2ème partie - Jean-Louis Esperce : Souvenirs d’école

dimanche 24 mars 2013
par  Martine Astor

Suivons aujourd’hui le jeune Jean-Louis Esperce dans l’apprentissage des matières scolaires et qui était aussi, il es vrai, celui de la vie.

En primaire au Collège : l’apprentisage de la discipline

Ma première rentrée au collège marqua un grand changement dans ma vie. Je quittai l’institution Marguerite Marie et la petite classe pour venir apprendre dans un établissement situé boulevard de l’Ayrolle, donc éloigné de chez moi, et dans lequel l’enseignement dispensé permettait de préparer in fine le baccalauréat. Le Collège dont la façade principale faisait suite à l’église Saint François était dans l’état où mon père l’avait connu avant moi et dans lequel elle se retrouve encore aujourd’hui.
Comme dit, en plus des classes secondaires de la sixième à la terminale il existait dans les locaux un enseignement primaire de la douxieme à la septième. Les classes de douxieme et de onzième étaient regroupées sous l’autorité de Madame Delous. C’est dans sa classe que je fus inscrit.
Quelques jours avant la rentrée, ma mère m’accompagna et je fis connaissance de ma maîtresse. Dés ce premier contact je sentis avec un peu d’angoisse toute l’autorité de Madame Delous qui s’exprimait par son physique et sa stature, par des yeux bleus assez froids et par sa façon de nous parler. J’appris donc que je commencerai l’année en douxieme mais si mon apprentissage de la lecture se déroulait normalement et si je maîtrisais la matière à la fin du premier trimestre ou au début du second je serais aussitôt inscrit en onzième.
C’est ainsi que commença pour moi l’enseignement primaire au Collège de Garçons de Millau.
A cette époque l’entrée des élèves se faisait par l’escalier et le grand portail en bois qui ouvre sur le boulevard de l’Ayrolle. La porte franchie un large couloir, sur lequel donnait à gauche la loge du concierge par une porte vitrée et une petite fenêtre avec guichet, conduisait à la Cour d’Honneur. Cette cour était plantée de grands arbres et de massifs bordés de buis taillés dessinant une allée principale qui conduisait au bâtiment central qui séparait ce premier espace de la grande cour de récréation qui faisait suite. Cette Cour d’Honneur était limitée à gauche par un autre bâtiment, partie intégrante du collège qui abritait en rez de jardin le réfectoire, et à droite par une partie de la façade ouest de l’église Saint François ajourée de quelques vitraux.
Le bâtiment central était traversé dans la continuité de l’allée de circulation de la Cour d’Honneur par un large couloir dans lequel sur la gauche s’ouvrait la porte donnant accès à la classe de Madame Delous, suivie d’un escalier de pierre pour servir les étages supérieurs. En face, et donc sur la droite, une grande porte double s’ouvrait, sur une ancienne chapelle devenue salle de gymnastique, appuyée par ce qui avait été le cœur à l’église Saint François. La façade ouest de l’église après avoir limiter la Cour d’Honneur servait dans la grande cour de récréation d’appui à un vaste préau bien utile les jours de pluie.
A l’arrière de la classe de Madame Delous et à sa suite dans ce bâtiment central le rez de chaussée était occupé par les salles d’étude aussi appelées « permanences ».
Notre classe était une pièce carrée de belles dimensions, avec des fenêtres ouvrant d’un coté sur la Cour d’Honneur et de l’autre sur la grande cour qui était notre cour de récréation.
Dés le premier jour et les premières heures nous apprîmes qu’il fallait s’aligner en rangs par deux dans la cour en silence avant d’entrer en classe au signal donné par notre maîtresse et attendre toujours en silence chacun à sa place l’ordre de s’asseoir. Nous étions assis comme à Marguerite Marie sur des bancs en bois solidaires d’un bureau plat ou en pente articulé par des charnières pour permettre d’accéder en dessous à un espace de rangement. Une partie de ce plateau restait fixe et comportait une gorge creusée dans le bois pour loger porte plumes et crayons. Sur la droite dans un trou rond se logeait un encrier en porcelaine blanche. Les générations actuelles ne peuvent découvrir ce genre d’équipement que dans quelques musées soucieux de présenter objets et traditions populaires ou bien parfois chez un brocanteur.

Dans la classe de Madame Delous la règle était qu’il ne fallait ni parler, ni laisser vagabonder son esprit au-delà des murs et de l’enseignement que dispensait notre maîtresse.
Mes progrès en lecture furent rapides et je pus ainsi accéder à la classe de onzièmes dés le deuxième trimestre.
Dans l’ensemble mes résultats étaient plutôt bons mais cette situation, on va le voir, n’éloignait de ma tête ni la vigilance ni la sévérité de Madame Delous.

Un après midi de printemps, alors que nous avions, suivant les ordres donnés, sorti nos cahiers pour y recopier à la plume et à l’encre la leçon faite au tableau, j’eus la maladresse de faire une très grosse tâche.

la tache

Je dus lever le doigt et avouer ma faute. Madame Delous vint de mon côté pour constater l’étendue des dégâts et me gratifia d’un traitement spécial sur celle de mes oreilles qui était à sa portée. Elle m’annonça en outre en punition une page d’écriture supplémentaire.
Je dus trouver la sanction injuste, ou au moins disproportionnée avec ma faute ou plutôt ma maladresse d’un instant, alors que les autres élèves autour de moi semblaient trouver la situation cocasse, si bien qu’instinctivement, et alors que ma maîtresse regagnait son bureau, je sortis la langue dans son dos, ce qui déclencha le rire de la classe et la volte face de l’intéressée qui ne put que constater l’outrage :
- « tu viendras en retenue Dimanche ! »
Je fus glacé d’effroi. Je savais ce que cela voulait dire, si la sanction en elle-même m’inquiétait, la réaction que j’imaginais aussitôt de mon père fut encore plus à l’origine de mon angoisse.
Cela se traduisit par des pleurs, des demandes de pardon qui restèrent sans aucun effet.
Le soir je rentrai à la maison le cœur bien gros.
Ma mère qui aimait s’asseoir à mes côtes pendant mes devoirs, quand la clientèle de mon père lui en laissait le temps, se rendit compte que quelque chose n’allait pas. Elle finit par me poser la question sous une forme affirmative qui ne me laissait aucune échappatoire possible :
- « toi, tu as fait une bêtise et tu as été puni ! »
En pleurant je lui racontai mon histoire et je sentis au ton de sa voix qu’elle trouvait la sanction un peu sévère, mais elle n’en dit rien. Elle se contenta face à ma détresse de me donner un peu d’espoir en me disant que d’ici Dimanche, si je me tenais bien et si je redoublais d’attention et d’efforts, ma maîtresse effacerait peut-être la punition.
Je fis donc ainsi et je fus attentif, discipliné et ma langue ne me servit plus qu’à répondre aux questions que l’on me posait.
Cette semaine là, Pierre, qui était devenu depuis le début de l’année mon meilleur ami, pour je ne sais qu’elle étourderie, se vit annoncer la même sanction : quatre heures de retenue !
Le Samedi après midi et alors que j’espérais que tout était oublié et que la clémence l’emporterait, le surveillant général vint dans la classe. Nous le saluâmes à son entrée en nous levant à nos bancs.
Une fois ce salut rendu, il appela mon nom et vint me remettre un petit billet de papier blanc en me précisant que demain Dimanche je devrai me trouver au collège, de neuf heures à onze heures et de quatorze heures à seize heures. Je devais également me présenter avec le billet signé par mes parents, et, pendant le temps de la sanction, je devais faire un devoir en punition.

Le billet de retenue

Pierre fit partie de la charrette et reçut le même billet et les mêmes explications.
Nous sortîmes très penauds. En nous quittant place du Mandarous le rendez vous fut pris entre nous pour le lendemain neuf heures.
Mon arrivée à la maison ne fut pas triomphale ! Ma mère, qui en secret avait certainement pensé que la punition resterait à l’état de menace, se trouva face à l’évidence son fils était collé Dimanche.
Mon père qu’elle se chargea d’avertir de la situation, fut terrible en me rappelant la règle qui voulait que toute sanction à l’école non seulement n’était jamais contestée à la maison mais était doublée ce qui me valait deux Dimanches sans sortie de la maison. En outre il me rappela qu’il n’avait eu pendant son passage au collège aucune sanction de ce genre et m’indiqua pour la première fois ce que mon frère et moi devions entendre souvent par la suite, que profession libérale il n’avait aucune situation à nous laisser en héritage et que dans le cas de résultats scolaires insuffisants ce serait l’apprentissage en mégisserie pour mettre ou sortir des peaux de l’eau toute la journée. A vous dégoûter des métiers du cuir !
Le soir, ma soupe avalée, j’eus droit à aller au lit sans autre commentaire.
Le lendemain matin, après ma toilette, j’enfilai sur ordre de ma mère mon costume du Dimanche, je pris mon cartable, le billet de retenue signé par mes parents, le nécessaire pour rédiger la punition et je partis pour le collège.
J’empruntai la rue du Sacré Cœur pour un parcours plus discret et l’heure assez matinale pour un Dimanche m’évita la rencontre de gens connus, à l’exception d’un monsieur que je ne connaissais pas, qui me demanda si je ne me trompais pas de jour avec mon cartable.
Je ne répondis pas.
Mon arrivée au collège se fit dans la discrétion. Le concierge, qui était une gueule cassée de la guerre de 14 et dont la langue restait perpétuellement hors de la bouche, m’indiqua en mâchant les mots qu’il me fallait me rendre à la première permanence.
Il s’agissait d’une très grande salle, qui comme dit, faisait suite à notre classe au rez de chaussée du bâtiment central. Elle prenait le jour elle aussi, par ses fenêtres dans la Cour d’Honneur et sur celle de récréation.
Ce qui frappait le plus c’était la porte que nous avions eu l’occasion de découvrir en jouant dans la cour de récréation. Elle était en bois massif avec de grosses planches bien jointives, sans moulures ni baguettes, avec une simple plinthe au fond et une petite imposte vitrée au dessus. Elle s’ouvrait largement sur l’étude en laissant en place une partie fixe de plus petite dimension.
Pour ajouter à cet aspect austère voire rébarbatif, le bois, que des générations d’élèves avaient marqué de leur canif, avait été peint il y avait certainement longtemps. Il paraissait d’une couleur indéfinissable allant du brun rougeâtre au gris suivant les endroits et les couches successives qui s’étaient superposées.
Bien des années plus tard après ce Dimanche, alors que j’étais encore au collège j’ai assisté à la disparition de ce bâtiment et donc à la disparition de ces portes sévères au cours des travaux de transformation et de modernisation de l’établissement.
J’étais donc à présent dans la cour, face à la porte de la permanence. Il n’y avait personne. Je n’avais pas rencontré mon ami Pierre, et tendant l’oreille devant cette porte je n’entendais que le silence.
J’étais inquiet.
Une forte toux venue de l’intérieur me confirma que j’étais bien devant la salle indiquée par le concierge.
Le cœur battant je frappai.
- « Entrez ! »
Le mot avait claqué.
Je me disputai un peu avec la poignée et je réussis à pousser le battant.
Je me souviens encore. Je fus tout d’abord frappé, venant de l’extérieur par le peu de clarté de la pièce et par sa dimension. Je ne voyais que des visages plus ou moins blêmes sur des blouses grises, et puis en face de moi ,sur une estrade derrière un bureau en bois celui qui m’avait dit d’entrer et que je compris être le surveillant. Par cette porte que je tenais ouverte une odeur indéfinissable s’échappait. Cela sentait la poussière, le moisi, la serpillière humide, le savon de Marseille, mais surtout la sueur, les pieds, les pets et l’encre.
Mon premier morceau d’humanité en pleine figure !
- « Pardon Monsieur, c’est ici qu’on fait la colle ? »
Je fus presque physiquement bousculé par le tonnerre de cris et de rires que ma question provoqua. Un souffle puissant sortit de toutes ces poitrines, alla s’amplifiant pour s’arrêter brusquement au bruit de la règle frappant le bureau sur l’estrade accompagné d’un retentissant :
- « Taisez vous ! »
J’avais provoqué sans y participer ce que j’appris, plus tard dans la journée, être une beuglante !
- « Toi viens ici ! Ferme la porte et assieds toi devant moi et ne bouge plus. »
Je fis ce qui venait de m’être ordonné.
Il y avait une place sur le banc qui s’appuyait avec son pupitre contre le bureau du surveillant. Je m’y installai.
Je remis le billet qui était à l’origine de ma présence là et on me demanda de faire mes devoirs.
Je me mis aussitôt au travail.
Apres un moment, me trouvant à l’abri du regard du surveillant du fait de la position de mon bureau contre le sien, j’osai regarder autour de moi.
Il y avait là des élèves de tous âges portant tous la blouse grise du pensionnaire, le plus souvent déboutonnée, laissant voir les vêtements du dimanche en dessous. Certains grands voulant marquer leur approche de la vie d’adulte marquaient leur différence en laissant quelques poils, dans une bataille en sous effectifs, sous le nez ou sous le menton.
Il y avait aussi, et je compris qu’ils étaient dans la même situation que moi à ce détail vestimentaire, ceux qui n’avaient pas de blouse et qui étaient collés. Intérieurement je m’étonnai de ne pas voir mon ami Pierre qui, pourtant s’était vu infliger, pour d’autres motifs, la même sanction que moi.
La salle, après la beuglante que j’avais provoquée, était calme, studieuse dans l’ensemble à part quelques chuchotement par ci, par là.
Mon voisin d’à coté, qui devais fréquenter le secondaire, me demanda en me souriant ce que j’avais à faire. Cachant par prudence ma bouche derrière ma main et me couchant sur le bureau, je le lui dis. Il me précisa en réponse, que si je voulais il pourrait m’aider.
Je trouvai l’offre sympathique et j’y répondis par un merci et un sourire.
Le temps passa. Pierre n’était toujours pas là. Je me dis qu’on avait du l’orienter vers l’autre permanence et que je le verrai à la sortie.
Après les cloches de Saint François appelant à la grand messe je fus surpris d’entendre celle du collège secouée par le concierge sonner dix heures comme les jours de semaine.
Ce fut dans la permanence la bousculade. Tous les garçons se précipitèrent dans la cour en hurlant sans attendre le signal du surveillant. Me retrouvant dans la cour je fus l’objet de la curiosité des autres. Il y avait comme je l’avis vu d’autres garçons collés mais aucun du primaire, je compris que j’étais en quelque sorte un record.
Ils étaient plusieurs à m’entourer et à me demander ce que j’avais pu faire pour mériter une telle punition. Quand j’eus raconté la tâche et la langue tirée dans le dos de la maîtresse, je fis un vrai succès et cela me valut de me sentir adopté. L’un d’entre eux me porta même un morceau de pain que l’on distribuait pour couper la faim des pensionnaires. Plusieurs années plus tard j’appris que le responsable de cette distribution, notamment pour le goûter avec une petite barre de chocolat noir, s’appelait Monsieur Commandré. Il était petit et assez maigre avec de petites lunettes rondes, l’air un peu ailleurs. Ceux qui nous avaient précédés l’avaient baptisé Tournesol (comme le célèbre professeur) ce qui lui allait très bien.
La récréation terminée, je regagnai ma place avec les autres pour y finir mon travail.
Ce fut vite fait et je pus ranger mes affaires dans mon cartable. Mon voisin me prêta son livre d’histoire dont les images captivèrent mon attention jusqu’à onze heures.
A ce moment là le scénario de la cloche et de la sortie se reproduisit.
Alors que j’allais suivre le mouvement, le surveillant m’indiqua que je pouvais rentrer chez moi, mais qu’il me faudrait revenir l’après midi, sans le cartable, pour finir mon temps de punition. Je promis.
Bien sûr je n’étais pas triomphant en arrivant à la maison mais plutôt soulagé et content de l’accueil sympathique des grands.
On me pressa de questions. Je racontai.
Mon père qui avait était surveillant dans ce collège, pion disait-il, m’apprit que j’avais provoqué « une beuglante ».
L’après-midi, je repartis pour être à deux heures au collège, soulagé de ne pas avoir besoin du cartable, ce qui enlevait, me semblait-il, la marque d’infamie de ma situation vis-à-vis de ceux que je pouvais rencontrer en chemin.
Il y eut rassemblement dans la cour.
Pierre n’était toujours pas là.
Les « pencus » avaient pour la majorité enlevé leur blouse. Etant le plus petit, j’eus droit à la première place en tête du défilé avec à coté un élève de sixième qui connaissait le trajet. Descendant le boulevard, ce cortège bruyant de toutes les conversations, se dirigea vers la sortie de la ville et la route de Peyre.
Nous passâmes l’après-midi dans le petit bois de chênes yeuse qui grimpe vers le plateau de Cales, juste après la barrière du chemin de fer. Ce fut finalement assez agréable.Vers quatre heures la promenade prit le chemin du retour.
Dans la cour, j’eus même droit à une barre de chocolat et à un morceau de pain pour le goûter, si bien que je fus de retour à la maison avant cinq heures.
Le lendemain, à l’entrée du collège, comme tous les lundis, je retrouvai Pierre et m’empressai de lui demander pourquoi il n’était pas venu faire sa retenue.
Il m’expliqua qu’il était venu au collège, et, trouvant la porte de notre classe ouverte, il s’y était installé à sa place habituelle et avait attendu vainement notre institutrice Madame Delous toute la matinée. Il avait donc décidé de ne pas revenir l’après-midi puisque le matin il s’était trouvé tout seul. Fort de mon expérience, je m’empressai de lui expliquer qu’il s’était trompé, qu’il aurait dû venir rejoindre les « pencus » et les autres collés comme moi à la permanence.
Dans la matinée Pierre fut appelé chez le surveillant général. Il eut beaucoup de mal, et ses parents convoqués avec lui à faire admettre son histoire. La sanction fut le doublement de la retenue, c’est-à-dire deux dimanches de suite avec la matinée à la permanence et l’après-midi en promenade.
Cette punition, très sévère, en supposant que par impossible elle soit envisagée, soulèverait aujourd’hui certainement des protestations véhémentes de la part des parents et peut-être des enseignants et pourtant ni pour l’un, ni pour l’autre, elle entraîna de traumatisme irréparable.
Pierre est devenu médecin spécialiste reconnu dans une grande ville du midi quant à moi les beuglantes ne me font pas trembler.


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