Albert SIGAUD ◊ Quand il y avait des vignes à Caussibols

dimanche 12 février 2012
par  Martine Astor

Ateliers de la Société d’Etudes Millavoises

Quand il y avait des vignes à Caussibols

Nous donnerons aujourd’hui la parole à Albert Sigaud qui ouvre pour nos lecteurs le tiroir aux souvenirs de la maison de vigne de Caussibols.

La vigne d’Albert Sigaud, à Caussibols (photo Martine Astor).

Depuis des temps immémoriaux, les versants du Pays Maigre, chers aux Millavois, ainsi que le Causse Noir, étaient couverts de vignes. Chaque propriété possédait une maisonnette : « l’oustalou ». Certaines possédaient un étage. Le bas était réservé à la « tine », la citerne pour recueillir l’eau du toit, au foudre, au pressoir, aux barriques et vaisselle vinaire. Le haut, meublé, ô combien modeste, d’une table, quelques chaises et la cheminée.

L’intérieur de la vigne (photo Martine Astor)

1947 : A cette époque-là, existaient encore les tickets d’alimentation qu’il fallait retirer à la mairie, au début de chaque mois ; c’était un temps de disette où le troc était la seule façon de subsister. Je n’exagère pas. L’argent, dans ce domaine n’avait qu’une valeur toute relative.
Cette même année, mon beau-père, monsieur Léo Vincent, acheta une vigne dans le quartier dit Caussibols. Le propriétaire en était monsieur Auguste Verdier, sculpteur sur pierre, honorablement connu pour ses travaux ; il était Grand prix de Rome . Monsieur Verdier résidait à Millau, au 73 avenue Jean-Jaurès. Où habitez-vous ?, demandait-on . Aux Platanes ! Voyez la précision : Les Platanes, c’était un quartier de l’avenue Jean-Jaurès qui allait du pont de la Cabre à la barrière SNCF. Ne disait-on pas « la tannerie des Platanes » pour l’usine Jonquet ? Monsieur Verdier montait chaque jour à sa vigne avec son cheval Coco qui tirait la jardinière. Il passait la journée là-haut, ne redescendant que le soir.
L’achat de la vigne conclu, pépé entreprit la réfection du toit de la maisonnette. Chaque dimanche, on montait, en famille, à notre nouvelle propriété, où le nouveau patron ne manquait pas de nous occuper en permanence.


Pour monter à Caussibols à vélo, on partait de la route de Longuiers, aujourd’hui route du Causse Noir. On laissait nos bécanes aux Pompes, établissement aujourd’hui disparu qui était géré par le service des eaux de la ville. Nous montions ensuite, par un sentier assez raide, à notre propriété ; il fallait compter une demi-heure, car si on passait de bons moments, il n ‘en demeurait pas moins que le travail de la vigne exigeait du temps et des efforts soutenus.
La taille de la vigne, travail très important, s’effectuait de fin février à début mars. Tôt ou tard, rien ne vaut la taille de mars. Il fallait ensuite ramasser les sarments dits « manouls » que l’on groupait en fagots, qui étaient les bienvenus pour allumer le feu et faire des grillades. Cet exercice n’était guère apprécié, car le dos accusait vite la fatigue. Il fallait ensuite « descaouceller » (déchausser) c’est-à-dire nettoyer le pied de chaque souche pour enlever herbes folles et racines. Commençait ensuite le travail le plus pénible du vigneron : piocher entre les allées avec le « bigos », pioche à deux dents, ou la « harpe » à trois dents ; le travail devait se faire quand le sol était « de saison », c’est-à-dire ni trop sec, ni trop mou. Ah ! qu’au printemps la vigne était belle ! « bien peignée » dans le brun de la terre, et le vert tendre des feuilles. Cette vue me rappelait les Géorgiques du poète latin Virgile.

 Caussibols au temps des vignes, un jour de cerisiers en fleurs (coll. Albert Sigaud).

Les jours s’écoulaient. Pépé passait à travers les rangées pour voir si le mildiou ou tout autre maladie n’apparaissait pas ; dans ce cas le sulfatage était urgent.
L’été arrivait, augurant une récolte bien moyenne. Une quinzaine de jours avant le jour J, Ernest, pépé et moi, nous montions à la vigne, un coup d’œil aux grappes, et nos deux chefs décidèrent de vendanger le dimanche suivant.

(coll. Albert Sigaud)

Il fallait préparer futaille, comportes, barriques et paniers ; surtout le foudre, qui à lui seul, demandait des soins. J’étais le seul à pouvoir me glisser, tel un serpent, dans cette cathédrale du vin ; brassage intensif des parois, puis arrosage à la pompe à sulfater pour éviter le dessèchement des douves (planches de bois cintrées) ; mise en place de la trappe du bas munie du gros robinet. Dans la cuisine, fouloir mis en place, se trouvait une trappe en arquet, qui, enlevée, supportait un énorme entonnoir de bois qui reliait l’ensemble. Tout était prêt pour recevoir la récolte.
Le dimanche tant attendu arriva enfin. La troupe s’éclata dans la vigne, et les voilà à l’action : seaux pleins, seaux vides. Les grappes furent avalées par le fouloir glouton. Une ambiance joyeuse régnait avec les chants et les histoires. L’arrivée de nos femmes chargées des victuailles fut accueillie par des cris de joie. La longue table de bois de pin fut aussitôt occupée par assiettes et verres brillant au soleil. L’heure était aux agapes. C’était des moments de convivialité avec Ernest, Pépé, Mazel, Jules et toute l’assemblée. Le soleil, tout doucement déclinait ; il fallait penser à rentrer au logis après avoir vérifié que tout était en ordre.

Le foudre, dans la cave de la vigne (photo Martine Astor)

Le soutirage du vin intervenait quinze jours après la récolte. Les deux trappes du haut ouvertes pour évacuer le gaz dangereux, et l’on ouvrait le robinet qui laissait couler le vin couleur rubis. Aussitôt les verres culottés par de précédentes libations, se remplissaient de ce nouveau breuvage que l’on dégustait religieusement. C’était le vin nouveau . Le robinet ne coulant plus, on enlevait la trappe du bas pour en extraire le mou que l’on pressait (le vin de presse). Celui-ci était descendu à la ville chez le bouilleur de cru, rue Lucien-Costes. Le foudre était, quant à lui, nettoyé, fermé ; on replaçait la trappe tout en y glissant une plaquette de soufre qui conservait le bois jusqu’à la prochaine récolte. Les barriques remplies, les bondes bien enfoncées, le mystère du vin allait faire son œuvre.
Alors que nous partions de Caussibols, madame Faugère, qui habitait La Jasse, nous attendait d’un air coquin, portant une bouteille de gnôle et des verres : « Eh ! vous n’allez pas descendre en ville sur une jambe ! ». Joignant l’utile à l’agréable, elle nous servit une rasade d’eau-de-vie. L’effet fut immédiat : « Enlevez-moi les pierres du chemin ! » s’écria Jules. Il n’y en avait aucune ! La descente, en chantant, fut laborieuse. On arrivait sur la route de Longuiers, bras dessus, bras dessous. La route était à nous !... « Attention, il y a une auto ! Serrez-vous à droite ! » m’écriai-je. Je tirai vers moi mon voisin qui entraîna les autres… résultat : tout ce monde tomba dans le caniveau. Ah ! nous étions fiers… sous les quolibets des promeneurs du dimanche. Un peu dégrisés, nous fîmes notre entrée, assez discrète, dans nos foyers, où on se fit petit et assez fatigué.
Caussibols ! on te doit tant de jours heureux, tant d’images superbes ! Ceci, à travers le temps, ce grand régulateur de nos vies, et au souvenir de nos amis trop tôt disparus.

Albert SIGAUD
Janvier 2012


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