RÉSUMÉ DE LA CONFÉRENCE D’ALAIN BOUVIALA

vendredi 19 décembre 2014
par  Martine Astor

Société d’Etudes Millavoises, samedi 13 décembre 2014

Présentation par Alain Bouviala du récit autobiographique de Marcel Malzac intitulé :
« Mémoires de la vie et Résistance de notre famille 1939 – 1945 par Marcel Malzac »

Alain Bouviala devant une toute petite partie de son auditoire (photo Jean-Louis Cartayrade)

Avec l’aimable autorisation de Madame Veuve Malzac –Rivié.
Document prêté par M. et Mme Daniel Thomas (neveux).
* N’ont été retenus dans cette présentation que les parties témoignant de l’âpreté de ce temps d’Occupation dans le Millavois.

Monsieur Marcel Malzac était le fils de Justin Malzac et de Dina Miquel.
Son épouse était Josette Rivié. Ils eurent deux enfants : Josiane Malzac (de la Cruz) et Evelyne Malzac (Gay).
M. Marcel Malzac a entrepris d’écrire ses mémoires sur la période de Résistance de 1939 à 1945, cinquante ans après à Béziers, le 19 mars 2000. Pourquoi ? C’était une promesse faite, lors d’un recueillement sur la tombe de ses grands-parents à Saint-Léons, à un frère d’Albert Sévigné. Albert avait été tué en 1944 lors de l’embuscade de Vinnac et du drame d’Argols, son frère voulut que Marcel lui raconte ce qu’il avait vu.

Pour raconter tout cela je suis obligé, toutefois de vous décrire dans quelles conditions je me suis trouvé au Viala, à cette époque. Pour vous dire aussi, les situations anormales dans lesquelles nous vivions notre jeunesse.
En effet, la guerre a duré1939 – 1945. Je n’ai pas à raconter ce passé, des érudits l’ont décrit bien avant moi, dans tous les détails et mieux que je ne peux le faire.
Mon intention est juste d’expliquer notre période de résistance à l’occupant.
Mon père tenait une boucherie à Millau, 43 rue droite. Avec la guerre le travail avait diminué, de 2 500 kg on était tombé à 700 kg de viande par mois et avec le rationnement le magasin n’ouvrait que deux matinées par semaine, mardi et samedi matin.
On distribuait la ration de viande que nous touchions du ravitaillement. Il était interdit d’aller acheter dans les fermes et d’abattre pour nous-mêmes. La ration était de 350 g environ par semaine par personne, suivant la catégorie dont on faisait partie. « J1- J2 -J3 – travailleurs de force, femmes enceintes…
Tout était rationné, le sucre 500 g par mois pour les J3, les légumes secs, l’huile, le beurre, les pommes de terre, les vêtements et les chaussures.
L’essence était délivrée au compte goutte si l’on peut dire, de plus il fallait une autorisation pour circuler qui était contrôlée par les gendarmes à la sortie de la ville. La rareté de l’essence réduisait les déplacements ; le carburant était réservé aux gens qui travaillaient.
Mon père se trouvait, dans l’impossibilité d’exercer. Nous avions un petit domaine de 20 hectares situé au Viala près de Saint-Léons, qui nous revenait du côté de la famille de ma mère et où était sa maison natale, il décida de l’exploiter.
Vu la conjoncture où il manquait de tout, mon père né à la campagne, s’étant marié sur le tard à l’âge de quarante ans et ayant fait la guerre de 14 – 18, décida de faire revivre cette petite exploitation. Il acheta une paire de bœufs, une chèvre pour avoir du lait, et fit faire un char à bœufs.

Il raconte aussi que pour survivre, son père faisait cuire le pain dans le four à bois. Le dimanche Marcel et son père allaient à la chasse (sans fusil) avec le furet. A la sortie des terriers ils attrapaient les lapins à la cape ou au filet. Ceux-ci pullulaient. Parfois ils allaient à la pêche aux écrevisses. Une fois ils en remplirent un sac de 25 kg !

En 1942, au mois de novembre, les Allemands occupèrent la zone dite libre, ils vinrent à Millau. La Kommandantur se trouvait à l’Hôtel de la Gare. Il y avait le couvre-feu de 22 heures jusqu’à 6 heures avec interdiction de sortir.

A ses 20 ans en novembre 1943, Marcel doit partir aux chantiers de jeunesse à Brioude, mais peu après il est désigné pour aller travailler pour les Allemands dans une poudrière à Toulouse, ce à quoi il se refuse.
Sur le trajet il saute du train à l’approche de la gare de Cahors et enfin parvient à Millau toujours en montant clandestinement dans les trains à Rodez puis Séverac.
Considéré dès lors comme réfractaire il allait être recherché par la gendarmerie. Il décida de se cacher au Viala où il pourrait aider son père à l’exploitation. Effectivement les gendarmes allèrent à la boucherie tenue par sa mère, puis au Viala, mais les ayant vus arriver il s’était enfui…

L’affaire Bessières

Après les travaux d’été un jour, je décidais d’aller voir mes cousins aux Cazalèdes (près de la Bastide des Fonts) et d’aller sur la tombe de mes grands-parents paternels à Saint-Pierre-de-Gourgas. Je descendais à Millau à vélo et le laissais dans la cour de la boucherie, car j’avais décidé de traverser le plateau du Larzac à pied en passant par les fermes de : Brunas, Les Brouzes, Beaumescure, pour arriver ensuite à Saint-Pierre-de-Gourgas.
Il y avait un risque je le savais, il me fallait passer le Pont Lerouge à la sortie de Millau et il était très souvent gardé par les Allemands ou les gendarmes. J’avais pensé le traverser vers 13 heures, un dimanche, où j’aurais plus de chance qu’il n’y ait personne. Après avoir regardé de tous côtés, je m’engage, je traverse et en arrivant au bout du pont, sortent de derrière deux platanes deux gendarmes, je ne pouvais les voir de loin, car ils se tenaient en retrait des arbres ; je ne savais comment faire, je n’avais pas le choix, je marchais donc naturellement, comme si de rien n’était et sans me presser. Là, ils m’arrêtèrent et me demandèrent la carte d’identité. A ce moment là ; arriva un homme à vélo, un des gendarmes se détacha pour vérifier sa carte d’identité et la plaque du vélo qui était obligatoire. Le gendarme qui était resté avec moi me demanda où j’habitais, je lui donnais mon nom et mon adresse, il vit que j’étais sincère et tout-à-coup se dévoila : c’était un gendarme qui n’était pas pour la collaboration avec les Allemands, il me dit :
« Je vais être franc avec vous, dîtes moi si vous êtes en règle, sinon je vous mène à la gendarmerie, car cela m’embêterait d’arrêter le fils de Monsieur Malzac, votre père est mon boucher et je l’estime ».
Je n’ai pas hésité une seconde, je lui ai dit la vérité, alors il m’a répondu :
« Retournez vous de suite, retraversez le pont et disparaissez très vite, je m’arrangerai avec mon collègue ».
C’est ce que je fis immédiatement mais l’alerte avait été chaude. Le lendemain, les deux gendarmes sont venus voir mon père pour leur raconter ce qui s’était passé et lui demander si j’étais bien rentré. Mon père leur fit un beau geste pour cela, à cette époque là, un bon gigot valait mieux que six bouteilles de Dom Pérignon.
Le gendarme Bessières m’a avoué que s’il m’avait emmené ce jour là à la gendarmerie, le Capitaine Clerget-Curnaud, bien connu pour ses amitiés avec les autorités occupantes, m’aurait fait interner à Bages, un camp près de Rodez. C’est là qu’on réunissait les résistants qui étaient arrêtés ; on les envoyait ensuite à Buckenval. J’avais un ami de classe nommé d’Esaty de Millau qui avait été dans mon cas, il est mort dans ce camp en rongeant le bois de son lit tellement il avait faim.
A la Libération, un an après, je prenais en gérance la boucherie de mes parents et j’avais Monsieur Bessières comme client. Je l’ai servi au magasin jusqu’à son départ de Millau car il avait été muté ailleurs. Avec ma femme nous lui avions acheté une petite coiffeuse.
Le Capitaine de gendarmerie fut condamné à la libération à dix ans de travaux forcés. Beaucoup de gens sont morts par sa faute. Après cette péripétie, je compris que je ne pouvais plus circuler sur les routes, c’était trop risqué. Mon frère Justin qui se cachait, avait des contacts avec la Résistance locale, il fit savoir à mes parents qu’il pouvait me faire fabriquer une fausse carte d’identité. Je m’appelais désormais Mallac Marcel et étais plus jeune de deux ans.

La Gestapo et la Milice Française

Descendu à Millau, pour voir ma mère, j’étais dans la cuisine à l’arrière boutique du magasin avec Julia. C’était une dame divorcée d’un boucher, elle soignait ma mère, mon père étant au Viala, le mardi et le samedi matin, elle aidait à la vente du peu de viande que l’on nous donnait pour nos clients, et à découper les tickets d’alimentation.
Julia épluchait des légumes et moi je lisais un journal posé sur la table. Vers dix heures, on frappe à la porte-fenêtre de la cour et se présentent deux hommes vêtus de longs manteaux noirs qui demandent à parler à Monsieur Belet Justin mon frère. Julia leur dit qu’elle était la femme de ménage, Justin elle le connaissait, mais ne savait pas où il était, il y avait un certain temps, qu’elle ne l’avait pas vu. Ces deux hommes avaient une photo de lui probablement sa carte d’identité et lui posèrent plusieurs questions. Toutefois avant de partir ils me demandèrent qui j’étais et mon âge. Je leur répondis que j’avais dix huit ans, que j’étais un cousin de la famille venu voir sa tante.
Ils n’insistèrent pas, mon frère ayant 26 ans, avec sa photo ils virent que ce n’était pas moi.
J’avais eu très peur .A leur départ, Julia avait les mains qui tremblaient, elle a été obligée de s’asseoir, ses jambes ne la tenaient plus.
Il ne fallait plus venir à Millau c’était trop dangereux. De plus nous avions juste en face chez nous, un collaborateur. Nous l’avions surpris un soir, dans le couloir, en train d’écouter à notre porte : depuis on fermait la porte de la cour à clé, car nous écoutions radio Londres et c’était interdit. Le 6 juin 1944 eu lieu le débarquement en Normandie. Petit à petit, nous approchions de la Libération. Les troupes allemandes, pour ne pas être coupées en deux par les troupes alliées, reçurent l’ordre de se replier, et de se rassembler pour remonter vers le Centre et aider leur troupe du côté de Paris et de la Normandie qui combattaient mais perdaient du terrain chaque jour.
Les troupes de Rodez en colonnes avaient ordre de se replier sur Millau et de partir vers Montpellier pour essayer d’arrêter la 2ème D .B. du Général de Lattre-de-Tassigny qui avait débarqué en Provence le 15 août 1944, et dont faisait partie mon frère Hyppolite. Ces troupes alliées remontèrent le Rhône, l’Alsace puis arrivèrent en Allemagne et à Berchtesgaden, le nid d’aigle d’Hitler.
Nous arrivions à cette horrible journée du 18 août où la colonne Allemande descendant vers Millau tuait et brûlait tout sur son passage.

L’attaque du bois de Vinnac

Cet après-midi là, un groupe de maquisards commandé par le Capitaine Wagner et Aldoza de Millau composé de 45 hommes du maquis FFI – FTPF de Coudols attaqua au bois des pins de Vinnac une colonne de trois cents soldats Allemands venant de Millau, avec une automitrailleuse et plusieurs camions, qui allaient à la rencontre d’une autre colonne descendant de Rodez.
Les maquisards n’étant armés que de mitraillettes STEM avaient ordre de frapper et de décrocher, ne pouvant faire jeu égal avec les Allemands très supérieurs en hommes et en armement. Ils lancèrent leurs grenades et décrochèrent, après avoir eu deux tués.
Ce jour là vers dix heures, j’étais allé au Pous de l’Esclop chercher de l’eau, Monsieur Pitôt me fit signe de venir. Il me dit : « Marcel il y a un gars du maquis qui est venu me demander à boire, il est près du puits ». Il y avait une auge où l’on faisait boire les bêtes et un seau avec une corde pour monter l’eau. (nous avons su plus tard que Monsieur Pitôt cachait quelqu’un chez lui et qu’il se méfiait de tout le monde). J‘allais voir ce gars. C’était un millavois que je connaissais, un nommé Déjean dit la « Bougne ». Il m’a reconnu et m’a dit que son groupe allait attaquer les Allemands au début de l’après-midi ; il venait de faire l’estafette, « l’agent de liaison », avec le maquis du Bois-du-Four, passant par Saint-Léons, pour éviter la route nationale trop dangereuse.
Il était habillé d’un tricot gris avec une croix de Lorraine rouge, d’un pantalon kaki et armé d’une mitraillette STEM., d’un révolver, et d’une grenade. Je lui dis : « que vas-tu faire maintenant ? » Il me répondit : « ma mission est terminée, je crois que je vais redescendre à Millau, car je ne sais où je retrouverai les copains qui vont attaquer. En principe nous devrions nous retrouver à un moulin près de Saint-Beauzély, mais si je descends à Millau cela n’a pas d’importance, j’aurai la possibilité de le leur faire savoir. Je lui demandais, s’il avait de quoi manger, il me dit que non. Le connaissant, je lui ai proposé de venir manger avec nous, ce qu’il fit. Une heure plus tard c’était l’attaque de Vinnac par le maquis. Il était 14 heures environ quand nous entendîmes les bruits de la fusillade et nous sortîmes, mon père, Déjean, Monsieur et Madame Grégoire, Albert leur fils et moi-même. Nous avançâmes dans un champ, d’où nous pouvions avec nos longues-vues voir les hommes du maquis se replier en passant par Boussayret. Certains maquisards se détachèrent pour aller parler aux gens de la batteuse. L’attaque étant terminée le jeune Déjean me demanda si je pouvais lui prêter un habit et un vélo pour redescendre à Millau. Il me laissa ses vêtements et ses armes, je lui prêtais mon vélo et l’accompagnais par les « Balladoux » jusqu’à la route qui va à Aguessac, car il était trop risqué de passer par Saint-Germain. Effectivement, les Allemands s’étaient repliés dans cette localité. A ce moment là un petit avion de reconnaissance nous survola. Il était très bas, il nous sembla, qu’il avait des cocardes bleu, blanc, rouge, mais il avait aussi la croix gammée, sur le côté ce qui nous sembla bizarre. Le vendredi soir vers 18 heures, j’étais au Couder du Viala, quand je vis arriver mon grand-père d’Argols. Il me demanda si je pouvais venir lui donner un coup de main, le lendemain pour dépiquer, car il lui manquait du personnel. Il ne faut pas oublier que la France avait beaucoup de ses soldats prisonniers, et avec les départs en Allemagne au STO il manquait beaucoup de bras. Je lui dis : vu le peu de récolte que nous avions à cause de la sécheresse, et que j’étais réfractaire au S.T.O. nous avions décidé de « calquer ». Il avait l’air ennuyé, son fils Joseph était prisonnier, il était seul, ma grand-mère Irma Miquel étant décédée en 1942. Je lui dis donc : demain matin, si vous avez besoin de moi, envoyez-moi chercher vers 7 heures 30 je viendrai pour la journée. De là il alla chez Grégoire qui lui dit qu’il enverrait son fils Albert ; peu à peu nous arrivions à la journée du 19 août 1944 c’était un samedi matin, il faisait très chaud.

Représailles et barbaries nazies

Mon père est parti vers 5 heures du matin pour ouvrir la boucherie. En descendant à Millau, il rencontra une colonne Allemande qui l’arrêta et lui demanda ses papiers. Il les leur montra et mon père leur parla en Allemand. Ils furent très surpris, il leur dit qu’il avait été prisonnier pendant quatre ans à la guerre 14 – 18. Ils le laissèrent passer.
Vers cinq à six heures du matin Albert Grégoire se prépare pour aller faire sa journée à la machine à Argols. Je le vois passer avec sa fourche et son « bob » noir sur la tête. C’était un beau garçon très grand et très fort pour son âge. Il avait quinze ans mais on lui en aurait donné dix huit. Il avait les traits fins et les cheveux bouclés. Il parlait doucement, et très lentement comme son père.
Moi je mène les bœufs à la pâture au champ de Douzou vers sept heures, j’entends des coups de feu, venant du côté d’Argols, cela m’intrigue et je ramène les bœufs au Couder du Viala et les rentre dans le Camp Grand où ils se gardent seuls. De là, je surveille le mamelon qui domine Argols, soudain je vois arriver deux hommes courant. Je les laisse venir, me tenant près du poirier dans le jardin de la « Baraquière », d’où je pouvais voir sans être vu. A la sortie du chemin d’Argols, je les reconnais, je vais à leur rencontre. C’étaient, Gaston un des fils Sévigné avec un autre jeune de son âge. Ils me disent : « Marcel va-t-en les Allemands ont attaqué Argols, nous avons fui, ils nous ont tiré dessus, ils nous poursuivent et vont peut-être venir au Viala. Je les ai remerciés. Ils sont repartis en courant. J’avais quelque chose à faire avant de me cacher. Effectivement, j’avais les armes et les habits de Déjean à la maison, et j’ai de suite pensé que si les Allemands les trouvaient ils mettraient le feu au Viala et tueraient toutes les personnes se trouvant sur leur chemin. Très vite, je suis allé à la maison j’ai mis tout le matériel dans une grande « sache » et je suis allé le dissimuler dans un grand buis derrière les granges du Viala. Je suis revenu dans ma cachette du jardin pour guetter, prêt à partir dans les bois, s’ils arrivaient. Au bout d’un certain temps, j’aperçus une femme qui venait en courant d’Argols ; je n’entendais aucun bruit, et je ne voyais plus rien, depuis un bon moment. Quand elle fut proche de la « lavagne », je l’ai reconnue : c’était Madame Sévigné, la fille aînée de Monsieur Gaubert, elle avait été à Argols à la machine pour aider son père ce jour-là et faire la cuisine. Elle était très fatiguée et dans un fort état d’épuisement, je la questionnais, elle m’expliqua fébrile, que les Allemands avaient attaqué Argols. Ils avaient tiré sur les hommes de la batteuse qui se sauvaient. Ils en avaient pris d’autres pour les descendre à Millau, car ils n’avaient pas leur carte d’identité. Elle me dit : il me faut aller à la Glène, prévenir mon mari Gatien pour qu’il fasse porter la carte d’identité de notre fils Albert, ils le relâcheraient dès qu’ils l’auront vue.
Je lui demandais ce qu’il était advenu de mon voisin Albert Grégoire, elle me dit : les Allemands l’ont pris avec les autres, lui non plus n’avait pas sa carte d’identité. Aussitôt, ma décision a été prise, il fallait essayer de les sauver tous les deux. Je dis à Madame Sévigné : pour aller à la Glène, il y a bien du chemin, vous êtes fatiguée, il faut se presser, je vais y aller en courant. Mais vous, allez prévenir Monsieur et Madame Grégoire de ce qui s’est passé à Argols. Ils sont dans un champ près de la route nationale, derrière le bois des « Roubes », afin qu’ils viennent chercher la carte d’identité de leur fils pour le faire libérer. Cela vous fera beaucoup moins de chemin et tout le monde sera prévenu plus tôt. Passez par le champ des « Pierres », ils sont dans une combe près de la route. A neuf heures environ, j’étais à la Glène, je prévenais Gatien Sévigné de ce qui était arrivé à son fils Albert et qu’il envoie à vélo un de ses enfants, porter la carte pour le faire libérer. Hélas, je crois que les Allemands, le voyant arriver lui tirèrent dessus, il réussit à prendre la fuite.
Au retour de la Glène, je ne prenais pas le même chemin qu’à l’aller, car je décidais d’aller voir Monsieur Pitôt pour lui raconter ce qui est arrivé à Argols. Soudain, j’entendis une rafale de mitrailleuse suivie de coups de feu. Je descendis en courant le champ de Monsieur Grégoire au-dessus de la route de Saint-Léons, tout-à-coup j’entendis les balles me siffler aux oreilles ; je m’arrêtais et voyais deux soldats Allemands sur le chemin des « Pierres » habillés en tenue de camouflage et casqués. Ils se sont arrêtés, m’ont tiré dessus, pour me tuer. Il y avait environ trois ou quatre cents mètres à vol d’oiseau et à cette distance on peut très bien tuer quelqu’un avec un fusil de guerre. J’ai compris qu’il fallait que je me mette à couvert il y allait de ma vie. A une cinquantaine de mètres, une haie de bordure descendait du haut en bas du champ. Malgré les balles qui me sifflaient aux oreilles, en m’accompagnant, j’arrivais à la haie, je la sautais, je me mettais à quatre pattes et redescendais en bas du champ, ainsi j’étais caché à leur vue. J’allais vers les Combettes Basses, et remontais voir Monsieur Pitôt.
Arrivé chez lui, il me dit : une traction avant vient de passer avec quatre maquisards. Ils sont armés de mitraillettes, de révolvers et de grenades ; ils s’étaient arrêtés chez lui, et lui auraient demandé où se trouvaient les Allemands.
Il leur répondit avoir entendu des coups de feu, mais il ne les avait pas vus. Ils devaient être sur la route de Millau où de Saint-Léons. Il leur dit « ne montez pas là haut avec votre voiture, laissez-là ici, cachée dans un chemin, allez-y à pied, vous verrez mieux, ce qui se passe et à qui vous avez à faire. J’ai fait la guerre de 14 – 18, et croyez-moi, il vaut mieux agir prudemment ».
Celui qui commandait le groupe dit aux autres : « nous n’avons pas le temps on y va ».
Où allaient-ils avec leur véhicule ? A la mort !
Ils firent environ cinq à six cents mètres, après le bois de pins à l’entrée du chemin d’Argols ils se trouvèrent à découvert face aux Allemands. La mitrailleuse et une partie de la colonne allemande étaient sur la nationale 111 à quatre cents mètres.
A la vue des Allemands, ils ont dû commencer à tirer, ou vice-versa, on ne le saura jamais, mais la mitrailleuse qui était sur la route arrêta net la traction et la cribla de balles.
Le grand blond frisé avait la cuisse ouverte et traversée de balles, l’autre était mort à cinq mètres de lui ; tous deux avaient le coup de grâce dans la tête.
Le troisième, blessé, parvint à s’échapper, ainsi que le quatrième indemne. Ils passèrent au Viala et réussirent à fuir vers les Cauzits poursuivis par les Allemands. (Selon le témoignage de Mme Odile Balard-Gayraud : ils furent accueillis et soignés par son père aux Cauzits qui la nuit les transporta avec sa carriole à cheval à Saint-Laurent-du-Lévezou.).
A ce moment là, Monsieur Grégoire qui avait été prévenu par Madame Sévigné de la capture de son fils Albert, était venu chercher la précieuse carte pour le faire libérer. En sortant de sa cuisine les deux soldats Allemands lui tirèrent dessus, les balles frappèrent le seuil de la porte d’entrée de la maison. C’étaient probablement ceux qui m’avaient tiré dessus.
Voyant cela il rentra chez lui et sortit par une fenêtre, derrière la maison. Il alla se cacher dans le bois. Là il ne savait où aller. Il aperçut les deux soldats le fusil en avant qui le cherchaient mais il réussit à leur échapper.
Les Allemands étaient sur la route avec leurs prisonniers de la batteuse et qu’avaient-ils décidé ?
Madame Grégoire et Madame Sévigné s’étaient cachées sous un aqueduc sous la route. De là les Allemands ne les voyaient pas. Elles guettaient le retour de Gabriel et entendirent la mitrailleuse tirer, mais elles ne voyaient rien et ne savaient pas pourquoi ils tiraient. Elles ignoraient en effet cette histoire de maquisards et de voiture. Après une attente, elles entendirent un grand cri, une grande clameur tragique poussée par plusieurs hommes, la mitrailleuse tirait …et après des coups de feu.
Madame Grégoire dit à Madame Sévigné : « On nous les a tués, j’en suis sûre, il me faut y aller ».
Elles sortirent de l’aqueduc agitant leur mouchoir blanc pour prouver qu’elles voulaient parler.
Les Allemands les laissèrent avancer, elles demandèrent à parler à l’Officier, qui les commandait. Elles voulaient lui dire que leurs fils se trouvaient à la machine à aider un voisin, l’un avait quinze ans et l’autre vingt et ils étaient innocents.
L’Officier les laissa parler et leur dit :
« Madame vous pouvez repartir sans crainte, votre fils ne risque rien, et celui de madame aussi, nous nous occupons d’eux ».
L’Officier fit signe à ses soldats de les laisser partir, mais Madame Grégoire avait un mauvais pressentiment. Elle ressentait que l’Officier leur avait menti. Les Allemands s’en allèrent vers le Bois-du-Four et mirent le feu à la ferme de la Baraque de Vinnac.
Madame Sévigné passa par le « Pous de l’Eclop » pour s’arrêter chez monsieur Pitôt, et là nous raconta ce qui venait de se passer. Elle ignorait la mort de son fils Albert.
Elle repartit aussitôt, car il lui tardait de savoir ce qu’avait pu faire, Gatien son mari, pour leur fils.
Monsieur Pitôt m’avait proposé de prendre le repas avec eux, mais le cœur n’y était pas, on ne savait plus rien, et on pressentait qu’il était arrivé un malheur. Peu après on entendit frapper à la porte. Nous nous demandions qui était là. Cela pouvait être les Allemands. .
C’étaient M. et Mme Grégoire en pleurs : « on nous les a tués, ils sont au bois de Vinnac ».
Gabriel était bien arrivé, avec la fameuse carte, mais les Allemands étaient partis vers le Bois-du-Four, il avait perdu du temps dans la forêt pour échapper aux soldats qui poursuivaient le maquisard blessé. Il n’avait pas pu arriver assez tôt pour la leur présenter.
Mme Grégoire lui dit alors son angoisse, la grande clameur, le tir de la mitrailleuse, elle proposa d’avancer de quatre ou cinq cents mètres sur la route pour voir s’ils ne remarquaient rien, ce qu’ils firent. Ils trouvèrent le spectacle écœurant de tous ces hommes tués, recouverts de quelques branches de sapin, au milieu leur fils Albert mort à côté d’Albert Sévigné.
A ce moment là, il n’y avait plus personne, on ne peut imaginer leur immense douleur. Toutefois Gabriel réalisa qu’il ne fallait pas laisser les corps de ces enfants dehors pour la nuit.
Ils décidèrent sur le champ d’aller retirer le corps de leur fils, et dirent à M. Pitôt, ce qui était arrivé. Je fus chargé d’aller prévenir le domestique Clément Falgueryettes, qui travaillait dans un champ pour qu’il vienne nous aider. Nous sommes arrivés au Viala, Gabriel a attelé le cheval à la jardinière, nous avons mis un matelas dessus et sommes partis par la route de Saint-Léons, tous les trois. En passant nous avons vu à hauteur du chemin d’ Argols, la traction avant, mitraillée avec les deux maquisards morts.
Nous avons pris, le corps du pauvre Albert Grégoire et nous l’avons déposé sur la jardinière, il y avait à côté de lui, Albert, Sévigné 20 ans, ils s’étaient certainement mis ensemble se connaissant bien. Ils étaient morts l’un à côté de l’autre, les autres, je les connaissais presque tous.
Ils étaient criblés d’impacts de balles et il y en avait un dont la tête avait éclatée et complètement défiguré. Tous avaient reçu le coup de grâce dans le crâne.
Il n’y avait ni Sauvat, ni Calmels, mais ils étaient morts à trente mètres de là, nous l’avons su plus tard. Sauvat était un copain de mon âge, je l’aurais reconnu.
Quant à moi, j’avais ramassé le bob d’Albert, il y avait le trou de la balle du coup de grâce. Je l’ai donné à M. Grégoire.
De l’autre côté de la route, où se trouve le monument actuel il y avait un petit genévrier, la mitrailleuse avait été placée là, et il y avait au moins deux cents douilles de balles en tas sur le côté. J’en ai déduit que la mitrailleuse avait servi à tirer sur la voiture des maquisards, puis ils l’ont tournée pour abattre le groupe d’hommes de la batteuse emmené là. Nous avons retraversé la plaine rapidement, avons fui comme des voleurs, et nous avons bien fait, car les Boches sont revenus peu de temps après, s’ils nous avaient surpris, ils nous fusillaient.
A ce moment, M. Pitôt était allé voir le lieu de la tragédie et les corps. Les ennemis lui demandèrent ses papiers.
Il leur dit, qu’il se promenait, habitant près de là, il connaissait ces hommes, c’étaient des agriculteurs du coin.
Ils lui dirent de partir. Comme il traversait la plaine et allait disparaître ils lui tirèrent dessus pour le faire courir. M. Pitôt ne bougea pas et réussit à se mettre hors de leur vue, mais il l’avait échappé belle.
Il nous a révélé que les corps avaient été fouillés, il y avait des papiers au bord de la route jetés dans le fossé.
Quant à nous, nous sommes de retour au Viala et tous les trois avons monté Albert dans une chambre. Dans la soirée, une dame est venue, nous avons habillé mon ami. Il avait reçu trois balles, une au cœur, l’autre à l’aine et une autre à l’épaule. C’est là que j’ai vu que les balles en rentrant font un trou qui ne se voit presque pas, mais en ressortant, il est gros comme une pièce de dix francs.
La soirée se passa à garder Albert toute la nuit, avec ses parents qui se sont remplacés. Le lendemain matin, des gens sont venus leur rendre visite.
Quand mon père le soir revint de Millau, il n’était au courant de rien, et grande fut son émotion. Il me dit que mon copain Déjean était mort au bout de la route à l’embranchement de Saint-Léons.
Cela m’intrigua. Le dimanche, j’allais voir mais ce n’était pas lui, c’était un des deux maquisards qui faisait parti du maquis d’Aldoza, tué le vendredi. Il portait un tricot gris avec la croix de Lorraine comme Déjean, ce qui avait trompé mon père. Il était seul dans un trou à moitié enterré à côté de son copain.
J’en profitais aussi pour aller voir la ferme de la Baraque des Pins, où les Allemands avaient mis le feu. Elle était détruite complètement et avait brûlé, tout était consumé. Les chars à bœufs étaient posés à plat comme un puzzle. Cela avait dû être détruit avec des grenades incendiaires, il ne restait rien, que quelques pans de murs.
Les obsèques d’Albert Grégoire ont eu lieu le lundi après-midi à 14 heures. Nous étions devant, pour le porter jusqu’à la jardinière qui allait l’emmener à sa dernière demeure. La famille et les voisins suivaient à pied, au rythme du cheval. Tout le long du parcours, on entendait le glas des églises de la vallée, célébrer les obsèques des enfants du pays, tués dans cette guerre avec ses impondérables et ses tragédies. Il y eut en effet Albert Sévigné 20 ans, Raymond Gayraud, 16 ans, et Germain Blanc des Cauzits 23 ans. Tous enterrés cet après-midi là.
Il y avait beaucoup de monde et tout se passa dans l’ordre. Toutefois l’occupant était toujours là, et tout au long du chemin, nous étions inquiets qu’il ne revienne ; le bruit en avait couru, et des parents empêchèrent leurs enfants de venir aux obsèques.
Le mardi 22 août 1944, les Allemands quittèrent Millau sans combattre par la route nationale 9 allant à Montpellier. A la sortie de Millau au Pont Lerouge, ils tuèrent un jeune de 21 ans qui allait travailler. Sur le plateau du Larzac ils se trouvèrent face à des maquisards, à la Pezade : il y eut 23 maquisards tués. Un monument a été élevé à leur mémoire. Ce même jour, vers onze heures, j’entendis une voiture arriver dans la cour du Viala en klaxonnant. C’était Déjean et trois autres jeunes qui arrivaient tout contents, très bruyants, venant m’annoncer que les Allemands étaient partis, la guerre allait être terminée, ils venaient chercher les armes, qu’ils avaient laissées ; l’après-midi il y aurait un grand défilé et il leur fallait la tenue et les armes.
Je leur dis d’abord de se taire, de faire un peu moins de bruit. Je leur ai expliqué le drame et la tragédie qui étaient arrivés, ils ne savaient rien. Je leur dis de m’attendre au Couder et de ne pas rester là par rapport aux parents d’Albert. Ensuite nous sommes allés chercher tout le paquet de vêtements et les armes que j’avais cachés dans notre bois au-dessous du Viala. Ils voulaient que je descende à Millau, le soir pour faire la fête. Mais cela m’était impossible, je n’avais pas le cœur à la faire.
Je ne suis descendu à Millau que le lundi suivant pour récupérer mon vélo, c’était vital pour circuler. Je mis plus d’un jour, pour retrouver mon copain Jacques Frézal, et mon vélo, qu’il avait abandonné près du cinéma « le Paillous ».
A la libération de Millau, le 22 août 1944 des filles furent tondues pour collaboration avec l’occupant. Un millavois, Prunières, artiste peintre après un jugement sommaire, fut exécuté au stade Paul Tort. Le stade était plein à craquer. Je n’y allais pas, je trouvais cela trop indécent.
Pendant trois ou quatre mois, ce ne fut que fête, bals et guinguettes. Il faut savoir que depuis cinq ans cela était interdit, notre jeunesse était passée et perdue. Mon frère Justin sortit de sa clandestinité, il était resté caché deux ans et six mois, chez sa future femme Emilienne Lestrade, il n’y avait qu’une femme pour faire cela. Mon autre frère Hyppolyte était dans l’armée du Rhin, il avait terminé la guerre en Autriche, près de Bertesgadem.
Les rations alimentaires augmentèrent, le marché noir avait proliféré pendant la guerre, comme les lapins ; il fut traité énergiquement pour le faire cesser. Les maquisards avaient combattu avec beaucoup de courage et de volonté, mais très peu armés et mal encadrés, ils ne pouvaient lutter à armes égales contre les Allemands.

En 1945 les parents de Marcel Malzac voulurent vendre la boucherie, mais Marcel revenu du service militaire la repris en gérance. C’est là qu’il rencontre sa future épouse Josette Rivié de Peyre. Ils se sont mariés en 1947, eurent 2 filles, des petits-enfants et arrières petits-enfants.

Nous terminerons par la maxime de Marcel Malzac :
« Le passé doit nous faire apprécier le présent et prévoir l’avenir  »

Alain Bouviala au cours de sa conférence (photo Jean-Louis Cartayrade)

Commentaires