6 ème partie - Jean-Louis Esperce

dimanche 24 mars 2013
par  Martine Astor

Ce panorama de la vie au Collège dans les années cinquante mérite d’être complété en parlant éducation physique, musique et dessin.
L’éducation physique était confiée à Monsieur Cugny et à Monsieur Collard. Ce dernier avait introduit le Judo à Millau ainsi que plus tard le Hand-ball. Il était grand et bel homme et circulait en ville sur une Vespa comme Monsieur Brousse le professeur d’anglais. Avec lui nous fréquentions le stade scolaire où il dispensait son enseignement. Les techniques diverses qui constituaient nos leçons faisaient l’objet de sa part de démonstrations pas toujours réussies. L’excuse qu’il donnait alors était souvent la blessure de la veille au cours d’un entraînement, et malheur à celui qui aurait plaisanté ou ri. Les heures ainsi passées au stade étaient plutôt agréables et étaient complétées par deux heures de « plein air » où les jeux étaient prédominants. Le Jeudi nous pouvions intégrer une des équipes sportives qui intervenaient dans des compétitions entre établissements scolaires du département. Les champions se retrouvant ensuite confrontés aux autres champions de l’académie. Si Monsieur Collard était plus motivé par le judo, le hand ou le basket, Monsieur Cugny avait une nette préférence pour le rugby dont il nous disait que c’était : »un jeu de voyou joué par des gentlemen ». Monsieur Cugny était un homme de petite taille mais qui marchait en se tenant très droit sans toutefois effacer ce que sa profession lui donnait de souplesse. Il utilisait un vélo qui avait des roues de petite dimension sur lequel il se tenait aussi droit qu’à pieds. Il est décédé à plus de quatre-vingt-dix ans continuant dans son grand âge d’utiliser le même vélo ce qui faisait mon admiration. Comme je l’ai dit nous utilisions le stade scolaire de l’avenue de Verdun et ses équipements sauf les jours de pluie ou de grand mauvais temps où l’on se réfugiait dans l’ancienne chapelle servant de gymnase et après la construction du lycée de fille dans le gymnase à l’angle de la rue Saint Jean. Au printemps Monsieur Cugny nous conduisait assez souvent pour les heures de plein air au stade de rugby dit « le sporting » à l’emplacement actuel de la Résidence de la Fraternité.
En rentrant en sixième nous devions suivre des cours de musique, matière totalement inconnue en primaire. Une heure par semaine, René Rieux, par ailleurs chef de l’Harmonie Millavoise et excellent musicien quasi autodidacte, essayait
de nous initier à cette matière pour laquelle je n’avais, et n’ai, hélas, aucune disposition. Certains naissent poète, mathématicien, ou musicien, je ne suis rien de tout cela !

En musique béotien j’étais, béotien je suis resté tout en aimant écouter telle ou telle œuvre classique ou moderne.
J’aurais aimé pouvoir accéder facilement à cet art, qui, malgré ma bonne volonté restait pour moi inaccessible. Mon oreille est ainsi faite ; elle ne comprenait rien aux subtilités musicales et notamment à celles de la dictée !

René Rieux (Millau en images, p.270)

Nous étions face à une portée vierge tracée sur le papier et nous devions y faire figurer les notes que notre professeur jouait sur le piano. Pour moi, tous ces sons avaient un tel air de parenté que je disposais les notes, dès le début de l’épreuve, au hasard de ma fantaisie sur le papier espérant que la chance m’aiderait.
Il arrivait quelques fois qu’une note sur ma feuille soit bien celle qui avait retenti, au lieu du zéro habituel, j’avais un demi-point.
Cette situation intriguait René Rieux qui ne me voyant pas insensible résolut de faire un test.
Un jour à la fin de son cours, il me retint quelques instants auprès de lui et me demanda pourquoi, alors que les autres matières me permettaient de briguer des places très honorables, personne ou presque ne me disputait la dernière en musique ! J’avouai mon incompréhension et surtout mon incapacité. S’installant au piano, il joua deux notes alternativement, plusieurs fois, et me demanda si je pouvais les reconnaître. Je pense, dis-je après réflexion et peut être avec un peu de provocation, que ce sont les mêmes !
Le couvercle du piano fut brutalement refermé sur le clavier et j’entendis tomber la sentence :
- « Et non ; c’est do aigu et do grave ! » Je ne pouvais pas faire pire !
- « Mon pauvre enfant c’est une véritable infirmité ! »
Je partis, penaud de ce diagnostic, et, le soir, me retrouvant à la table familiale, je commençai le récit de ma journée en lâchant sans préambule :
- « Vous avez fait un fils infirme ! »
Ma mère qui était toujours prête à imaginer le pire, fut bouleversée et me pressa de questions, croyant que j’étais atteint de quelque maladie grave dont la révélation aurait pu être faite le jour même lors d’une visite médicale.
Je poursuivis :
- « Oui je suis un infirme et c’est le professeur de musique qui me l’a dit ! »
Je racontai aussitôt le do grave et le do aigu. Ma mère fut manifestement très soulagée et mon père qui souffrait de la même infirmité, qui ne l’avait pas empêché de décrocher quelques prix d’excellence n’y trouva finalement qu’une marque génétique de sa paternité. Pour tout dire, mon angoisse existentielle ne fut pas comprise et je dus suivre, de la classe de sixième à celle de troisième, les cours de musique et les dictées qui continuèrent de s’apparenter plus à un quine qu’à un exercice à haute valeur culturelle.
Ces cours de musique étaient quelquefois un peu remuants et la majorité d’entre nous n’y accordait pas le sérieux demandé par le professeur. Le piano était régulièrement saboté par des morceaux de craie qui venaient se loger entre les cordes et qui auraient compliqué ma tâche si j’avais eu l’oreille du musicien.
Un jour où le cours portait sur les différents instruments de musique et leur classification, l’un de nos camarades fut particulièrement brillant.
Nous avions énoncé les uns et les autres les instruments à vent que nous connaissions, puis ceux à percussion, nous en étions aux instruments à cordes.
Les noms étaient lancés à haute voix pour être écrits sur le tableau dans la colonne correspondante, quand l’un de nous, alors que l’inspiration venait à nous manquer ou que nous avions épuisé le contenu de la catégorie, ajouta à la liste des instruments à cordes, un auquel personne n’avait pensé :
- « La cloche Monsieur ! »
L’éclat de rire fut général et notre ami d’expliquer que sans la corde pour tirer dessus la cloche ne donnerait aucun son ! Logique qui valut à son auteur une punition,ou, comme l’on dit couramment, de se faire sonner les cloches (à suivre)

Jean-Louis ESPERCE


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