES ASTOR : Le nom de Millau à la recherche de ses racines -1/3 -1-

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vendredi 27 mai 2011
par  Martine Astor

Conférence donnée par Jacques Astor le 25 février 2011 à 18 heures 30 sous l’égide de la Société d’Etudes Millavoises, au CREA.

Jacques Astor : Conférence Le nom de Millau à la recherche de ses racines (photo Martine Astor)

- 1 ère partie
- 2 ème partie
- 3 ème partie

Le nom de Millau a fait couler beaucoup d’encre. Depuis « mille eaux » jusqu’à Emiliavu en passant par Mediolanum les hypothèses se sont succédé, tout au moins à l’époque des grands frémissements intellectuels où le pire côtoyait le meilleur.
L’hypothèse Amilius / Aemilius a fini par satisfaire le plus grand nombre et les Dictionnaires de toponymie se sont fait l’écho de cette solution qui en fait, à y regarder de plus près, est consentie au prix d’une mise entre parenthèses d’un mode de dérivation peu habituel pour un nom d’homme latin fût-il porté par un Gaulois : le suffixe -avum. Pourquoi Amilius se serait-il fait une spécialité, et lui seul, de cette suffixation gauloise ? C’est la question que posera le conférencier.
Cette question avait déjà été posée lors d’une conférence donnée le 14 septembre 1996, à la Salle des fête de Millau, lors de l’Assemblée générale du Cercle Généalogique du Sud-Aveyron.

  • C’est aujourd’hui avec de nouvelles données que le toponymiste peut aborder le problème et donner enfin une nouvelle racine propre à lester de manière plus équilibrée et plus sûre la mémoire interne du nom de Millau.

Notre propos, aujourd’hui, va consister à poser la question de l’étymologie du nom de lieu MILLAU. Et se poser la question signifie ne plus être en accord, le cas échéant, sur l’étymologie reconnue et indiscutée depuis des lustres parmi les toponymistes, de l’anthroponyme latin Amilius,

Hypothèses anciennes

Le nom de Millau a anciennement fait couler beaucoup d’encre. Jules Artières s’est fait en son temps l’écho de diverses hypothèses souvent fort ingénieuses. Reprenons les rapidement pour mémoire.
Une solution farfelue basée sur la prononciation « milo » donnait le français « mille eaux » pour évoquer l’abondance des eaux dans notre vallée.
Elle met l’accent sur les problèmes posés par le nom de notre ville aux locuteurs éloignés de nos horizons qui, de manière inattendue, ne lisent pas le « ill » comme on le lit pour « fille » ou « vanille » mais pour « ville » ou « mille ».
Ce serait donc pire encore si l’on avait lh graphie traditionnelle occitane inconnue du français et pourtant bien partagée dans la toponymie méridionale. Pensons à Paulhe, Drulhe, Noailhac et Vailhourles qui ne manquent pas, pour cette raison, d’être mal prononcés. Quant à Paulhan de l’Hérault dont parle Jules Artières, je suis désolé de vous apprendre que les gens de l’Hérault disent Paulan.
- On a pensé à Ab amygdalis « des amandes » par références aux amandiers qui, à époque passée, émaillaient les versants des causses. La réalisation de cette hypothèse n’aboutit en fait qu’à Ametlal > Amellau.
- Après le chemin des muletiers qui aurait abouti à quelque chose comme Muillons / Millons / Millous, je vous fais grâce de la suite car vous aurez compris que tous les avantages de Millau (les eaux, l’arboriculture, la voie commerciale avec le Midi et plus) vont y passer.

- Sera-t-on plus sérieux en s’adressant à l’histoire ? L’hypothèse Amilius / Aemilius est abordée mais pas sous l’angle linguistique dans le but de donner à Millau un illustre fondateur. On convoqua pour ce faire le consul Quintus Fabius Maximus vainqueur chez nous des Rutènes, des Arvernes au nord et des Allobroges au-delà du Rhône. Il aurait donné le nom de sa famille les Emiliens à notre ville de Millau qui aurait été une antique Emilianum.
Le problème est que ce dernier était de la famille des Fabiens et qu’il y avait confusion avec Quintus Fabius Maximus Aemilianus qui, 30 ans auparavant, était proconsul en Espagne et concluait une paix habile avec Viriate à la tête des Lusitaniens (Portugais). Il fallut abandonner l’idée d’un illustre fondateur.

- On abordera enfin une approche linguistique du toponyme avec l’abbé Rouquette qui envisagea un composé Mediolanum, composé de medio « au milieu » et lanno- « plaine » (plaine du milieu) représenté par le nom de Milan, en Italie. De sens peu clair, il paraît signifier « place centrale », « place de choix » pour désigner un établissement durable d’une population gauloise.
Le tribunal de Miejasolas (le milieu du fond de la vallée) où siégeait la juridiction réglant les différends entre les communautés de Creissels et de Millau, n’aurait pas dénoncé ce sens. Jules Artières à la suite de Lucien Massip, membre de la Société des Lettres et auteur d’articles de toponymie, a penché pour cette hypothèse.
Le malheur est que les produits connus du composé Mediolanum sont très loin de la forme Millau : il faut citer Méolans dans les Alpes-de-Haute-Provence ; Miolans dans la commune de Saint-Pierre-d’Albigny en Savoie ; ou bien encore Mioland de la commune d’Amplepuis, dans le Rhône.
Mais ad Fontem Milanum pour Millau de la commune de Pennautier dans l’Aude est bien là pour montrer que le rapprochement a déjà été fait au XIIIe siècle.

- La parole est enfin demeurée à l’onomastique en pleine possession de ses méthodes. Albert Dauzat, l’abbé Ernest Nègre et Alexandre Albenque ont adopté le nom d’homme latin Amilius / Aemilius pour des raisons purement linguistiques parce qu’il était donné par les formes anciennes et non plus par référence à un illustre fondateur.
Alexandre Albenque parle d’un obscur citoyen rutène. Nous parlerons d’un affranchi gaulois tenancier du domaine qui, comme cela était souvent le cas, avait pris le nom de la famille romaine qui l’avait libéré du statut d’esclave. Obscur mais pauvre pas pour autant puisque la villa gallo-romaine était un véritable village avec terres et habitants aux métiers très diversifiés.
Le nom d’AEmilius se retrouve en tant que nom d’affranchi devenu citoyen romain sur l’estampille de poterie de la Graufesenque : Q. (pour Quintus, le prénom) AEmilius.

Présentation d’Amilius  :

Selon Frank Hamlin, Amilius est une variante attestée d’AEmilius, anciennement Aimilius, rattaché au grec aimilos en tant que cognomen évoquant la douceur du caractère et connue avec la gens Aemilia qui donna des consuls célèbres.

Amilius est représenté aujourd’hui par la forme féminine Amélie (parallèle donc à Emilie) et par le nom de famille Amiel (parallèle à Emile d’introduction savante) connu dans les départements de la bordure méditerranéenne : l’Aude, l’Hérault, les Bouches-du-Rhône, le Var et à l’intérieur des terres : principalement la Haute-Garonne, le Tarn et l’Aveyron.

On rencontre assez couramment Amilius en tant que nom de tenancier gallo-romain (bien plus souvent « gallo » que « romain ») de villas qui se poursuivent de nos jours par des noms de communes ou des noms de fermes ou lieux-dits.

On peut citer , dans la commune de Servian (Hérault), le domaine d’AMILHAC où l’on observe le nom de personne Amilius dérivé avec le suffixe –acum hérité du gaulois pour désigner la propriété de quelqu’un, comme on aura plus tard –ariá pour la Martinariá, francisé en –erie : La Martinerie.
Le a initial s’est couramment maintenu en domaine d’Oïl où le –acum gaulois a donné –y en lieu et place de notre –ac, d’où les Amilly, noms de communes de l’Eure-et-Loir
et du Loiret,
et les lieux-dits Amilly de la Charente-Maritime
et de l’Orne
et les très nombreux Milly :
5 communes dont Milly-le-Forêt dans l’Essonne et Milly-La-Martine dans la Saône-et-Loire ; et 15 noms de fermes, hameaux et lieux-dits qui présentent l’aphérèse du a initial.

La chute du a initial :

En domaine occitan, le a initial a toujours été fragile et est le plus souvent tombé après mécoupure due à la confusion avec la préposition a ou avec l’article la. D’où les nombreux MILLAC anciens Amillac. Dans l’Aveyron, on peut citer
(avec lh) Milhac nom de hameaux des communes de Calmont-d’Olt, Villeneuve, Toulonjac et Moyrazès ;
avec ill Millac, hameau de la commune de Saint-Christophe-Vallon.
Il faut encore noter Lou Millac de la commune de Castelnau-de-Mandailles qui présente une interprétation de la mauvaise coupure La Millac masculinisée en Lou Millac.
Hors de l’Aveyron on peut citer les communes de Millac dans la Vienne,
Milhac du Lot,
Milhac d’Auberoche
et Milhac de Nontron dans la Dordogne
et 11 lieux-dits, fermes et hameaux.

Le nom de famille Amilhau, Milhau, Millau

Les noms de familles issus du nom de la ville se font le témoignage de ce phénomène d’aphérèse. On observe, au siècle dernier, plus d’une centaine de naissances sur le plan national sous le nom de famille AMILHAU (la forme avec 2 l a aujourd’hui disparu) qui est connue avec des effectifs à peu près semblables dans
l’Aveyron (avec foyers de fréquence à Taussac,
Brommat,
Mur-de-Barrez
et dans le sud-Aveyron à Réquista),
le Tarn,
le Tarn-et-Garonne
et prend en écharpe le grand Sud-Ouest.
Une forme AMILHAUD, moins connue encore (avec un d final analogique du suffixe –aud, celui de garrigaud « qui habite dans la garrigue », celui de dormiaud « dormeur »), est surtout présente dans le Cantal,
mais aussi dans l’Aveyron, particulièrement à Mur-de-Barrez en tant que variante de Amilhau.

Le nom de famille issu du nom de la ville a suivi le même sort : il a perdu son a initial.
La forme MILLAU, avec aphérèse du a et deux l, est modestement connue (un peu plus de 200 naissances pour toute la France) et a l’Aveyron pour département de référence avec des foyers de fréquence dans le sud-ouest-Aveyron : par ordre d’importance,
Saint-Affrique,
Belmont-sur-Rance,
Montagnol,
Brusque,
Millau,
Tournemire.
L’Hérault fait aussi figure de département d’expansion démographique pour les porteurs de ce nom.
On doit aussi compter le Lot-et-Garonne.

Mais la forme la plus connue (on peut presque dire 10 fois plus connue) est MILHAU avec lh : 1839 naissances sur le plan national.
Ce n’est plus l’Aveyron qui est, dans ce cas, département de référence mais l’Hérault en tant que département d’immigration.
Il cumule 511 naissances dont une bonne part enlevée à l’Aveyron qui, au 2e plan, en totalise 255 toujours localisées dans le sud-ouest-Aveyron
(Saint-Sever-du-Moustier,
Saint-Affrique,
Belmont-sur-Rance,
Millau,
Murasson).
Ces localisations montrent que l’expansion du nom de famille est départementale et déborde sur les départements environnants, en particulier l’Hérault. Il y a donc également, par contrecoup, des noms de lieux issus de ces noms de familles : La Grange de Milhau à Bessan, le Causse de Millau à Rouet, Milhau ferme en ruine à Laurens (sur la carte de Cassini), un autre Millau dans la commune de Pézenas, ne sont pas pris en compte dans notre recherche qui se base sur des formes assez anciennes pour exclure l’implantation d’un nom de famille ou bien sur une topographie des lieux fort parlante.

Les noms de familles avec d final analogique des nom et épithète en -aud : MILLAUD (avec 2 l) et MILHAUD (avec lh).
Absent de l’Aveyron, il est surtout connu sur toute la façade méditerranéenne : surtout Hérault et Bouches-du-Rhône, mais aussi Aude, Pyrénées-Orientales, Gard, Var, Alpes-Maritimes.
Un tout petit peu moins répandu (393 naissances pour 433) Millaud suit la façade méditerranéenne. Il faut voir, sur ces formes du XIXe siècle, l’influence de la graphie de Milhaud du Gard.

Et ailleurs, principalement dans la Vienne,
MILLAULT présente la variante –ault de –aut issu de la racine germanique waldan « commander ». Parmi les formes les plus rares, c’est encore ce patronyme qui, avec 60 naissances sur le plan national et 40 dans la Vienne, a encore quelque vitalité.

D’autres formes ont disparu ou sont proches de l’être :

ainsi de MILLAUT connu dans le Lot-et-Garonne et la Gironde, avec t final, variante du d
ainsi de MILHAVY, forme relatinisée en –i graphié y, et souvenir du –ius latin qui n’exista qu’à quelques exemplaires à Millau même.

Et le dérivé MILLAVÉS, francisé en MILLAVOIS, qui renvoie également au suffixe -avum ;

sans omettre le nom de famille MILLAUDOIS qui prend déjà en compte la forme fautive en -aud.

Voici donc, dans leurs grands traits, présentés les éléments dont nous disposons pour analyser le problème de l’identification de la racine.
Voici donc, dans leurs grands traits, présentés les éléments dont nous disposons pour analyser le problème de l’identification de la racine.


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