4 - Jean-Louis Esperce :Le chemin de l’école 4/4

Jean-Louis Esperce
mercredi 18 avril 2012
par  Martine Astor

Le chemin de l’école


C’est aujourd’hui que Jean-Louis Esperce enfant passe l’angle du boulevard de l’Ayrolle et se dirige vers le Collège des Garçons où il va cultiver une scolarité studieuse. Nos lecteurs devront, à n’en pas douter, attendre ses prochaines vacances scolaires pour se livrer avec lui au jeu de mémoire de la pelote aux souvenirs aux fils si tordus, enchevêtrés et encombrés de débris de toutes sortes, à force d’avoir été enroulée et déroulée sans fin dans tous les sens et en tous lieux. A très bientôt, monsieur Esperce !

Passé l’angle du boulevard de l’Ayrolle et le magasin « Au Louvre » dont je viens de parler, s’étalaient largement, comme aujourd’hui sur le trottoir, les escaliers du Tribunal que nous montions d’un côté pour les descendre de l’autre. Je ne savais pas, à l’époque, que cet entrainement me conduirait un jour à cet exercice quasi quotidien, à titre professionnel.

Le Tribunal (Photo Martine Astor).
(Photo Martine Astor)

En face, la papeterie Roussel, puis la bijouterie Barre et la boutique de Taurines, l’armurier dont le plus jeune fils fréquentait également le Collège. Après, s’ouvrait le grand bazar Baldy & Valez qui, plus tard, devint Monoprix.

(Photo Martine Astor)
La librairie Veyrier, ancien site du magasin Home & Co Art de vivre (Millau en images, p. 164).
Le Grand Bazar Baldy & Valez, ancien site du magasin Intersport (Un siècle d’images millavoises, photo 164).

Voisin immédiat, il y avait une boutique que nous fréquentions souvent puisqu’il s’agissait de la librairie Veyrier. Monsieur Léon Veyrier, figure millavoise, qui avait essayé une carrière artistique dans la musique et le chant, tenait là, boutique. Nous y trouvions livres et cahiers, plumes « sergent major », gommes « Mallat » et une énorme bousculade pour les achats de la rentrée des classes. Il était secondé par son épouse Lucie, assise derrière la caisse et par Roger Trémolet, répondant à toutes les demandes d’un patron tatillon et exigeant. Il prit la suite au départ de ce dernier pour cause de retraite. Séparé de ce magasin par une boutique qui devint un peu plus tard « Singer », il y avait le grand garage Gombert à l’emplacement de l’actuelle supérette alimentaire. A l’époque, le bâtiment ne comportait qu’un rez-de-chaussée avec de grandes vitrines dans lesquelles traînaient des pièces diverses, bielles, joints de culasses et même un gros phare à acétylène invendu de la période précédente, une relique en quelque sorte. Sur l’une des vitrines en lettres en relief blanches, semblables à de la porcelaine, on pouvait lire « English Spoken ». Je n’ai jamais su qui, de monsieur Gombert ou de sa sœur, pouvait parler l’anglais ! L’activité garage était complétée par la vente de carburant grâce à des pompes à main implantées en bordure du trottoir. A ce bâtiment s’attache pour moi une anecdote qui remonte à l’époque où il fut démoli par ses acheteurs, la famille Salgues, pour y construire l’immeuble qui existe aujourd’hui. Le garage, comme dit, était au rez-de-chaussée et la construction se terminait au-dessus par un toit-terrasse bordé côté boulevard par un garde-corps constitué de balustres tournés en pierre sur un socle du même matériau, l’ensemble coiffé d’une main courante en pierre elle aussi. Au moment de la démolition, ma mère avait pris contact avec les propriétaires et leur avait acheté l’ensemble de cette rampe, main courante, balustres et socle. Elle avait embauché un homme qui travaillait quelquefois chez nous, pour démonter et récupérer avec soin l’ensemble de ces éléments. Ce qui fut fait. Le but était de transporter ensuite le tout à notre maison de campagne où elle pensait remonter la rampe au-dessus d’un mur servant de soutènement. Le transport fut confié à monsieur Delmas dit « La Fourmi ». Le dimanche qui suivit, en arrivant sur place, nous avons découvert la balustrade soigneusement bennée, qui n’était plus qu’un tas de morceaux, dans lequel, après recherche, nous n’avons pu découvrir un seul morceau entier ! Cette rampe à balustres, qui était probablement en pierre d’Oppède en Provence, a fini tristement en remblai, ce qui, après tout, était son devenir final.

Le Grand Bazar Parisien, ancien site du magasin Spar. On observe, en haut du bâtiment, le garde-corps de balustres que la mère de l’auteur avait, en vain, voulu récupérer au moment de la démolition. On peut encore observer ce type de balustre surmonter la façade de la maison qui fait coin avec la rue Droite (mercerie)- voir photo ci-dessous - (Un siècle d’images millavoises, photo 165).
La balustrade de la maison Deltour/ angle rue Droite (photo Martine Astor)

Face au garage Gombert, il y avait un des dépôts de la quincaillerie Gnuva, dont les fils fréquentèrent également le Collège du boulevard de l’Ayrolle. Cet entrepôt s’ouvrait sur une large porte cochère qui donnait accès à des locaux très profonds dans l’immeuble. Ils étaient desservis par un chariot à plateau avec des roues en fer qui circulait à la force des bras sur des rails qui finissaient au bord du trottoir pour permettre la manutention facile de ferrailles dont il était fait commerce à cet endroit. Après la rue de la Liberté, le café qui a souvent changé de nom était à l’enseigne prémonitoire de « Café de l’Europe ». Ensuite, s’ouvrait la pharmacie Lafabrié dont le fils Paul était dans la même classe que moi. Je me souviens d’avoir vu Paul, un matin, arriver très en retard alors qu’il habitait à deux pas du Collège. Je crois que nous étions en classe de huitième, chez le bon monsieur Austruy. Il s’approcha du bureau du maître pour s’excuser de ce retard exceptionnel dû au fait que, dans la nuit, la famille s’était agrandie d’un petit frère. A côté de la pharmacie, il me semble que se trouvait avant le Café des Lilas, un marchand crépin.
En revenant de l’autre côté du boulevard, après le garage Gombert dont j’ai parlé, il y avait un petit magasin de coiffure pour hommes à la devanture bleu charron dont la fermeture, le soir, se faisait par une lourde porte de garage suspendue à un rail qui subsistait du précédent usage du local. A la place de l’actuel magasin Delon, on trouvait le bureau de René Bastard, correspondant et rédacteur pour Millau du Midi Libre. Petit homme rond et sympathique. Il connaissait tout le monde et tout le monde le connaissait, bien que non millavois d’origine. Il puisait beaucoup de ses informations aux comptoirs des bistrots de la ville, plus nombreux et plus fréquentés qu’aujourd’hui. A l’angle de la rue Droite, de grandes fenêtres servaient de vitrines à la mercerie Deltour qui ouvrait sa porte sur la rue. En face, l’épicerie Salgues qui s’agrandit sur place, au risque de menacer un moment la solidité de l’immeuble avant de grandir ailleurs au Crès et à l’Ayrolle, résultat du travail acharné de toute une famille.

(Photo Martine Astor)

Face au Collège, il y avait une autre librairie, la librairie Carrière, dont je crois me souvenir qu’elle était plutôt fréquentée par nos camarades protestants. Un peu plus loin, avant les établissements Château (beurres et fromages), s’ouvrait la traverse de l’Ayrolle qui débouche dans la rue Droite. A cette petite rue s’attache le souvenir de l’hiver de 1956 qui fut si froid que beaucoup de conduites gelèrent dans toute la ville. En particulier les maisons qui évacuaient leurs eaux usées dans des canalisations accrochées aux façades virent celles-ci se décorer de stalactites impressionnantes. Dans cette ruelle en pente les eaux s’étaient répandues sur la chaussée formant une magnifique patinoire que nous fréquentions en sortant du Collège en face. Mais malheur à celui qui perdait l’équilibre dans sa glissade et chutait sur cette glace qui emprisonnait les graisses et déchets évacués dans les éviers des maisons voisines. Ses vêtements s’en trouvaient maculés et odorants au point de contraindre le malheureux patineur à rentrer penaud chez lui en cherchant une explication pour éviter les remontrances familiales.

L’ancien Collège de Garçons (photo Martine Astor).

Après cette traversée de la ville, l’entrée du Collège se faisait par la belle porte qui ouvre sur le boulevard. Dans le couloir s’ouvrait à gauche, par une porte vitrée et un petit guichet, la loge du concierge. Celui-ci était impressionnant du fait d’une blessure à la face reçue pendant la guerre de 14-18, qui lui avait enfoncé la joue et lui laissait en permanence la langue sortie entre les mâchoires. Il fallait s’habituer à sa façon de parler pour arriver à bien le comprendre. C’était, passé le moment de surprise et un peu d’effroi des premiers jours, un très brave homme qui veillait sur nous, grands et petits. Il marquait la marche des cours et des récréations en sonnant la cloche de la cour. Souvent nous arrivions au Collège avec un peu d’avance sur l’heure de la classe, ce qui permettait aux amateurs de billes de jouer à un jeu que d’autres avant nous avaient peut-être inventé, à moins que nous en ayons été les initiateurs, jeu que nous appelions : les capitales. C’était le petit parvis situé entre l’église Saint-François et le petit jardin qui ornait la façade du Collège qui nous servait de terrain de jeux. Il fallait avec une bille prendre un maximum de trous de différentes formes et profondeur qui existaient naturellement entre les pierres du dallage. Curieusement nous jouions aux billes à Saint-François ou dans la cour du Collège plutôt l’hiver et à des jeux plus remuants comme le ballon, dès que le beau temps arrivait.
Ce périple à travers la ville a toujours mis ma curiosité en éveil et j’en garde encore aujourd’hui le souvenir. Mais l’essentiel reste l’enseignement dispensé à l’intérieur du Collège par des instituteurs et des professeurs qui étaient écoutés et respectés…
Cette promenade dans les rues d’un Millau qui n’est plus n’apprendra certainement rien aux nouvelles générations si ce n’est que notre vie était bien différente de la leur ; elle fera peut-être, chez les autres, renaître le souvenir de quelques bons moments.

Jean-Louis ESPERCE
Novembre 2011


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