1 ère partie - Jean-Louis Esperce : Souvenirs d’école

souvenirs d’école
dimanche 24 mars 2013
par  Martine Astor

Nous accompagnerons aujourd’hui un nouveau cycle de monsieur Jean-Louis Esperce nous faisant part, pour notre plus grand plaisir, des échos de son enfance millavoise.

La petite classe.

La petite classe

Je ne me souviens plus à quel âge exactement j’ai commencé à fréquenter l’école. Je pense que j’avais trois ans et demi ou presque quatre ans quand je connus ce moment si important dans la vie.
Ma mère m’avait inscrit à la maternelle de l’institution Marguerite-Marie dont le grand portail en fer s’ouvrait sur la rue de la Fraternité à cent mètres de notre maison.

Le premier jour fut un jour terrible.
Je crois me souvenir d’avoir pleuré lorsqu’il me fallut lâcher la main de ma mère pour permettre à la porte de se refermer.
Nous étions confiés à une religieuse que l’on appelait madame Andrée.
Je me souviens encore de son visage rond, de son teint clair, de ses yeux très bleus derrière de grandes lunettes à monture d’écaille. Son voile noir, souligné autour du visage d’une toile amidonnée blanche qui laissait rarement échapper quelques cheveux indécents, lui donnait une autorité que la bonté du regard ne lui aurait jamais permis d’avoir. Un important rabat blanc, amidonné lui aussi, venait cacher une poitrine généreuse. Par un cordon noir passé autour du cou pendait un crucifix en métal argenté retenu au rabat par une épingle de nourrice.
Elle m’installa, après m’avoir consolé en me montrant les autres gamins qui semblaient parfaitement à l’aise dans ce nouvel univers pour moi, à un banc face à un pupitre parmi les plus jeunes de la classe c’est-à-dire au premier rang.

J’ai le souvenir d’une très grande classe dont les fenêtres très hautes dans le mur donnant vers la rue de la Fraternité étaient par contre à un niveau normal coté cour où elles encadraient la porte.
Nous étions très nombreux, trente, quarante, peut-être plus. Les filles étaient dans la classe voisine.
J’appris très vite les règles de conduite de ma nouvelle vie.
Les travaux à la craie sur l’ardoise et la récréation dans la cour, véritable défoulement de cris et de mouvements désordonnés, étaient les points forts de la journée.

En arrivant le matin nous allions saluer madame Andrée. Elle se faisait embrasser sur la joue et je me souviens que je n’aimais pas trop ce cérémonial car je trouvais que si son visage était doux et sentait un peu le savon de Marseille, ses vêtements par contre avaient cette odeur de couvent qui baignait la plupart des endroits de l’établissement.
Le soir en quittant la classe il y avait l’au revoir sous la même forme.
Contrairement à ce qui se passe aujourd’hui nous étions tous assis sur des bancs en bois attachés au bureau en pente qui faisait face pour former des rangées bien parallèles face au bureau de madame Andrée. Dans l’angle droit de la classe par rapport à nos bancs une grande statue en plâtre peint, sur une console en bois fixée dans le mur à un mètre du sol figurait, je crois, la Vierge devant laquelle des vases accueillaient des fleurs que les uns ou les autres nous apportions régulierement pour nous valoir les remerciements et les compliments de Madame Andrée.

Dans cette classe j’ai appris à dessiner des lettres sur l’ardoise, à faire mes prières et à faire tous les jours un moment de sieste la tête posée sur les bras croisés sur le pupitre que facilitait la présence de grands rideaux noirs qui à cette occasion étaient tirés devant les fenêtres.
A ces quelques années s’accrochent quelques souvenirs joyeux ou tristes.
Pour aller aux cabinets, il fallait bien sûr demander l’autorisation en levant le doigt en direction de la maîtresse. Les plus petits y étaient conduits en groupe, se tenant par la main, et en compagnie de madame Andrée qui veillait à ce que tout se passe bien. Il fallait éviter les culottes mal défaites, les zizis peu ou pas sortis et les pipis qui mouillaient copieusement le vêtement avant de laisser tomber les dernières gouttes dans la cuvette à la turque.

Les cabinets étaient comme tous les cabinets d’école de l’époque, dans un petit bâtiment au toit à une pente, dans lequel s’ouvraient cinq ou six portes basses qui laissaient également un bon espace en bas. Notre intimité pouvait ainsi être surveillée par-dessus, voire par en dessous. Le bâtiment se trouvait dans une petite cour qui séparait les classes maternelles filles et garçons de la rue de la Fraternité et était appuyé au grand mur qui dominait la rue. De notre classe, pour y accéder, il nous fallait emprunter une porte ouverte dans une cloison en bois où s’alignaient les portes manteaux recevant nos manteaux à notre arrivée et nos tabliers à notre départ, cloison qui nous séparait de la salle où se donnaient quelques fois des représentations et qu’il nous fallait traverser pour accéder à cette petite cour et donc aux cabinets.

Je me souviens que ces cabinets furent pour moi et par deux fois synonymes de malheur.
Une fois où j’avais attendu l’autorisation demandée de me rendre dans ces lieux trop longtemps, je ne pus arriver à temps et je fis dans ma culotte en arrivant dans la cour. Ma situation était dramatique. Je sentais ma culotte pleine et l’état plutôt liquide de mes besoins les faisait s’écouler lentement le long de mes jambes répandant autour de moi une odeur épouvantable. Cette situation me fit éclater en sanglots d’autant que les deux ou trois autres gamins qui se trouvaient là se mirent à pousser des « Hi ! » de répulsions en voyant ma situation.
Je ne savais plus que faire. Les écoulements s’étaient poursuivis jusque dans mes chaussures et je redoublais dans mes pleurs, me frottant les yeux de mes deux mains, plus pour ne pas voir les autres que pour essuyer mes larmes.

Age sans pitié, certains témoins partirent en courant vers la classe en criant à tue-tête que j’avais fait caca dans ma culotte.
Quelques minutes plus tard je vis arriver madame Andrée et ne compris pas sur l’instant pourquoi elle était accompagnée par ma mère qui se précipita vers moi, m’embrassa, et me prit aussitôt en charge au grand soulagement de ma maîtresse à qui le nettoyage de ce genre d’accident, relativement fréquent dans une classe très nombreuse, incombait normalement.
Je ne savais comment marcher. J’allais lentement, les jambes écartées. Le retour jusqu’à la maison, pourtant toute proche, fût pour moi une longue épreuve pendant laquelle, baissant la tête et me cachant toujours les yeux du dos de la main que je ne donnais pas à ma mère, j’évitais de regarder les autres dans la rue croyant ainsi échapper à leurs regards.
Je fus débarrassé de ma malodorante culotte, baigné, lavé et soigné, car ma mère et ma grand-mère estimèrent, et je crois qu’elles avaient raison, que cet accident était dû à un dérangement intestinal passager.
C’est au cours du bain que ma mère me raconta comment elle était arrivée au bon moment pour me chercher. Elle passait dans la rue derrière le grand mur qui nous en séparait quand elle entendit des pleurs et des sanglots que son instinct de mère lui fit reconnaître comme étant ceux de son petit garçon en détresse. Elle se précipita et fut là au moment où j’avais le plus besoin d’elle.

A une seconde occasion, les cabinets me valurent quelques problèmes et me laissent aujourd’hui quelques souvenirs.
Comme la règle l’exigeait j’avais levé le doigt et avais demandé l’autorisation de m’y rendre, plus certainement par désoeuvrement que par besoin si j’en juge par ce qui suivit.
Mon besoin satisfait, je me retrouvai dans la petite cour avec un de mes camarades de classe qui s’y était attardé.
Généralement nous n’étions autorisés à nous rendre aux cabinets qu’un après l’autre et madame Andrée veillait à ce que les filles ne soient pas présentes quand les garçons de sa classe venaient dans ces lieux. La morale et les principes au sein de l’Institution avaient leur place partout et surtout là.

Ce jour-là, le hasard voulut que comme je l’ai dit je retrouvai un camarade de classe, et, alors que nous allions revenir à nos places, trois filles arrivèrent dans la cour.

Contrairement aux garçons elles avaient le privilège, qu’elles conservent souvent adultes, de venir en ces lieux à plusieurs.
Je ne sais si ce jour un diablotin nous inspira mais toujours est-il que nous commençâmes à taquiner nos camarades de l’autre sexe.
Ce fut d’abord pour les empêcher de rentrer dans les cabinets, puis le jeu prit un tour plus coquin lorsque nous nous mîmes à les poursuivre en essayant de soulever leurs jupes (déjà !). Le jeu aurait pu durer si leurs cris d’oiseaux effarouchés n’avaient franchis la fenêtre de la classe, ce qui provoqua l’arrivée de madame Andrée dans un grand déploiement de voiles noirs.

Des claques tombèrent et nous arrivâmes en classe, pas très fiers, tenus chacun par une oreille, accompagnés par la colère de notre religieuse qui devant tous les autres et pour leur plus grand plaisir nous flanqua une fessée sonore, sans toutefois attenter à notre pudeur.

Pour l’exemple, nous fûmes contraints de nous installer debout, chacun dans un coin de la classe, tournant le dos, les mains sur la tête. La punition dura longtemps et j’avoue qu’elle m’impressionna, bien qu’au bout d’un moment nous commençâmes à communiquer par des clins d’œil et des sourires entre coupables.
Le soir venu, et au moment où ma mère vint me chercher, je me précipitai pour dire l’au revoir habituel à madame Andrée qui me retint par l’oreille. Elle m’accompagna ainsi jusqu’au pas de la porte où m’attendait ma mère qui déjà marquait, par le regard, son étonnement, voire son inquiétude. L’oreille toujours bien retenue, je dus écouter le récit de mes exploits de l’après-midi, fait à ma mère.
Celle-ci après avoir tout entendu, se pencha vers moi pour me dire quelques mots de reproche mais je vis dans ses yeux qu’elle était plus amusée que fâchée et je lui en fus très reconnaissant.

Bien sur mon histoire de la petite classe ne se limite pas à ses épisodes vespasiens de ma vie scolaire. Je conserve aujourd’hui quelques autres souvenirs dont seuls deux d’entre eux méritent d’être racontés.
Un jour nous devions avoir la visite d’une autorité ecclésiastique dont je ne me souviens plus du rang, curé de la paroisse voisine du Sacré Cœur, archiprêtre peut-être, évêque je ne crois pas car je n’ai pas le souvenir d’un décorum suffisant à l’importance du personnage.

La grande salle qui jouxtait notre classe et que nous devions traverser pour accéder aux cabinets était, entre autre, destinée à ce genre d’événement. Elle comportait une scène et un grand rideau ainsi que de nombreux bancs permettant à une grande partie du pensionnat de s’installer pas très confortablement.

Ce jour là les sœurs avaient eu une idée que par la suite j’ai trouvée curieuse et qui consistait à habiller l’un des nôtres en curé avec surplis et chasuble à sa taille pour mimer un office. Je ne fus pas choisi car le condisciple qui eut cet honneur était plus grand et surtout enfant de cœur, ce qui lui donnait une compétence que je n’avais pas. Il était accompagné de ses propres enfants de cœur qui jouaient leur propre rôle. L’autel était dressé sur la scène et tous les présents, y compris au premier rang les autorités qui nous rendaient visite, trouvèrent la cérémonie réussie.
Je ne me souviens pas du nom des acteurs de cette mascarade mais je ne pense pas qu’il y ait eu parmi nous à l’âge adulte une vocation sacerdotale qui naquit ce jour-là même si l’on pouvait penser que commençant si jeune sa carrière l’acteur principal avait de grandes chances de terminer par le pontificat !

En dehors de cet épisode un peu particulier, l’institution Marguerite-Marie impliquait comme je l’ai dit, la récitation des prières en classe et un commencement d’éducation religieuse.
A ce titre nous étions invités, sans obligation, à nous rendre le dimanche avec l’institution et en rang par deux à la grand-messe à l’église du Sacré Cœur voisine. Pour cela, il nous fallait ce jour là arriver en classe où nous attendait madame Andrée vingt minutes avant l’office. Je crois n’avoir participé à cet exercice que deux fois pendant la durée de mon passage dans cette école.

Ma mère à qui dès le samedi j’avais fait part de mon projet m’avait bien sûr donné son accord et le matin elle avait tout spécialement veillé sur ma toilette et ma tenue. Je me revois dans mon joli costume du dimanche beige chiné, les cheveux bien peignés la raie tracée sur le coté du crâne, les chaussures si brillantes que je n’osais marcher trop vite de peur de les abîmer en me rendant à l’école, et pour compléter le tableau un joli bouquet de roses de notre jardin cueillies le matin même enveloppées dans un papier fleuriste de récupération pour offrir à madame Andrée.
Quand je pénétrai dans la classe, quelques garçons qui m’avaient précédé montraient par leurs jeux et leurs cris une habitude que je me surpris à leur envier.
Madame Andrée m’embrassa comme d’habitude mais me manifesta également plus de sollicitude que d’habitude car il faut dire que les effectifs étaient bien moins importants que les autres jours de la semaine. Elle installa mes roses devant la grande statue de la Vierge qui régnait sur la classe et me pria de venir jusqu’à son petit bureau installé face à nos pupitres Elle nota mon nom avec soin sur le cahier ouvert, à la suite de ceux qui m’avaient précédé, et puis, solennellement, elle me précisa que cette semaine j’avais mérité la Croix d’Honneur qu’elle épingla aussitôt au revers de ma veste.
J’avoue que ce bout de tissu rouge et la breloque qui le prolongeait me firent rosir de plaisir.
Ainsi décoré, nous arrivâmes en rang à l’église juste avant le début de la messe, après être sortis de l’institution par le grand portail de l’avenue Jean- Jaurès, et, conformément aux instructions reçues, silencieux et aussi un peu fiers, nous remontâmes l’allée centrale dans un ordre parfait, suivis par les élèves des autres classes c’est-à-dire les jeunes filles du pensionnat toutes vêtues de l’uniforme jupe et veste bleu marine, chaussettes et chemisier blanc avec leur petit chapeau sur la tête. Pas une plus élégante que l’autre.

J’assistais donc à la messe, recueilli, mais avec de temps en temps un petit coup d’œil sur ma croix d’honneur qui me faisait pécher d’orgueil.
Mon plaisir le plus grand fut cependant d’arriver à la maison ainsi décoré où je fis en sorte de garder mon costume le plus longtemps possible pour bénéficier du ruban rouge et de la croix.
A la fin de la semaine je rendis la croix à laquelle je ne trouvais pas le même pouvoir à partir du moment où elle était dans ma main.
Par la suite, je ne retrouvai cet honneur que le jour où je me rendis avec l’école à la Fête-Dieu, une corbeille garnie de tissus et de dentelles pendue par un beau ruban à mon cou, pleine de pétales de roses soigneusement ramassées dans notre jardin. La procession se déroula à l’extérieur de l’église avec tout le cérémonial que la religion catholique savait, à l’époque, donner à ses fêtes.
Je jetai au passage de l’ostensoir mes pétales avec enthousiasme.
Dès cette époque je sentis que la Croix d’Honneur n’était pas comme on voulait nous le faire croire la récompense du travail et de la sagesse en classe, mais le signe distinctif de ceux dont on marquait le nom dans le cahier comptabilisant nos pratiques religieuses. J’ai depuis toujours eu le sentiment qu’il y avait tromperie et je ne manifestai plus aucune envie d’aller à la messe pour être décoré, préférant la compagnie de ma mère et l’office de onze heures trente, moins solennel et donc beaucoup plus court que celui de dix heures.

La cour de l’école

Je quittai la petite classe de Marguerite-Marie connaissant quelques rudiments de lecture pour aller directement au Collège de garçons du boulevard de l’Ayrolle dans la classe de douzième de Madame Delous à la rentrée de Septembre.


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