Martine Astor - Compte rendu "Sur les pas d’Alfred Merle et de Jean Carrière"

Des résistants rouergats - auteur Daniel Carrière
vendredi 16 septembre 2011
par  Martine Astor

  • La Société d’Études Millavoises a lu…..
  • Sur les pas d’Alfred Merle et de Jean Carrière
  • Des résistants rouergats
  • par Daniel Carrière

  • Un livre de « mémoire », aux plusieurs sens du mot mémoire : mémoire du cœur, celle des souvenirs qui restent gravés à tout jamais, et celle de l’histoire, celle qui raconte, qui cherche, pour donner sens aux faits et aux actions des hommes.
  • C’est d’abord la mémoire du cœur qui a poussé Daniel Carrière à écrire cet ouvrage ; parce que tout petit, (« je n’avais pas encore huit ans  »), il assiste, seul, à un événement qui va marquer et bouleverser toute sa vie : l’arrestation de son grand-père Alfred Merle par la Gestapo. Et toute sa vie, il va n’avoir de cesse d’essayer de comprendre, de chercher le pourquoi et les raisons de cette arrestation. Tout le livre est le déploiement de ce questionnement avec tout ce que cela implique de travail en profondeur, d’interrogations, de recherche de témoignages. « Que de temps et de patience faut-il pour réunir ces traces qui permettent de comprendre l’essentiel de ce que nos ascendants cherchent à nous transmettre consciemment ou inconsciemment de leur vivant et par-delà leur mort ! » Le résultat est à la hauteur du travail accompli. Daniel Carrière nous livre un ouvrage d’une rare authenticité.
  • Nous y voyons vivre presque au jour le jour une famille de la bourgeoisie protestante millavoise ; avec ses joies, ses peines, ses difficultés et ses problèmes à l’usine Buscarlet ( « … les gants noirs qui craquent, les Kislav qui gantent trop large, les chevreaux qui ne peuvent pas se vendre, les clients qui rouspètent, les affaires inexistantes, le chômage complet de l’usine, les pertes etc. etc. Toute la lyre ») , ses rapports avec le milieu protestant de l’époque, une certaine conception de l’éducation, l’amour de la musique avec par exemple l’achat du poste TSF pour l’écoute des concerts et les inoubliables leçons de piano des enfants avec mademoiselle Monservin…
  • Tous ceux qui ont connu – et ils sont nombreux – madame Jeanne Carrière (fille d’Alfred Merle, épouse de Jean Carrière et mère de Daniel, l’auteur de cet ouvrage) et sa si généreuse personnalité, auront plaisir à la retrouver et à la suivre déjà au départ de ses études, à Paris, et tout au long des événements de sa vie.
  • Certaines pages relatives à cette vie familiale sont d’une rare intimité et Daniel a consenti à nous les faire partager pour nous aider à mieux comprendre ce qui a pu motiver l’engagement de sa famille dans la Résistance .
  • Car ce mot de « Résistance » est au cœur de ce livre. Daniel Carrière rappelle la force de ce mot en citant le sermon de Charles Dombre au Musée du Désert, au lendemain de la Libération : « Aujourd’hui encore, les visiteurs de la Tour (de Constance) peuvent lire, sur une pierre le mot qu’elle y grava (Marie Durand) de la pointe de ses ciseaux, et ce mot simple et fier, victoire de l’esprit sur la force brutale, ce mot en lequel tant de Français au sortir des années que nous venons de vivre, reconnaissent et saluent leur propre devise, ce mot c’est Résister… Car ne vous y trompez pas : sous toutes les distinctions que l’on peut établir entre ce temps enfui et notre propre temps, il ne s’agit ici et là que d’une même chose : résister à une certaine conception de la vie – et secouer, par conséquent, le joug qui en résulte – d’après lequel l’homme n’a pas le droit de penser ce qu’il veut, de croire ce qu’il veut, d’aimer ce qu’il veut. Il s’agit de liberté de conscience…. »
  • La force de ce livre est précisément de mêler les souvenirs familiaux et les événements historiques en parallèle avec lettres et témoignages à l’appui. Avec une rare objectivité, Daniel Carrière a su nous dépeindre le visage et la personnalité de son grand-père. En citant le témoignage de Claude Bessière, il nous démontre comment les barrières sociales peuvent sauter quand il s’agit de conscience, de dignité et d’honnêteté.
  • Mais, à travers cette mémoire affective qui constitue l’épine dorsale du livre, Daniel Carrière nous révèle la mémoire de l’histoire et nous livre un véritable travail d’historien à travers les nombreuses recherches qu’il a effectuées au cours de nombreuses années. L’activité d’Alfred Merle dans les deux guerres, son engagement dans la guerre de 14-18 avec tous les détails de ses campagnes ; puis son action dans la Résistance depuis le commencement de sa révolte jusqu’à son arrestation et sa mort en héros et martyr.
  • Si tout le monde connaît bien le héros de la Résistance Alfred Merle, ne serait-ce que par l’avenue qui porte son nom, ce livre nous le fait découvrir dans toute son humanité et ses engagements.
  • Ce livre nous fait découvrir aussi une autre grande figure de la Résistance : celle de Jean Carrière, gendre d’Alfred Merle et père de Daniel, et nous décrit, grâce à ce long travail de recherche, tout le pan de son activité au sein de la Résistance en tant que chef de maquis sous le nom de Roland.
  • Grâce à des archives familiales inédites, il nous fait revivre toute la vie de ce maquis d’Aubrac dans toute son intensité et nous relate par le menu les batailles inouïes qui s’y sont déroulées : « … Soudain, le jeune capitaine Jean Carrière se dresse et, entrainant la pièce avec lui, va se poster au bord du plateau, donnant ainsi courageusement l’exemple à sa compagnie… »
  • Le mérite de Daniel Carrière est d’avoir mis en parallèle le portrait de ces deux héros de la Résistance : son grand-père Alfred Merle et son père Jean Carrière, de les avoir montrés, dans leurs différences mais aussi dans leur idéal commun ; et il faut remercier l’auteur de cet ouvrage de nous avoir légué ce témoignage si vivant et parfois si poignant car nous ne doutons pas que cette mémoire servira de guide sûr pour les consciences d’aujourd’hui et de demain, ébranlées par les crises économiques et morales de notre société moderne.
  • Le long et douloureux cheminement qu’il a fait pour retrouver et réunir ces traces n’a pas été vain et nous pensons que chaque Millavois devrait lire et méditer ce livre avec le respect et l’émotion dus, comme le dit Daniel Carrière en conclusion de son ouvrage, « à tous ceux et celles qui, par leur vie et leur sacrifice, ont su « résister » pour donner sens à leur combat ».

Martine Astor


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