Le nom de Millau à la recherche de ses racines -2/3 -2-

vendredi 27 mai 2011
par  Martine Astor

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Les formes anciennes renvoyant à Amilius

Pour Millau, les formes anciennes Amiliavense (912), Amilianensi (1061), Ameliano (1079), in Amiliavo de 1079, Amiliano (1204), Amiliani (1249), renvoient à Amilius. Dans le Tarn, MILHAVET, commune du canton d’Albi située au nord-ouest de cette ville, donne une forme Amiliavo identique en 1261. Ce n’est que plus tard, au XVIe siècle, en 1585, que le toponyme se distingue de son homonyme aveyronnais, avec le -et diminutif de Milhavet : « le petit Millau ».
Quant aux formes anciennes en ancien occitan, elles nous sont de peu de secours : MILHAUD du Gard a une forme ancienne Amiliau de 1112, en langue romane qui ne nous enseigne rien de plus.
De même, la forme ancienne Melhau (1373) de MEILHAUD du Puy-de-Dôme est trop évoluée pour appuyer ou infirmer l’hypothèse Amilius / Aemilius approuvée aussi bien par le Dictionnaire des Noms de Lieux de France de Dauzat & Rostaing que par La Toponymie générale de la France d’Ernest Nègre.
Jusque-là rien ne vient troubler le bel ordre de l’interprétation par Amilius. Mais la discussion va s’instaurer, en premier lieu, autour du suffixe –avum.

Le suffixe -avus

Ce suffixe est peu répandu en onomastique latine et l’anthroponymie ne s’y ouvre qu’à Octavus où –avus est un suffixe numéral : le huitième ; il s’agir de l’ordre de naissance : le huitième enfant. Il l’est un peu mieux en onomastique gauloise. Il est présent dans quelques noms de tribus gauloises : les Vellaves (Celtes du Velay), leurs voisins les Ségusiaves (Celtes de Ségusie : le Forez), les Andecaves (Celtes d’Anjou), les Pictaves (Celtes du Poitou).
On relève quelques toponymes gaulois de la Table de Peutinger qui comporte Condatemagos : Pisavis (Salon-de-Provence),
Matavo, Matavone (Cabasse, commune du Var), porté Patavi sur l’Itinéraire d’Antonin.
Le Corpus des Inscriptions latines donne quelques noms dérivés en -avus : Iccavos, Itavus, Ivavus. Evaux-les-Bains rappelle le nom du dieu Ivavus.
Parmi les noms communs, on connaît surtout *kaliavo qui a donné l’occitan calhau « caillou ».
Et la toponymie de la France ne nous donne que quelques occurrences de noms dérivés en -avum, en tout une dizaine, où le radical parfois discuté, est bien souvent gaulois : par exemple Chatou dans les Yvelines, sur le nom d’homme gaulois Cattus (sur catto, combat).
Outre les dérivés du supposé Amilius / Aemilius, E. Nègre ne cite dans sa Toponymie générale de la France, pour le domaine occitan, que
ANTONAVES des Hautes-Alpes sur Antoninus > Anton(i)n- > Anton-,
et MARNAVES du Tarn sur Marinus > Mar(i)n- > Marn-, mais dont la latinité et la nature du radical est discutable.
En somme, si l’on en suit la Toponymie générale de la France de Nègre et le Dictionnaire étymologique des noms de lieux en France de Dauzat & Rostaing, il n’y aurait que Amelius pour faire exception pour notre bonne ville de Millau, pour Milhaud du Gard, Meilhaud du Puy-de-Dôme, Milhavet du Tarn et bien d’autres attestations toponymiques du nom de Millau.

Les notaires médiévaux, ceux que l’ont a accoutumé d’appeler les scribes en langage de linguistes, ont senti le problème en jugeant que le v était une mauvaise lecture du n :
d’où Amilianensi de 1061 à côté de Amiliavense de 912,
Ameliano (1079)
Amiliano (1204)
Amiliani (1249)
alignant ainsi Amelius sur le gentilice Aemilianus, le nom de la famille des Emiliens. Ce qui aurait donné Millan et non Millau.
On peut même observer le nom du domaine de Millau, dans la commune de Puisserguier, dans l’Hérault, pour lequel nous verrons tout à l’heure que la topographie des lieux (très caractéristique) ne permet guère de doutes, et qui pourtant a régulièrement présenté des formes anciennes depuis le XIIe siècle, le rattachant à Emilianus et aurait dû donner Millan. Ici comme bien des fois ailleurs, c’est la tradition orale qui a fini par avoir raison du problème alors que la tradition écrite continuait sur sa lancée.

Le problème posé aux greffiers médiévaux l’est toujours et encore aux toponymistes : pourquoi Amelius se serait-il fait une spécialité de cette dérivation rare et gauloise ?

Le recours aux formes anciennes

Lors d’une conférence donnée à Millau, lors de l’Assemblée générale du Cercle généalogique du Sud-Aveyron (14 septembre 1996, De Condatemag à Amiliavum), nous avons déjà exprimé ce doute et pensé alors le résoudre en voyant en Amiliavum un sens délocutif où le toponyme aurait eu un sens attaché à une locution gallo-romaine du type « le champ d’Aemilius » (la terre inaliénable, le terrain neutre ou bien encore le lieu de rencontre,...).

Mais à élaborer des hypothèses on court bien souvent le risque d’oublier ce que l’on a sous les yeux.
Et ce que l’on a sous les yeux est une forme ancienne du type Amiglavu donnée par de Amigliauvo en 1037 donc parmi les plus anciennes connues du nom de notre ville :
Millavensis de 874,
Amiliavense de 912,
Amilhau, Amiliau formes occitanes de 1061.

Rare dans la série des formes anciennes connues pour notre Millau, le type Amiglavu est omniprésent du XIIe au XIVe siècle pour MILHAUD du Gard, en alternance avec le type Amiliavu :

  • Amiliau, Amiliavum, 1112 ;
  • Ecclesia de Amiglau, 1156 ;
  • Amiglavum, 1161 ;
  • Amilau, 1232 ;
  • Ameglavum, 1245 ;
  • Milhavum, 1325 ;
  • Ameglavum, 1384 ;
  • Meillau, 1435.

Et l’on va rencontrer une forme ancienne de ce type pour un lieu qui va être plein d’enseignements pour nous, appelé Saint-Geniès-de-la-Millau, porté plus couramment Saint-Geniès sur la carte IGN (mais appelé ainsi par la carte de Cassini au XVIIIe siècle) et pour lequel, dans un compte rendu de la NRO n° 25-26, 1995, Raymond Sindou traitant de l’ouvrage La Langue gauloise de Pierre-Yves Lambert (1994) met en évidence, dans un manuscrit des environs de l’an 800, la forme ancienne Ameglado, à l’origine de LA MILLAU de Saint-Geniès-de-la-Millau, dans la commune de Belfort-du-Quercy, dans le Lot (canton de Lalbenque), sur la route entre Montdoumerc et Lalbenque. On reconnaît ici la mécoupure Amilhau > a Milhau déjà notée, à la faveur de l’apparition de l’article la : l’Amilhau > la Milhau > Milhau.

A noter qu’il existe le nom de famille LAMILHAU qui conserve le stade intermédiaire où le a initial a induit l’apparition de l’article élidé lequel s’est agglutiné au toponyme ici devenu nom de famille. Ce nom est peu connu et surtout centré sur l’Aude. Sans doute représentant l’un des 4 Milhau donné par l’abbé Sabarthès pour ce département.
Aujourd’hui Milhau évoqué par Saint-Geniès-de-la-Millau est un lieu-dit de la vallée du ruisseau de Lemboulas, à 2 km au sud-ouest.
Le site se distingue par une série de 3 îlots allongés entre les deux rives du Lemboulas : l’un (le plus petit : 200 m environ) au niveau de Milhau, l’autre le plus long (700 m) au niveau de l’ancien moulin de Doumenge et l’autre (500 m) au niveau du hameau de Pascalot.

Et l’hypothèse donnée par le toponymiste va tenir compte du nom du ruisseau de Lemboulas à restituer l’Emboulas, graphie de l’Amboulas avec ambe- / ambi qui est commun au grec, au latin et au celte avec des sens proches (c’est-à-dire « des deux côtés, autour ») et que l’on retrouve avec le nom d’Ambialet, commune du Tarn sur une presqu’île entourée par un méandre du Tarn, ou bien encore Ambès et Ambarès dans la confluence de la Garonne et de la Dordogne ; sans parler d’Ambert, ancien Amberitum (gué du confluent) dans la confluence de la Dore
Quant à la forme ancienne Ameglado, elle comporte ambe réduit à am que l’on rencontre avec le type Amalone de noms de rivières de l’Hérault : Lamalou avec l’article l agglutiné : le Lamalou, nom d’un affluent de l’Orb en amont de Ceilhe-et-Rocozels, dans l’Hérault et qui donne son nom à la ferme de La Malou ; et Lamalou, ancien nom du Bitoulet jusqu’au XIXe siècle, qui arrose Lamalou-les-Bains et Lamalou-le-Vieux, lui aussi affluent de l’Orb.
Avec rhotacisme du l (Amalon > Amaron), l’Aveyron a le ruisseau d’Amarou, affluent du Lot, coulant dans les commune de Montpeyroux - le Nayrac - Florentin-la-Capelle, appartient au thème hydronymique celtique *amalon-, sur am « autour de ».
Dans tous ces noms de ruisseaux ce ne sont pas les îles de leur lit qui est ainsi évoqué mais leur confluence avec le fleuve dont ils sont tributaires. Ceci à tel point que ambe celtique tout au moins à pris le simple sens de ruisseau par l’idée de confluence.

Mais revenons à notre Ameclado de Saint-Geniès-de-la-Millau.

Au point de vue phonétique :

  • - cl entre voyelles évolue normalement jusqu’à l mouillé avec sonorisation de c à g noté gli dans la forme ancienne Amigliavu mais le plus souvent noté gl ;
  • - le groupe -ado en position finale, donc atone, paraît être une variante avec suffixe celtique -ate à valeur ethnique (les habitants du ruisseau des îles) et n’a pas été continué par la forme actuelle qui aurait donné Milha (francisé en Mille).
  • -
  • Le type initial qui a abouti à Milhau avait -avum pour suffixe c’est donc à un type Ameclavu / Amiclavu que doivent se rattacher les diverses occurrences Milhau / Millau connues. Mais quelle réalité, dans leur multiplicité, recouvrent-elles en fait.

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