Le Pétassou de Trèves

lundi 16 avril 2012
par  Martine Astor

Conférence-rencontre sur le Pétassou de Trèves

Les conférenciers (photo Martine Astor)

de gauche à droite :
Katia Fersing, Simone Couderc, Régis Valgalier, Antoine Albinet,
Dominique Pauvert et Christine Escrament.

Le vendredi 23 mars, au CREA, devant une nombreuse assemblée, se sont rencontrés des habitants de Trèves (particulièrement Simone Couderc, Régis Valgalier et Antoine Albinet) et deux ethnologues spécialisés dans les questions relatives aux carnavals du sud de la France, Mme Christine Escarmant et M. Dominique Pauvert.
Promue et animée par l’ethnologue Katia Fersing (association La Tortuga) dans le cadre de son exposition à l’Espace culture de la Mairie, cette conférence-rencontre sous l’égide du collectif Société d’Etudes Millavoises, Amis du Musée de Millau et Archives Municipales, avait pour ambition de cerner les tenants et aboutissants de la tradition locale du Pétassou de Trèves.

Le Pétassou. Expo Katia Fersing à l’espace culturel de la mairie (photo Martine Astor)

L’un des mystères et non des moindres étant que ce rite annuel attesté depuis 1444, aux confins du Gard, de la Lozère et de l’Aveyron, est, de l’aveu de nombre d’anciens, inconnu à Millau qui n’est pourtant qu’à une petite heure de route de Trèves.
Les Trèvezains prennent la parole pour évoquer les faits et gestes de ce personnage carnavalesque. Il sort le premier dimanche de février en liaison avec la fête de saint Blaise ; toujours après, jamais avant. Cette année, la saint Blaise (le 3 février) a précédé de deux jours la sortie de Pétassou, le dimanche 5 février. Lui seul est déguisé. Un chapeau ou un foulard sur la tête, la figure cachée sous un masque, recouvert d’une tunique faite de centaines de bandes d’étoffe de toutes les couleurs (les pétas), un balai à la main, une vessie de porc sur l’épaule gauche, Pétassou monte sur la fontaine du village, et asperge de l’eau du bassin, à grands coups de balai, les fidèles sortant de l’église. Comme le décrivent Laurette Serra et Annie Chirac dans l’ouvrage Trèves et son énigmatique passé, Pétassou (dont on ne doit pas savoir qui l’anime) déploie une formidable énergie : « il bondit, virevolte, bouscule, fonce dans la foule qui l’acclame » et n’oublie surtout pas les jeunes filles qui poussent des cris de feinte terreur quand il les emporte dans sa danse.
Il n’est pas sans rappeler le mythe du réveil de l’ours sur lequel s’exprime M. Pauvert, lié à l’éclosion de la végétation au printemps, fête de l’ours que l’on retrouve dans les Pyrénées-Orientales, à Arles-sur-Tech et à Prats-de-Mollo. Dans le cadre de cette comparaison, Mme Escarmant précise la symbolique du souffle, du mouvement de la vie, représenté par l’air contenu dans la vessie de porc et que les participants essaient de percer. A la même symbolique se rattache le pet libérateur de l’ours sortant de son hibernation que l’on retrouve dans le nom de Pét(assou). Symbolique encore accrue par le balai qui, s’il nettoie le sol et soulève la poussière, brasse également l’air et le nettoie de ses particules impures.
Autour de cette symbolique, on retrouve ce personnage en Europe : Irlande, Allemagne, Moldavie, Pologne, Espagne, Afrique noire.
Les Trèvezains décrivent la collecte des pétas constituant la lourde tunique (entre tente et quarante kilos) de Pétassou : jadis annoncée dans chaque foyer avec les vœux présentés par les conscrits et aujourd’hui réduite à une simple collecte en un lieu public, en deux ou trois soirées.
C’est alors que les habiles mains des jeunes filles entrent en action pour découper des lanières, les lier en paquets et les coudre sur une blouse de maquignon. Les auteurs de Trèves et son énigmatique passé ne manquent pas de montrer la valeur propitiatoire de Pétassou : « A chaque lanière était dédié, autrefois, un poids moral, un souhait ou un vœu à la manière d’un ex-voto ».
Personnage carnavalesque, il exprime le pouvoir de la rue, le pouvoir de la jeunesse qu’il entraîne dans de folles farandoles au son de l’accordéon ou de peñas payés pour l’occasion. Ce pouvoir se traduit dans l’offrande de la fouace, maison par maison, en commençant par le maire, avec rétribution d’une obole, selon une pratique proche du passage de la pomme.
Cette jeunesse à laquelle appartient celui qui est sous la tunique de Pétassou (conscrit hier, membre du comité des fêtes aujourd’hui) est un contre-pouvoir religieux : l’aspersion de la foule autour de la fontaine est une parodie de la bénédiction du prêtre, et ce dernier n’a que la dernière part de la fouace portée de foyer en foyer. Relié au culte de saint Blaise patron des cardeurs et des tisserands, Pétassou au vêtement dilacéré comme le corps du martyr écorché avec des peignes à carder en fer, n’en est pas moins muet et, apparemment conserve quelque chose en travers de la gorge, indisposition habituellement guérie par le saint thaumaturge dont le nom signifie blaesus en latin, c’est-à-dire « bègue ».
Le contre-pouvoir civil et religieux de Pétassou est éphémère. Les participants trèvezains à la conférence-rencontre confirment que bourré de chanvre ou de paille, Pétassou devenait un mannequin promené sur une charrette, le jour de Mardi-Gras, et que raillé de tous, accusé de tous les maux, il était brûlé sur le pont de Trèves. Ses cendres étaient jetées dans le Trévezel aux accents de Adiu, paure carnaval / Tu t’en vas e ieu demòri (Adieu, pauvre Carnaval, Tu t’en vas et je demeure). Devenu bouc émissaire, il subissait le sort des rois de Carnaval. Aujourd’hui on ne le brûle pas, car la réalisation du costume de Pétassou coûte beaucoup de temps. Quand il a trop souffert des excès de la fête, on le rapièce, on le « pétasse », on le « rapetasse ». Mais quand il s’agit de le ranger, nul ne le garderait chez soi : objet de répulsion et de peur, il est déposé en un lieu public.
L’issue de cette fête se concrétisait par une collecte d’œufs et une omelette géante arrosée de rhum, partagée par tous les organisateurs de la fête du Pétassou.
Il faut remercier ces derniers d’être venus à notre rencontre le 23 mars ; il faut remercier les ethnologues qui ont scruté l’image qu’ils renvoient. De leur propre aveu, les Trèvezains du Pétassou n’ont jamais autant qu’à Millau, eu de si longues prises de parole. Et peut-être est-ce là un début de la connaissance du rituel du Pétassou en Rouergue.

Jacques Astor

La fontaine de Trèves (photo Martine Astor)

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