4 ème partie - Jean-Louis Esperce

dimanche 24 mars 2013
par  Martine Astor

Aujourd’hui , Jean-Louis Esperce enfant fait partie des « grands ». Il entre en 6ème. On peut y voir que l’on n’était pas plus tendre, à cette époque-là, avec les professeurs, qu’on ne l’est des dizaines d’années après.

Mes années au Collège

Après l’examen qui nous permettait d’accéder au secondaire, l’entrée en sixième fut un moment important de mon parcours scolaire. Ceux qui venaient des classes primaires du Collège avaient l’incontestable avantage de connaître l’établissement par rapport à ceux, qui, ayant eux aussi réussi l’examen, venaient des écoles libres ou publiques de la ville ou des environs. Notre nombre conduisit l’administration à former deux classes : 6e A et 6e B en plus de la classe dite 6e M pour ceux qui ne suivaient pas l’enseignement du latin. Comme on peut le penser, l’entrée en sixième marquait un changement profond pour nous tant en la forme qu’au fond. Les cours étaient dispensés en une heure théorique de temps qui était en fait cinquante cinq minutes. Nous avions un professeur par matière ou quelquefois pour deux matières et celui-ci installé dans sa classe nous attendait, le déplacement devant se faire dans les cinq minutes qui manquaient à l’heure d’enseignement. Nous devions attendre en ordre dans le couloir ou la cour devant la classe avant d’entrer au signal donné par le professeur, chacun s’installant à la place de son choix, debout en silence, attendant l’ordre de s’asseoir. En début d’année, chacun de nos professeurs nous avait précisé les ouvrages et le matériel qu’il souhaitait ainsi que les règles de présentation de nos devoirs : feuilles doubles ou simples, à petits ou à gros carreaux, marge d’un tiers ou d’un quart, couleur de l’encre, stylo à plume ou à bille.
Sur le fond, nous découvrions de nouvelles matières, ignorées jusque-là et en particulier le latin et l’anglais.

La classe de latin

Pour ce qui est du latin il nous était enseigné par monsieur Julien qui professait également en français et en histoire et géographie. Monsieur Julien était un homme plutôt de petite taille, toujours habillé avec une certaine recherche, portant cravate et souvent sous la veste, gilet assorti. Il avait une très mauvaise vue qui l’obligeait à porter de très gros verres de lunettes dans le genre cul de bouteille tenus par de fines branches presque invisibles qui en diminuaient l’importance. Son surnom qui miraculeusement était arrivé jusqu’à nous les nouveaux, était « le canard ». Très vite je compris d’où venait cet épithète. Monsieur Julien, qui malgré sa mauvaise vue voyait tout ce qui se passait dans sa classe sur laquelle il exerçait une autorité sereine et ferme que personne n’essayait de provoquer, avait l’habitude tout en dispensant son enseignement d’avancer ses lèvres jointes pour venir toucher son nez et en obturer les narines. Les générations précédentes avaient tiré de ce geste machinal le surnom qui convenait.
En anglais, nous avions monsieur Brousse, qui, je crois, était originaire de Lozère. Il avait la singularité qu’il partageait d’ailleurs avec monsieur Collard professeur d’éducation physique, de se déplacer sur une Vespa très à la mode dans les années cinquante. Monsieur Brousse faisait ses cours avec une profonde nonchalance dans le genre : je vous le propose, mais vous en faites ce que vous voulez ! La discipline dans sa classe était un peu plus relâchée que chez monsieur Julien mais il lui arrivait de mettre un point limite à la dérive de certains en disant : « un tel, allez chez le surveillant général, il vous accueillera à bras ouverts et poings fermés ! ». Cette invitation se traduisait le plus souvent par une retenue pour le dimanche suivant. L’anglais enseigné ne nous préparait pas à la conversation avec nos voisins d’outre-Manche. Il s’agissait essentiellement de connaître la langue et ses règles de grammaire à travers des textes littéraires tel que : Le Livre de la Jungle ou Trois Hommes dans un Bateau… Si bien que, lors de mon premier voyage en Angleterre, après le bac et donc après six années d’anglais scolaire, j’eus, au début, un peu de mal à suivre une conversation avec les autochtones rencontrés. Au-delà de la cinquième les cours d’anglais étaient assurés par monsieur Berthet connu par tous sous le surnom du « today » du fait de son entrée en matière en début de cours qui commençait invariablement par : » To day is …suivi en anglais du nom du jour . Monsieur Berthet affichait la même décontraction profonde que son collègue Brousse. Il avait lui aussi un humour très « british »qui conduisait souvent la classe dans une franche rigolade, elle bien française !
Outre le latin et l’anglais, nous avions bien évidemment des cours de français, d’histoire et de géographie. Les mathématiques et les sciences naturelles étaient confiées à monsieur Arnal instituteur venu du primaire enseigner en secondaire pour le plus grand bien de ses élèves qui bénéficiaient d’une pédagogie accessible et efficace. Il en était de même et également en mathématique pour monsieur François dont la petite taille, la forte corpulence et le visage rond et rose l’avait fait baptiser : « cochonnet », ce qui n’enlevait rien à ses qualités d’enseignant.
De ces années de collège me revient le souvenir de certains professeurs et de moments de vie dans l’établissement auxquels je repense avec tendresse.
Parmi nos enseignants certains ont vraiment marqué notre passage au Collège.
En cinquième pour succéder en français et en latin à monsieur Julien il y eut monsieur Méjean surtout connu sous son surnom : « le gaucho ». Il avait appris le latin et je crois commencé l’enseignement du grec à mon père qui se souvenait de lui comme d’un professeur à la discipline de fer exigeant beaucoup de travail de ses élèves avec pour résultat des générations de forts en thèmes ! Mais tout avait changé. Quand, après quelques jours de cours, j’annonçai à la maison que c’était le chahut dans la classe du « gaucho » mon père ne voulut pas le croire, si bien que quand il rencontrait un de ses anciens condisciples il ne manquait pas de dire : « il parait qu’ils chahutent le « gaucho » tu crois ça possible ? ». Parmi cette génération, personne ne voulait admettre cette réalité !
Pendant le cours du gaucho, tout était possible : tirs de sarbacane avec les stylos, papier mâché collé au plafond laissant pendre un pantin accroché par un fil, boules puantes, beuglantes, descente aux enfers, etc. Cette situation me conduisit à décrocher de l’enseignement du latin que je dû abandonner quelques années plus tard. Pendant toutes mes années de collège, j’ai toujours vu monsieur Méjean vêtu de la même façon : pantalon de toile très raide rayé noir et gris comme on en portait souvent le dimanche à la campagne, gilet et veste noir unis, cravate sombre et maigre, chapeau à larges bords, noir également, chaussures noires à grosses semelles de crêpe. C’est cette allure générale dont il n’a jamais changé qui lui avait valu son surnom. Il habitait rue Peyssière et venait au collège d’un pas égal, portant sur sa main droite au bout de son avant-bras à l’horizontale pour ne pas user sa veste par le frottement un cartable en cuir noir à deux poches se rabattant l’une sur l’autre dont il ne garnissait qu’un seul côté. Dans ce cartable il y avait notamment sa grammaire latine qui avait plus que doublé de volume du fait des notes, des textes, des ajouts qu’il avait, au cours des années, apportés à l’ouvrage. Un jour, je ne sais qui avait subtilisé ce livre précieux qui fut découvert quelques temps plus tard, ayant beaucoup diminué de volume. En effet, la classe qui nous accueillait pour les cours de latin servait certains jours à une activité de reliure organisée par l’adjoint du surveillant général monsieur Gotharel que la nature avait pourvu d’une très petite taille et d’une bosse dans le dos. Les auteurs du rapt avaient placé la grammaire latine et son contenu dans une presse dont ils devaient serrer un peu tous les jours le volant. Les pages en furent presque collées entre elles. Ainsi un peu avant nous et après nous le gaucho fut chahuté. Je crois qu’à l’âge que nous avions nous ne mesurions pas les conséquences humaines de cette domination de la classe sur son professeur.
Beaucoup plus tard, ayant réussi à l’examen du baccalauréat, nous avons décidé, avec mon ami Pierre Vignes, avant de commencer l’année en faculté fin septembre, de nous offrir deux ou trois jours de pérégrination dans les gorges du Tarn et les Cévennes. A cette occasion, l’idée me vint d’aller saluer monsieur Méjean dans son village près de Florac où il passait sa retraite. Quelques voisins nous indiquèrent la maison et en ce début d’après-midi nous sommes allés sonner à sa porte. Le chapeau noir que nous avions connu était remplacé par un chapeau de paille et la tenue noire et grise par un grand tablier de jardinier avec sa poche marsupiale. Je garderai toujours le souvenir du bonheur de cet homme de voir deux de ses anciens élèves venir lui dire qu’ils avaient réussi et qu’ils étaient inscrits en faculté à Montpellier. Nous eûmes droit à un petit verre de carthagène maison et à des remerciements émus pour notre visite. Je crois que l’émotion de notre ancien professeur qui se lisait dans ses yeux mouillés fut pour nous une façon d’effacer un peu le comportement indiscipliné de toute une classe en cours de latin ou de Français. C’est un moment qui ne peut s’oublier.
Parmi d’autres figures marquantes de ces années, il y avait mademoiselle Fabre
Professeur de mathématiques que tout le monde connaissait sous le surnom de « la môme ». Mademoiselle Fabre qui tenait à son célibat souligné par le « Mademoiselle » qu’il ne fallait pas oublier quand nous nous adressions à elle, était toujours très élégante en tailleur, chemisier et jupe, parfumée et toujours bien coiffée. Il faut dire que nos professeurs hommes, eux aussi, ne se présentaient jamais devant les élèves sans une veste et sans cravate ce qui leur permettait en retour d’exiger de nous une tenue vestimentaire où le négligé était exclu.
Pendant des années, nous avons toujours cherché à connaître la vie sentimentale de mademoiselle Fabre, mais sans succès mis à part que nous lui prêtions une relation particulière avec monsieur Julien lui-même divorcé.

(à suivre)

Jean-Louis Esperce


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