3 -Conférence Claude Lacombe 3/4

mardi 9 août 2011
par  Martine Astor

On a eu un peu tendance à dénigrer le travail de menuisier par rapport à celui d’ébéniste. C’est une erreur. La menuiserie demande des compétences un peu différentes de celle de l’ébénisterie mais elle est tout aussi valorisante. Dans le Traité pratique de menuiserie moderne, paru dans les années 1920, André Latelais dit dans son avant-propos : « La menuiserie n’est pas seulement un métier, c’est aussi un art, la diversité des travaux qu’elle comporte et dont certains sont d’une réelle difficulté d’exécution, exige de la part de celui qui en est chargé une solide formation professionnelle qui ne s’acquiert que par l’étude et l’expérience ».
Toujours au début du XXe siècle, dans notre région, les premières machines-outils ne sont pas encore accessibles à la majorité des artisans. Les toutes premières, fonctionnant avec la force hydraulique , ne peuvent être installées que dans des ateliers situés à proximité d’un cours d’eau ; pour les autres, il y avait la locomobile à vapeur.
Plus tard, avec l’apparition des premiers moteurs électriques, cette locomobile fournira, par l’intermédiaire d’une génératrice, l’électricité nécessaire. Tout cet équipement représente un investissement lourd et hors de portée du petit atelier. Il faudra attendre que la distribution de l’électricité se généralise pour que les artisans puissent enfin s’équiper. En attendant, une entraide s’établit dans la corporation. Les travaux mécaniques que les petits ne peuvent réaliser, par exemple les moulures, sont exécutés mécaniquement par le façonnier pourvu en machine, qui les vend au mètre à son confrère.

La deuxième raison est le dynamisme de l’industrie de la peau et du gant à Millau.

En ce début du XXe siècle, on remarque un grand changement dans la façon de se meubler.

1) A Millau, l’industrie de la peau en pleine activité, assure à la classe modeste millavoise un revenu qui n’est peut-être pas très important mais qui est sûr. La fabrication du gant fournit du travail à tous les membres d’une famille ; de plus, l’ouvrier gantier a le goût du raffinement. Il est élégant et très attaché à sa tenue vestimentaire, mais il est aussi soucieux de son confort. L’équipement en mobilier de son modeste logement est pour lui un investissement incontournable dont il se soucie en premier. La clientèle locale demande du beau mobilier à la mode et solide.

2) La diffusion des premiers catalogues édités par les grandes enseignes de la Région parisienne ou des grands magasins, met en valeur les modèles en vogue, incitant ainsi les consommateurs à se « bien meubler ». Certaines enseignes offrent même le voyage à Paris au jeune couple qui viendrait sur place, commander leur chambre à coucher. Cependant, cette publicité tapageuse n’eut pas l’effet souhaité. Ce fut plutôt le contraire qui se produisit, les clients régionaux préférant se fournir chez les artisans locaux dont ils reconnaissent la qualité du travail (à cette époque, un meuble est fait pour durer sur plusieurs générations).
Si Millau avait d’excellents ébénistes pour la réalisation du mobilier courant, il manquait une main-d’œuvre hautement qualifiée pour l’exécution de ces nouveaux modèles en vogue. Il a bien fallu que nos artisans de cette époque se forment à ces nouvelles méthodes, ce qu’ils ont fait, tout en conservant les fabrications à l’ancienne qui ont fait la preuve de leur solidité.
C’est le début d’un siècle d’intense activité pour la fabrication du meuble de Millau.

Henri Auziech

Vers 1890, Henri Auziech Père, natif de Canet-de-Salars exerce à Millau avec un de ses frères, le métier de sabotier dans une petite échoppe située à l’angle de la rue Peyssière et de la rue Droite. Ils utilisent des branches de bois de noyer pour la fabrication des sabots. Henri Auziech a très vite saisi l’opportunité de l’exploitation du bois. Il va dans un premier temps installer une scierie et développer le commerce du noyer. Par la suite, avec son fils Henri, ils installeront un atelier de menuiserie et de fabrication de meubles.
Au cours du siècle suivant, l’entreprise va se développer, ce qui donnera à Millau l’élan nécessaire qui permettra à la ville de devenir un centre réputé pour la fabrication du meuble. Il aurait été dommage que la région si riche en bois de noyer ne profite pas de cet avantage pour développer la belle fabrication de mobilier.
Au début du siècle, la clientèle régionale, bien informée par les campagnes de promotion faites par les fabricants des grands centres, est séduite par de nouveaux modèles.
Le style Louis Philippe, très apprécié à la fin du siècle dernier, est abandonné au profit de copies de styles Louis XV rocaille, Louis XVI et plus tard Henri II.

Buffet Louis-Philippe

Si la mécanisation favorise le développement de ces modèles, la fabrication requiert le concours d’excellents ébénistes, sculpteurs et tourneurs. Les artisans régionaux ont besoin d’un personnel compétent pour la réalisation de ces nouvelles fabrications. Ils font appel à des ouvriers, spécialistes en ébénisterie, des compagnons du tour de France et notamment des sculpteurs anciens élèves des Beaux-Arts afin de former sur place de très bons ouvriers.
Un des premiers sculpteurs sur bois fut Galino ancien élève des Beaux-Arts. Plus tard arrive Justin Prat, toulousain d’origine et lui aussi ancien élève des Beaux-Arts.
D’autres ouvriers et compagnons du Tour ont été formateurs et maîtres-ouvriers.
La vitalité de la profession incite des menuisiers et ébénistes natifs de villages voisins à venir s’installer à Millau.

On note par exemple :

  • Joseph Bru, fils de Justin, natif de Lapanouse-de-Cernon
  • Constance Lopez, espagnol d’origine et excellent sculpteur qui s’associe avec le Millavois Raoul Goth.
  • Urbain Gruat de Buzeins, ancien compagnon du Tour
  • François Lacombe, de Saint-Beauzély
  • Jules Pierrejean, de Montjaux
  • Victorin Privat, de L’Hospitalet-du-Larzac
  • Urbain Reynes, sculpteur, et Albert Hébrard de Villefranche-de-Panat
  • Jules Rieux, d’Escorneboeuf dans le Gers
  • Fernand Soulié, de Roubiaguet sur le Lévézou ;
  • Clément Vergonnier de Lapanouse-de-Cernon
  • On peut aussi parler d’un tourneur hors du commun : Joseph Oeller.

Ces artisans n’hésitent pas à embaucher des ouvriers compétents et aussi à envoyer leurs jeunes dans les grands centres afin qu’ils soient bien formés aux nouvelles fabrications
Dès cette époque, on distingue le menuisier qui fera tout travaux de menuiserie en bâtiment portes fenêtres, de l’ébéniste, qui, lui, se consacrera uniquement à la fabrication du meuble. La sculpture sera exécutée par un sculpteur.
Cette profession a voulu, par sa tenue, se démarquer du menuisier ébéniste. Certains travaillent au forfait pour un fabricant dans l’atelier de celui-ci ; d’autres, au contraire seul ou à plusieurs, pour leur propre compte dans un local privé, tout en formant des apprentis.
Les entreprises les plus importantes ont un atelier de sculpture avec un contremaître.



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