MAI 2012 A L’ECOLE PEYROT

jeudi 24 mai 2012
par  Martine Astor

LE SIX MAI

Voici racontés par le Passejaire, les souvenirs d’un 6 mai. Beaucoup retrouveront tout ou partie de leur 6 mai d’autrefois.

Le 6 mai 2012, bd de l’Ayrolle (photo Martine Astor)

Tiens, voilà l’homme ! tu t’es levé tout seul aujourd’hui qu’il n’y a pas d’école ! les autres jours, il faut que je t’appelle plus d’une fois, mon garçon ! C’est ainsi que me reçoit mon père quand j’arrive pour déjeuner. Un baiser et Lucie, ma maman, me donne un bol de lait chaud avec du Phoscao et, d’un coup, la bolée est avalée ! Aujourd’hui nous sommes le 6 mai, le jour de la foire de Millau. Personne ne travaille ! pas plus les instituteurs que les ouvriers, les usines que les écoles : tout cela est fermé ! Ma sœur est là et m’attend ; elle est prête à partir avec moi et mon père. Il fait beau ; ce n’est pas comme à la Villotte où il t’a fait un orage ! une trombe d’eau… comme s’il voulait tout noyer ! Combien de fois (c’est ainsi), on a vu la pluie à Saint-Affrique et le beau temps à Millau… mystère…
Aussitôt, je mets mes vêtements pour aller faire un tour de foire. Mon petit frère restera à la maison avec ma mère ; il est trop petit pour venir avec nous.
« Il faut que vous soyez rentrés pour midi ! dit Maman. - Ne t’en fais pas, nous serons à l’heure ! » […]
Nous partons et commençons par le foirail où se trouvent quelques porcs et un âne. Sur le tour de ville, il y a des forains et il te faut faire attention : certains sont des coquins ! il y a de tout, je te dis, sur leurs tables, et tout cela n’est pas cher… qu’ils disent ! si tu cherches quelque chose, tu le trouveras… Il y en a qui ont des camions qui font boutique, d’autres qui se mettent sous un chapiteau et d’autres qui sont au beau milieu du passage. Un attroupement devant un marchand qui vend des montres. Si tu l’écoutes, il te vendra non pas une, ni deux, mais quatre ou cinq montres pour le prix d’une seule dans une boutique de la ville… Peu de gens reviennent avec une montre ; les affaires ne paraissent pas faciles… Ensuite, des cages et des oiseaux ; il y a aussi des poissons rouges. Mon père me dit que qu’il ne faut pas en acheter car ils s’appellent « courte vie ». Il a raison ; je ne veux pas un poisson, ni même un oiseau. Nous voulons, ma sœur et moi, un chien : ainsi, le chien mangera la soupe que nous ne voulons pas. Un autre montre des draps et, pour peu, il te donne tant et plus. On dit qu’après lavage, les draps ne seront plus que des mouchoirs ! et tu es joli avec ça… Il nous faut faire vite ; nous sommes attendus pour dîner et il nous faut être à l’heure. Nous reviendrons après dîner et aurons le temps de tout voir. Nous avons fait le tour de ville ; nous ferons les autres coins ce soir. Mais d’un peu plus nous manquions une curiosité : une quatre chevaux à cinquante mille sur la Place Nouvelle1 ! beaucoup de gens la regardent mais pas d’acheteur ! elle n’est pas très belle ; elle est un peu vieillotte, peuchère ! avant il n’y avait que des autos neuves pour le 6 mai ! eh bien maintenant, il y a des voitures d’occasion… il ne manque plus que ça… on aura tout vu ! et puis, une quatre chevaux : nul n’en veut ; ces choses ne valent plus rien ! tout juste bon à jeter aux orties… On voit des enfants qui mangent une pomme d’amour et qui sont plus rouges que leur pomme ! ils sont jolis ! […]
Après le repas,il y a beaucoup de monde à la foire… encore plus que ce matin ! Ils sont fous d’être venus aussi nombreux ! Faisons attention : il ne faudrait pas se perdre. Devant un grand camion, un attroupement. Je suis peu trop petit et pour voir quelque chose, il me faut passer devant . Le vendeur tient une pile d’assiette et fait son boniment : « pour quatre-vingts mille, je vous donne tout cela, les assiettes plates, les assiettes à dessert, les assiettes creuses, les tasses, les sous-tasses et seulement aujourd’hui , je vous donne pour le prix de tout cela, une soupière ! » Une bonne femme lui fait passer une soupière. « Vous le voulez ? qui veut le tout ? personne ne le veut ? ce n’est pas possible… vous êtes idiots ! eh bien… j’ajoute un plat ! qui veut le tout ? personne ? allons… pas pour quatre-vingts ? pas pour soixante-dix ? pas pour soixante ? donnez-moi seulement cinquante mille pour tout cela. Allons ! » Il attend, surveille tout le monde, répète « Seulement cinquante mille… allons… vite… quelqu’un le veut-il ? il n’y a personne pour en profiter ? vous êtes blasés de tout ! vous n’avez besoin de rien ? eh bien tant pis ! regardez ! si personne ne le veut … regardez ce que je fais ! »
Et tout à coup, il te jette par terre toute cette vaisselle. Un bruit, un grand boucan, et des tessons ! il te fait un grand tas de tessons !
Il est idiot cet homme ! plutôt que de continuer à baisser le prix, il a tout jeté par terre ! et il recommence ! la bonne femme lui donne une assiette et il en annonce une douzaine, plus une douzaine d’assiettes creuses, plus un plat et annonce : « Pas quatre-vingts mille, pas soixante-dix mille, pas soixante mille, seulement cinquante mille, et avec cela des tasses… tout un ensemble de vaisselle ! »
Une femme lui crie : « Donnez-moi tout ça ! ce n’est pas raisonnable ! il ne faut pas briser toute cette vaisselle ! tiens, vous avez-là cinquante mille francs ! vous pouvez compter… » Il te lui donne la vaisselle et recommence, il attrape les assiettes et recommence à bonimenter…
Mon père m’explique : « Tu as vu le type, il est très malin ! les femmes de la campagne préfèrent acheter que de voir briser la marchandise. Mais le type, lui, a l’argent. Il préfère l’argent à la marchandise ! » J’étais trop jeune pour comprendre comment faire pour vendre. […]
Pour avancer, ce n’est pas facile ! il y a tellement de monde. Il nous faut rester groupés pour ne pas nous perdre. Tonton Fernand nous dit qu’il y a un homme qui démarre un moteur de quatre chevaux après lui avoir jeté un seau d’eau dessus. Il nous faut voir cela… ce n’est pas possible ! Nous allons sur la Monte et, effectivement, nous voyons un moteur qui me semble être de quatre chevaux et un tas de papiers pour faire la publicité d’un produit qui fait des miracles ! Quand nous sommes un bon peu, le marchand nous doit que son produit fait démarrer les moteurs avec de l’eau. Il attrape un seau d’eau, le jette sur le moteur ! il est bien mouillé le moteur ; il a mis de l’eau partout ; et même sur le Delco (maintenant on dit l’allumeur, c’est ainsi…). Puis il appuie sur un bouton et le moteur démarre ! Il y en a qui demandent de la publicité et mon cousin Toutoune dit que s’il faut jeter de l’eau chaque fois que tu veux démarrer, ce n’est pas commode, et encore moins sur le Causse Noir ! il te faut traîner un paquet de bouteilles ! et l’hiver, quand l’eau est gelée, comment faire ? nous nous esclaffons…
Il est temps d’aller voir les autos ! le plus intéressant de la foire. Nous montons au Parc de la Victoire. Elles sont belles et de toutes les marques… ou presque… Il y a un bel attroupement pour regarder la nouvelle quatre chevaux que l’on appelle 4 L. Face à l’entrée, il y a un chapiteau avec beaucoup de monde. Allons voir cela ! Un homme (un costaud) soulève une quatre chevaux avec les dents ! on a payé pour voir et on est contents de le voir. Maintenant, il soulève la voiture avec les jambes, mais par-derrière, là où il y a le moteur ! je me dis qu’il importe peu à cet homme de crever : il n’a pas besoin de cric ! Après le cousin de Creissels propose d’aller examiner la fameuse 4 L. Elle est belle, mais je trouve qu’elle ressemble trop à une deux chevaux. Je n’aime pas cette auto ! pas de sportives… que des ordinaires…. Je suis un peu déçu. Je pense que Renault aurait mieux fait de présenter la Floride. Elle est plus belle. Ils n’y connaissent rien…

1. L’actuelle place Emma-Calvé.


Le 6mai 2012 à Millau, bd de Bonald (photo Martine Astor)


Lo sièis de mai

Le 6 mai 2012 bd de Bonald (photo Martine Astor)

Ten, l’as aquí lo tipe ! te siás levat tot sol uèi que i a pas escòla ! los autres jorns, cal que te sone mai d’un còp, fanton ! Aquò’s çò que me dis mon paire quand arrive per dejunar. Un poton e ma mamà Lucià me balha lo bòl de lach caud amb de Fòscaò e, sul pic, lo bolat es engolit ! Uèi sem lo sièis de mai, la fièira de Milhau. I a pas degun que trabalhe ! pas pus los regents que los obrièrs, las usinas que las escòlas : tot aquò es barrat ! Ma sòrre es aquí e m’espèra ; es prèsta per partir amb ieu e mon paire. Fa bèl ; es pas coma a La Vilòta, que te faguèt un auratge ! e d’aiga… se cresiá que voliá tot negar ! Mai d’un còp (es com’aquò), la pluèja per Sant Africa e lo bèl temps per Milhau… sai pas cossí se fa…
Lèu fach, me cargue los vestits per anar passejar sus la fièira. Mon fraire pichon demorarà a l’ostal amb ma maire ; es trop pichon per venir amb nautres.
« Cal que siatz dintrats per miegjorn ! dis mamà. - T’en fases pas, serem a l’ora ! » […]
Partissèm e començam pel fièiral ont i a qualques pòrcs e un ase. Sul torn de vila i a de mercands de fièira e te cal far atencion : n’i a mai d’un qu’es un estampaire ! De tot, te dise, sus lors taulas… e tot aquò es pas car… que disan ! se cercas quicòm, lo traparàs ! N’i a que an de camions que fan botiga, d’autres que se metan al tibanèl e encara d’autres que son al mitan del passage. Una tropelada davant un mercand que propausa de mòstras. Se l’escotas, te vendrà non pas una, ni doas, mas quatre o cinq mòstras pel pretz d’una dins una botiga de vila… Pas talament de mond torna partir amb de mòstras ; las afars semblan pas facilas… Aprèp, de gàbias e d’aucèls ; e i a tanben de peisses rojes. Mon paire me dis que cal pas ne crompar, que se sonan corta-vida. A rason, vole pas un peisson, ni mai un aucèl. Volèm, ma sòrre e ieu, un can : aital, lo can manjarà la sopa que volèm pas. Un autre te montra de draps e, per pas gaire d’argent, te balha mai que mai. Se dis qu’aprèp lavatge, los draps son pas que de mocadors ! e siás polit amb aquò… Nos cal far vite ; sèm esperats per dinnar e no cal estre a l’ora. Tornarem aprèp dinnar, e aurem lo temps d’agachar pertot. Avèm fach lo torn de vila ; farèm los autres costats per vèspres. D’un pauc mai, mancam una curiositat : una quatre chavals a cinquanta mila sus la Plaça Novèla ! i a de mond que l’agacha, mas i a pas cap de crompaire ! es pas talament polida ; es un pauc vielhòta, pecaire ! i aviá pas jamai que d’autòs nòvas pel sièis de mai ! ò ben, se ara i a d’autòs d’ocasion… manca pas qu’aquò… riscam pas res ! E puèi, una quatre chavals : degun n’en vòl pas… val pas res aquela afar ! podetz l’escampar dins un bartàs…
D’efants manjan una poma d’amor roja e ne son mai roges que la poma ! son polits !
[…] Après dinnar, sus la fièira, i a fòrça mond… encara mai qu’aqueste matin ! Son calucs d’estre venguts tant nombroses ! Fasèm atencion : caldriá pas que nos perdrèssem. Davant un camionàs, i a un atropament. Soi un pauc pichon e per veire, me cal passar davant. Lo vendeire te ten una pila de sietas e encanta : « per quatre vint mila, vos balhe tot aquò, las sietas, los sietons, las escudèlas, las tassas, las jostassas e solament uèi, te balhe pel pretz, ça que la, una sopièra que i fa passar una tipessa. O volètz ? cal lo vòl ? degun lo vòl pas ? pas possible… sètz inocents ! ò ben, ajuste un plat ! cal lo vòl ? pas degun ? anèm… Pas quatre-vints ? pas setanta ? pas seissanta ? balhatz me justament cinquanta mila per tot aquò. Anem ! » Espèra, susvelha lo mond, torna dire : « Solament cinquanta mila… anèm… lèu fach… i a qualqu’un que lo vòl ? i a pas degun per ne profitar ? ses tròp sadols ! avetz pas besonh de res ? ò ben, tant pièg ! agachatz ! se degun lo vòl pas… agachatz çò que fau ! »
E, sul pic, d’un còp, t’escampa tot’aquela vaissèla pel sòl. Un bruch, un brave espet, e de bocilhs ! te fa un brave molon de bocilhs !
Es nèci aquel tipe ! pus lèu que de baissar lo pretz, t’escampa tot pel sòl ! e recomença ! la tipessa i balha una sieta et dis la dotzena, mai una dotzena d’escudèlas, un plat e anonça : « Pas quatre-vints mila, pas setanta mila, pas seissenta mila, solament cinquanta mila et amb aquò, de tassas, tot un fotralh de vaissèla ! »
Una femna i crida : « Balha me tot aquò, falord, cal pas bresar aquela vaissèla, ten, avètz aquí cinquanta mila francs, podètz comptar ! » Te li balha la vaissèla et tornarmai, trapa las sietas e tornarmai la japa . . .
Mon paire m’explica : « as vist lo tipe ? es malinàs ! Las femnas del campèstre aiman mai crompar pus lèu que d’agachar lo tipe bresar la merça ! e lo tipe a l’argent, el. Aima mai l’argent que la merça ! » Eri tròp jove per comprene cossí cal far per vendre ! […]
Per avançar, quò’s pas facile ! i a talament de mond. Nos cal demorar agropats per pas nos perdre. Tonton Fernand nos dis que i a un òme que desamarra un motur de quatre chavals aprèp aver escampat un farrat d’aiga dessús. Nos cal veire aquò… es pas possible ! Anèm sus la Monta e, òidà, vesem un motur que me sembla de quatre chavals e un fotralh de papièrs per far la reclama d’un produch que fa un miracle ! Quand sèm un molon, lo mercand nos dis que sa potinga fa desamarrar los moturs, tanben amb d’aiga. Te trapa un farrat d’aiga, l’escampa sul motur ! es plan banhat lo motur ; a metut d’aiga pertot ; tanben sul delcò (ara se dis un alucaire, mas quò’s aital). Puèi, quicha sus un boton e lo motur desamarra ! N’i a que demandan de publicitat e mon cosin Totona dis que se cal escampar un pauc d’aiga cada còp que vòls desamarrar, quò’s pas aisit, encara mai sul Causse Negre ! te cal rabalar un fais de botelhas ! e l’ivern, l’aiga es gelada, cossí far ? espofiam !
Es ora d’anar veire los autòs ! lo melhor de la fièira. Montèm al Parc de la Victòria. Son aquí e son polidas totas las marcas… o a pus près totas. I a un brava tropelàs per agachar la novèla quatre chavals, que se dis la quatre L. Drech a l’intrada, i a un tibanèl amb un fais de mond. Anèm veire aquò ! Un òme, un balès, sosleva una quatre chavals pels dents ! avem pagat per veire e sèm contents de l’agachar. Ara sosleva la veitura amb las cambas, mas darrièr, ont i a lo motur. Me dise qu’aquel òme, s’en fot de crevar una ròda, a pas besonh de cric !


(Photo montage à partir d’un document de Millau en images, p. 294)

Aprèp, lo cosin de Creissèls dis qu’anèssem espeçunhar la famosa quatre L. Es polida, mas trove que sembla tròp una dos chavals. T’aime pas aquela autò ! I a pas cap d’esportiva… i a pas que d’autòs ordinarias… soi un pauc decebut. Pensi que Renault ariá mai valgut que metèsson la Florida. Es mai polida. I conoisson pas res…

Lo PASSEJAIRE

Le passejaire remercie ses amis de l’Ecole Claude Peyrot et ceux de Recaliu sans qui ces lignes n’auraient jamis vu le jour.


L’ECOLE CLAUDE PEYROT EST UN ATELIER DE LA SOCIÉTÉ D’ETUDES MILLAVOISES. Cet atelier se réunit chaque mardi de 16 heures à 18 heures au local de la SEM, 16 A, boulevard de l’Ayrolle.


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