Le boulevard Saint-Antoine par Simone Calmes

lundi 31 mars 2014
par  Martine Astor

Le boulevard Saint-Antoine

Le boulevard Saint-Antoine

Simone Calmes égrène pour nous le souvenir, maison par maison, des anciens habitants du boulevard Saint-Antoine de ses jeunes années. Nombre de Millavois trouveront en eux un écho de cet inventaire d’une mémoire commune.

Je vais essayer de vous faire l’historique de ce boulevard où je suis née, en 1925. La période que nous allons connaître se situe du 31 janvier 1925 à septembre 1956, date à laquelle, avec mes parents, nous avons quitté le 12 boulevard Saint-Antoine pour un petit pavillon, rue de la Prise-d’Eau.

Le boulevard côté impair  :

Le boulevard Saint-Antoine débute, côté impair, avec la Miroiterie Millavoise, dont le magasin fait face à la rue Pasteur que nous appelions autrefois « la descente de la Place ». L’entreprise est exploitée par la famille Raymond. On se souvient de Georges Raymond, principal animateur et, apparemment, responsable de cette entreprise. Je pense que c’est toujours cette famille qui, peut-être, a été à l’origine de sa création.
Vient ensuite la maison Fabre, autrefois propriété d’une famille bourgeoise dont j’ignore le nom. Je me souviens des gardiennes de l’immeuble, mère et fille, qui devaient loger dans un pavillon, dans le parc, à longueur d’année.
La grande maison Tarrusson, en partie occupée par toute la famille, et elle l’est encore par des descendants… Je me souviens d’Eugène Tarrusson : à l’époque, il était père et grand-père ; à ce jour, il serait arrière-grand-père. Il arpentait, tous les soirs, à partir de 18 heures (une fois le travail terminé), le trottoir du boulevard, avec le père Dides, teinturier rue du Rajol. Faisaient-ils alors le bilan de leur travail journalier, ou bien se racontaient-ils quelques bonnes blagues ?

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Photo 1. La vòlta de Tarrusson (la volte de Tarrusson) entre la maison Tarrusson et la maison Crébassa (anciennement Balsan) (photo Martine Astor)

La petite rue en pente (en occitan, la vòlta de Tarrusson) séparait cette maison de celle des Balsan aujourd’hui Crébassa. Aux numéros 7 et 9 du boulevard, se trouve donc la maison Balsan qui s’étend derrière la façade vers la rue de la Saunerie où se trouvaient les usines de Mégisserie et de Ganterie. Côté boulevard, au 7, logeait la famille Vergély, petits patrons gantiers, et les dames Saquet mère et fille. Au rez-de-chaussée, logeait Yvette Laforgue avec ses parents jusqu’à son mariage avec Albert Mouysset. Le docteur Lavabre Elie a occupé le rez-de-chaussée jusqu’en 1956. Le docteur Charles Crébassa a pris la relève et occupe toujours ce logement depuis 1956. Au numéro 9 de ce même immeuble, demeurent actuellement plusieurs copropriétaires ou locataires.
Poursuivons avec la maison Guillaumenc où logeaient, à l’époque, la famille Cazes dont Solange, mariée avec Marc Auterive, sa sœur Marie-Thérèse et son frère André. Les époux Naussac demeuraient là : monsieur Naussac assurait la fonction de suisse à l’église Notre-Dame. Nous l’appelions « le suisse de la place ». Tous les dimanches, pour la messe de 11 heures à Notre-Dame, il montait la rue Pasteur, en tenue de suisse, accompagné de son épouse, pour la grand-messe. Plusieurs locataires se sont succédé : je me souviens des Privat.
Au numéro 11, la maison Galtier : elle appartenait à Léonce Galtier dit « Mon-Jules » qui était l’oncle de Jean et Pierre Galtier, mégissiers au Saoutadou, lieu-dit La Grave. Bien connue des Millavois, c’était une grosse affaire, comme l’on disait à l’époque. Les époux Bru habitaient le rez-de-chaussée. Monsieur Bru était facteur des Postes. Les Galtier occupaient le 1er étage, avec leurs deux enfants Suzanne et Robert. Il y avait également les époux Bonnet. Monsieur Bonnet, aveugle, donnait des leçons de piano et, durant son séjour à Millau, il a tenu l’orgue de Notre-Dame. Plusieurs locataires se sont succédé. Je me souviens des Alric.

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Photo 2. L’ancienne Maison Roger Maury (Imprimerie Roger Maury) et le Bazar Saint-Antoine sur l’ancien site de la boulangerie La Glaneuse qui avait fait place à la Société Pons Frère, Machines Agricole (photo Martine Astor).

Ensuite, au numéro 15, se trouve la Maison Roger Maury et l’Imprimerie Roger Maury. Quatre ou cinq employés travaillaient à l’imprimerie. Madame Maury tenait le magasin de vente de papiers, articles de bureau et livres en petite quantité. Plus tard, ils ont ouvert une boutique de livres en face du Tribunal, boulevard de l’Ayrolle. L’immeuble du Saint-Antoine avait comme locataires, au rez-de-chaussée, les parents de Roger Maury, sa sœur et son père. Les parents de Jacques Frayssenge, directeur des Archives Municipales, demeuraient là. A l’étage, logeaient, mademoiselle Carle, secrétaire aux Gants Guibert Frères et les époux Maviel à qui succédera la famille de monsieur Longer, ancien menuisier à Millau, avec leurs enfants Jean et Huguette. Jean Maury, fils de Roger Maury, professeur de philosophie et préhistorien, est décédé en novembre 2012.
Tout à côté de l’imprimerie, la boulangerie dite « La Glaneuse ». La première boulangère de ma petite enfance était madame Lagarde. Je revois encore ce grand magasin, le bon pain, les escaliers menant au four, où nous portions les plats à cuire (coufidou, farçun, tarte aux prunes). La bonne convivialité qui régnait entre voisins, à cette époque… Plusieurs boulangers se sont succédé : monsieur et madame Delmas qui étaient millavois ; ensuite, originaire de Castres, la famille Reste (père, mère, fils et Noëlle la petite-fille) ; et enfin la famille Garguilo-Vidal. Leur fils Francis est né boulevard Saint-Antoine. Après eux, la boulangerie a fermé.
Les Pons Frères, Machines Agricoles ont pris la suite. Les Millavois ont bien connu les parents Louis et Gabriel. Louis était le père d’André Pons qui a été Président du Tribunal de Commerce de Millau. Gabriel était le père de Michel Pons qui a été Président de la Croix Rouge de Millau. Ils ont ensuite quitté le boulevard Saint-Antoine pour la Zone industrielle où l’entreprise a porté le nom de Société Pons Frères.
En ce qui concerne la maison numéro 17, côtoyant le n° 15 (la boulangerie), Jean Delmas, millavois d’origine, signale que, dans les années 1930, l’Union des Coopérateurs du Rouergue, possédait dans tout le département de l’Aveyron, de nombreux magasins d’alimentation. L’entrepôt du 17 boulevard Saint-Antoine pourvoyait aux besoins de ces magasins en marchandises. (A cette époque, la boulangerie du n° 15 était gérée par la famille Reste.) Le magasin de vente, fournil et entrepôt-garage s’ouvrait sur la rue de la Saunerie. Une porte donnait sur le boulevard et un escalier d’accès à l’étage séparait la boulangerie de l’entrepôt. Cet entrepôt était précédé d’un quai de chargement et de déchargement sur le trottoir du Saint-Antoine. Des employés bien connus à Millau, comme Marcel Valacher ou Raymond Artières, assuraient la manutention.
Au rez-de-chaussée, entre l’entrepôt et l’immeuble voisin n° 19, l’Union des Coopérateurs du Rouergue, exploitait une salle de torréfaction de café gérée par monsieur Crespel (beau-père de Louis Soto, sportif millavois bien connu à cette époque). C’est dans cette salle que, vers 1934-35, se déclara un incendie mémorable dont les dégâts purent heureusement être limités à ce local de torréfaction. L’escalier cité ci-dessus, permettait d’accéder à l’étage de l’immeuble, domaine exclusif de la bibliothèque des Coopérateurs qui comportait des centaines de livres reliés en tissus noir. Cette bibliothèque a longtemps été gérée par madame Rose Picard, dont la gentillesse et la compétence mettaient à l’aise les lecteurs.

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Photo 3. De gauche à droite : ancien site de l’entrepôt et de la salle de torréfaction de l’Union des Coopérateurs du Rouergue et n° 19, ancien lieu d’habitation du crieur public Tomate (photo Martine Astor).

Ce numéro 19 est la dernière maison du Boulevard, côté impair. Elle fait angle avec la rue du Pont-de-Fer et avait comme locataire les époux Salgues. Monsieur Salgues dit « Tomate » était crieur public. Bien connu de tous les Millavois, sur un coup de clairon, il annonçait les nouvelles en criant « Avis à la population ». La population était au courant de ce qui se passait (décès, obsèques, rencontre sportive ou réunion, etc.). Bien d’autres familles occupaient cette maison : au premier étage, Annette Vaissière et son père, ainsi que les époux Gazel, oncle et tante de Jean Delmas. Au rez-de-chaussée logeait Emilie Delmas, la grand-mère maternelle de Jean Delmas. Ida Bénézeth, célibataire, demeurait aussi dans cet immeuble.

Le boulevard côté pair  :

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Photo 4. Ancien site de l’Etoile du Midi (photo Martine Astor).

A l’angle de la rue Saint-Antoine, dans l’immeuble Molitz, il y avait l’Etoile du Midi, alimentation de toute sorte. Le dépôt se trouvait rue de la Fraternité. Le magasin de l’Etoile du Midi était tenu par madame Réfrégiers qui avait deux enfants, André et Mauricette. Cette dernière se maria avec Paul Maury. Tous les deux étaient instituteurs. Leur fils Jean-Paul suivit leur trace et est encore instituteur à Millau.
Vient ensuite la maison Labit, vendue plus tard aux enfants Vergély (Solange et ses trois frères) qui logeaient auparavant au 7 boulevard Saint-Antoine, dans l’immeuble Balsan-Crébassa. Bien connus sur Millau pour la spéléologie, on les retrouvait souvent le soir vers 6 ou 7 heures au Syndicat d’Initiative qui se trouvait, alors, avenue de la Gare, devenue depuis avenue Alfred-Merle, en bordure du jardin de la Mairie, face au Café Glacier.

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Photo 5. Maison natale de Simone Calmes (photo Martine Astor).

C’est ensuite la Maison Calmes où je suis née le 31 janvier 1925. Elle était occupée par mes grands-parents au premier étage et mes parents au second. Le rez-de-chaussée était réservé au garage (nous l’appelions ainsi), mais il n’y avait pas de voiture. Il donnait accès à la cave. Je revois encore le marchand de charbon, son chariot tiré par un cheval, déposer les sacs de coucous de charbon de 50 kilos ou plus, la charrette des sœurs de l’avenue de Calès (aujourd’hui les Charmettes) qui ramassaient les draps pour le lavage au lieu-dit « Le Refuge ». Nous descendions les deux étages avec le seau à charbon vide pour le remplir. La maison faisant face à l’Imprimerie Roger Maury, on y voyait les ouvriers entrer et sortir. Après le décès de mon grand-père, la maison a été vendue à monsieur Chauchard, boucher, rue Saint-Antoine qui avait remplacé monsieur Couzy, boucher, face à la boulangerie du Four Trémolet. J’ai quitté cette maison en septembre 1956.
Au numéro 10, se trouvait une maison appartenant à monsieur Carrière dont la fille unique a épousé monsieur Jiavelli, qui avait un magasin de lunettes, au bout de la rue du Mandarous. Son successeur le plus connu a été monsieur Tichit. Leur fille appelée Mimi Jiavelli, était pianiste. Après les Carrière-Jiavelli, la maison a été achetée par monsieur et madame Galzin René. Peut-être appartient-elle toujours à leur fille unique, Claudie, mariée, mère de famille et institutrice de profession.
Au numéro 8 : la maison Camboulives père, menuisier. Leur fils unique, Aimé, a été, je crois assureur. Mort accidentellement, marié à une demoiselle Balard de Rodez, ils ont eu plusieurs enfants. Il y eut beaucoup de locataires : famille Privat, un garçon marié à Suzette Félix ; les Layrolle et leur fille Zézette ; les Fortier, grands-parents de Jean Fortier, bien connu des Millavois, aujourd’hui décédé accidentellement. Mes cousines Jacqueline et Monique Calmes sont nées au rez-de-chaussée de l’immeuble qui a été occupé ensuite par madame Fortier et Zézette Layrolle.
Au numéro 6, la Ganterie Delon. Les patrons gantiers : Louis et Joséphine ; leurs enfants : Suzanne, André à l’origine de la création du Cabaret Occitan situé rue Peyrollerie, Jean et Jacques. Tous sur Millau.
Au numéro 4, se trouvait la grande Maison qui appartenait à Jeanne Rouzoul. Plusieurs locataires dont j’ignore les noms, se sont succédé. Jean Delmas se souvient ou croit se souvenir que la famille Pipien et surtout Yves Marie Bruel, pianiste concertiste, Prix de Rome, dont le père exerçait la profession de peintre en bâtiment, ont logé dans cette maison.

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Photo 6. Ancien site du Sélect Dancing (photo Martine Astor).

Le côté pair du boulevard se termine par le Select Dancing, très renommé et très fréquenté par la jeunesse de l’époque. La maison était occupée par la famille Félix. A la fermeture du dancing, le local a été occupé par monsieur Garein, réparateur de machines à coudre en ganterie (brosser, piqué-anglais, etc.). La famille Orcel, le père, puis le fils, sont jusqu’à aujourd’hui, les derniers occupants. Ils vendent et réparent vélos et motos.
La rue des Coloristes sépare le Sélect Dancing de la Maison du Peuple, la dernière du boulevard Saint-Antoine, qui fait angle avec la rue Pasteur (la descente de la Place). Les vieux Millavois, n’ont pas oublié cette grande salle, garnie de fauteuils en bois, secs et bruyants, avec balcons et galeries tout autour. Elle a servi pour tout : réunions syndicales, sociales, et politiques. Elle servit aux réunions des grévistes, notamment lors de la grève des gantiers en 1934-35, mémorable et inoubliable pour ceux qui étaient concernés. Mais aussi elle a connu le côté distrayant et agréable, raconté par nos parents : les différents bals de sociétés (les Pompiers, le Cycle Millavois, l’Estudiantina et bien d’autres), les spectacles (le Calel, les Tréteaux Millavois, les troupes théâtrales qui venaient de l’extérieur), et aussi les ventes de charité données par la Croix Rouge. Tant de l’intérieur comme de l’extérieur, elle a perdu son aspect de vieille salle commune, depuis les dernières transformations par la municipalité Godfrain. Mais elle est toujours aussi fréquentée par les jeunes et même les séniors qui la connaissaient dans le temps. Le théâtre et les concerts musicaux passionnent toujours : on ne l’oubliera jamais.
Simone CALMES


Les personnes qui désireraient apporter des précisions à cet article peuvent le faire en adressant un courrier à la Société d’Etudes Millavoise, 16, boulevard de l’Ayrolle, 12100 Millau.


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