7 ème partie - Jean-Louis Esperce

dimanche 24 mars 2013
par  Martine Astor

Vivons avec Jean-Louis Esperce le dernier acte de son vécu au Collège de Millau.

Mes années au Collège

Dès la classe de sixième,gymnastique et musique étaient au programme et nous avions aussi le dessin. Une salle était spécialement aménagée pour cela. C’était une vaste pièce qui jouxtait le pavillon central du bâtiment qui longeait la rue St-Jean. Elle prenait le jour par de grandes fenêtres côté cour de récréation et côté rue par de petites fenêtres haut placées protégées par des barreaux de fer.
La salle était presque carrée et s’organisait grâce à des bancs en bois fixés sur de grandes marches en planches pour permettre à chaque rang d’avoir vue par-dessus ceux assis devant. Cet équipement était placé en demi-cercle avec en son centre le bureau de notre professeur Monsieur Jacquinet et une estrade servant à disposer les sujets que nous devions dessiner. Face aux bancs sur lesquels nous prenions place ni table ni bureau mais une rampe en fer faite de deux mains courantes superposées sur des supports fixés au sol. Dés l’entrée en sixième et au début de l’année nous devions nous équiper d’une planche à dessin que nous transportions dans un grand carton double dit « à dessin » généralement recouvert d’un papier vert moucheté de noir à l’articulation des deux parties et aux angles renforcés d’une toile noire. La planche était placée au milieu avec les feuilles de papier « Cansson ». Il suffisait alors de refermer le tout en nouant les petits rubans de tissus noirs qui pendaient sur trois cotés du carton pour transporter matériel et travaux.
Ainsi il n’était pas difficile de repérer sur le boulevard lesquels d’entre nous avaient cours de dessin à la vue du matériel que nous avions souvent de la peine à loger sous le bras, l’autre étant affecté au cartable, qui en général était en cuir et dont nous devions faire bon usage de la sixième au bac et pour beaucoup d’entre nous jusqu’en faculté (autre temps autre mœurs !).
Outre la salle de dessin proprement dite que je viens de décrire il y avait, derrière la cloison qui portait le tableau noir et à laquelle notre professeur tournait le dos, une réserve qui contenait toute une collection de plâtres : copies de statues antiques ou plus récentes, chapiteaux, etc. ainsi que divers objets pouvant servir de sujets à nos jeunes talents : pots, chaudrons, vieux instruments de musique.
La planche posée d’un côté sur les cuisses et de l’autre sur une des mains courantes en fer située face au banc où nous étions assis en fonction de l’inclinaison que nous voulions lui donner, il suffisait alors de fixer avec des punaises la feuille de papier Canson, pour le crayon d’une main et la gomme de l’autre, nous mettre à dessiner l’objet présenté devant nous sur une espèce de sellette.
La classe était toujours bruyante des conversations des uns et des autres pour qui ce cours était considéré généralement comme un agréable moment de détente.
Le début et la fin de toutes les heures de cours étaient annoncés par une cloche en bronze que le concierge venait sonner à heure régulière. Plus tard, après les travaux d’agrandissement du collège, ce signal fut abandonné au profit d’une cloche électrique qui devait être couplée à une pendule supprimant ainsi une des activités de notre Pipelet.
Ce modernisme n’était pas sans inconvénient les jours de panne ou de grèves et même tout simplement quand la technique s’avérait capricieuse au point de raccourcir certains cours à notre grande joie, souvent vite réprimée, ou d’en allonger d’autres.
Pour beaucoup de nos professeurs la sonnerie marquait inexorablement la fin du cours quelques fois au milieu d’une phrase. Les livres et les cahiers étaient vite enfouis dans le cartable et c’était à qui serait le premier dans la cour.
D’autres enseignants n’acceptaient pas la dictature de la sonnerie et nous ne pouvions quitter la classe que lorsqu’ils en donnaient eux- mêmes le signal et malheur à qui se serait contenté du seul signal extérieur !
Notre professeur de dessin Monsieur Jacquinet était au collège depuis déjà de nombreuses années quand j’entrai en sixième puisqu’il avait eu mon père pour élève. Il avait succédé à ce poste à Monsieur Buscarlet que nos anciens avaient surnommé pour je ne sais quelle raison « trol ».
Monsieur Jacquinet était un homme charmant qui n’aimait pas faire preuve d’autorité dans une matière où elle n’était d’ailleurs pas indispensable et qui était censée être dominée par un certain esprit de liberté (de création !).
Chez lui, à la fin du cours, seule la cloche manuelle ou électrique donnait le signal. Les trente garnements que nous étions se levaient dès le premier son et les chocs des planches sur les supports en fer, les cartons que l’on range, les conversations passant brusquement dans des tonalités plus fortes, les interpellations des uns et des autres, faisaient un immense chahut dans lequel les derniers mots de Monsieur Jacquinet étaient définitivement perdus.

Un jour ou nous avions été plus remuants et bruyants que d’habitude notre professeur réagit au premier mouvement qui suivit le signal de fin du cours en nous interpellant de telle façon que nous restâmes immobiles et silencieux quelques instants : « Ça suffit ! Taisez-vous ! Restez assis à vos places ! »
Et Monsieur Jacquinet d’ajouter la phrase qui lui fit perdre définitivement sa capacité à donner le signal de la fin du cours : « Ici la cloche, c’est moi ! »

La cloche du collège

La beuglante qui suivit fut à la hauteur de l’annonce, elle se termina par des applaudissements qui ponctuèrent les « oui !oui ! » fusant de tous côtés.
Ce malheureux lapsus venait de nous rendre la liberté que l’on avait tenté de nous enlever. Seule la cloche, la vraie, désormais donnerait le signal pour tous y compris pour celui qui avait cru pouvoir la remplacer.
A côté des enseignants il y avait ce qu’il était convenu d’appeler l’administration de l’établissement : l’intendance qui gérait tout ce qui touchait aux bâtiments, au logement, à la nourriture pendant de nombreuses années ce fut Monsieur Gely qui occupa ces fonctions en même temps que celles de professeur de sciences. La direction proprement dite était chargée de l’organisation de l’enseignement et de la discipline (qui n’était pas encore un gros mot !). Le chef d’établissement était le principal, qui au moment de la nationalisation du collège devint proviseur. Je pense en avoir connu trois :
Monsieur Gadal, Monsieur Viala, Monsieur Taïx. Souvenir lointain pour Monsieur Gadal qui affichait toujours une grande courtoisie tant envers les parents qu’envers nous les élèves. Il fut remplacé par Monsieur Viala. Dès le début celui-ci institua des règles précises et incontournables quant à la discipline. Les classes devaient s’aligner tous les matins à huit heures face au trottoir qui longeait les bâtiments pour entendre consignes et instructions avant de se diriger en ordre et en silence vers les salles de classe. La fin du trimestre était marquée par un cérémonial que nous avons très vite appris à craindre. Nous devions nous rassembler en deux fournées dans la grande permanence pour nous entendre publiquement félicités ou au contraire sévèrement montrés du doigt, soit pour des questions de discipline ou surtout pour les résultats du trimestre.
Le premier groupe était constitué par les classes de sixièmes jusqu’à celles de troisièmes, le second par celles de secondes jusqu’à la terminale. A l’appel de notre nom nous devions nous lever et écouter les commentaires du principal sur nos notes du trimestre. Très mauvais moment pour certains, d’autant que Monsieur Viala nous connaissait pratiquement tous. Le collège était tenu de main de maître avec une autorité naturelle de sa part que personne n’aurait osé contester même je crois, les enseignants. Ce n’est que plus tard, que, l’ayant rencontré alors qu’il était à la retraite, je découvris qu’il était plutôt de petite taille alors qu’il avait toujours dominé tous ceux qui l’approchaient. Ces qualités reconnues par l’administration lui valurent d’être envoyé dans un lycée à Ales où régnait une belle pagaille et plus tard, mission accomplie dans un établissement très important de la région parisienne. Monsieur Taïx qui lui succéda était plus concerné par l’administration de l’établissement, devenu Lycée Nationalisé, laissant au surveillant général Monsieur Chabot et à Pierre Dides son adjoint le soin de veiller à la discipline. Monsieur Chabot avait un peu le caractère et même l’aspect physique de Monsieur Viala, plutôt petit mais sachant se servir d’une autorité naturelle dont il usait toujours à bon escient. Pierre Dides, connaissait tout son monde et savait remettre les récalcitrants dans la bonne voie avec en plus la connaissance des familles millavoises dont il surveillait la progéniture ce qui lui permettait des mises au point personnalisées.

Jean-Louis Esperce

(à suivre)


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