Conférence PAUL FINIELS du 29/01/18 : gantières et gantiers ou la main intelligence de l’outil

lundi 12 février 2018
par  Martine Astor

La Société d’Études Millavoises vous retransmet la conférence donnée par Paul Finiels le vendredi 19 janvier 2018 à Millau, salle de conférences du CREA.

GANTIERES ET GANTIERS
OU LA MAIN INTELLIGENCE DE L’OUTIL

C’est un exposé sur le mode amical que je vous propose, une vision de témoin engagé, une invitation à en savoir plus.

Il existe d’excellents ouvrages sur la ganterie, et les différents types de gants, leur usage et leur histoire à travers les siècles, ainsi que sur l’impact de cette profession sur la vie sociale à Millau. ( peau – gant - gant)

Mon propos sera de vous présenter les outils des gantiers et gantières dans la fabrication traditionnelle des gants de peau à Millau de 1800 à 1960.

Certains de ces outils sont présentés au musée de Millau, chez Causse Gantier, à l’Atelier du Gantier, et au Gant Fabre notamment.

Je tenais à faire partager mes souvenirs des années passées dans l’atelier paternel et chez nos clients et amis gantiers.

Dans ma famille, je représente la cinquième géhération à avoir travaillé avec ou pour le cuir, la peau ou les gants.

atelier Finiels
carte maison Finiels
facture maison Finiels

Vos remarques sur les erreurs que j’aurais pu commettre seront les bienvenues.

Les avertis d’entre vous pardonneront les raccourcis dus au temps dont je dispose, les autres découvriront un monde qui leur est étranger et désireront en savoir d’avantage.

A Millau il s’agisait essentiellement de gants de ville et de cérémonie, bien qu’il y eût un spécialiste de gants de boxe, et une production de gants de travail et de gants pour handicapés.

On fabrique toujours de très beaux gants de grande renommée à Millau, mais cette activité aujourd’hui est trop réduite pour justifier la survivance sur place d’outilleurs .

L’honneur de la réputation gantière de la ville est sauf. Mais les outilleurs et accessoiristes locaux spécialisés au service des gantiers ont disparu.

Au début du XIX ème siècle, Millau comptait 20 patrons gantiers et 400 ouvriers

Fin du XIX ème : 70 ganteries.

De 1919 à 1933, 76 ganteries dont 27 employés et 500 ouvriers ou plus.

En 1963 , 6500 gantiers et gantières travaillaient à Millau et dans les environs.

Comparons la place gantière de Millau à la production française en 1958 :

Millau 316 223 paires
St-Junien 143 803
Grenoble 137 732
Niort 20 715
Vendôme 51 664

A partir des années 60, le déclin s’est accéléré.

Actuellement subsistent à Millau 6 ganteries et un artisan. Ils confectionnent de très beaux gants.

La ganterie est un métier essentiellement manuel : la gestuelle est étroitement liée à l’outil , ce qui implique une présentation aussi bien de l’ouvrière et de l’ouvrier que de leur outil de travail au cours des différentes opérations de confection d’une paire de gants.

L’origine de l’essor de la ganterie à Millau est due à l’abondance d’agneaux et de moutons sur nos causses. Leurs peaux peu lainées à fleur très fine, mégissées avec les eaux calcaires du Tarn ont créé la renommée de la ganterie millavoise.

Les agneaux appelés regords étaient tués très jeunes afin de garder le lait de brebis pour la confection du Roquefort.

Notons en passant qu’en peausserie les brebis sont des moutons et les agnelles des agneaux. ( N’y voyons là aucune allusion à la théorie du genre actuellement à la mode.)

A Millau, au XIV ème siècle, les consuls offraient des gants aux messagers consulaires.

Cependant, Alexis Monteil, ce Ruthénois ( ayant une vue ruthénoise du Millavois ) a écrit dans sa Description du département de l’Aveyron au chapitre 8 sur les arts mécaniques, « l’art du gantier transporté des bords de l’Isère sur ceux du Tarn n’y subit que de légères modifications. »

Jules Artières dans « Millau à travers les siècles » précise que l’art des gantiers millavois n’a pas attendu que Antoine Guy, né et mort a Millau (1723/1784) ayant voyagé en Allemagne , en Suisse et étant passé par Grenoble, sur les bords de l’Isère, le pays des gants de chevreau, ait amené quelques modifications pour asseoir sa réputation.
Comme quoi en histoire rien n’est définitif.

De tout temps, dès qu’on a su tailler et coudre, on a porté des mitons ou moufles. L’usage de gants à doigts séparés date du XIIe siècle.
Quels sont les outils des gantiers d’alors ? Qui les fabrique ? Comment les utilisent-ils ?

La description en est faite pour la première fois en France au XVIII siècle par les dessins de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Ils représentent l’outillage utilisé pour cette époque . Les formes et appellations des divers outils et des différentes parties du gant sont les mêmes aujourd’hui.

femme
hommes

Sur place ce sont essentiellement des artisans menuisiers , taillandiers et couteliers qui fabriquent les outils spécifiques des gantiers, tables, ciseaux , couteaux à doler, etc.
Au fur et à mesure des évolutions techniques, des machines de fabrication industrielle non spécifiques de la ganterie comme les machines à coudre et à broder, ont été spécialement adaptées au travail de la peau pour gant et sont vendues et réparées par des artisans locaux. D’autre part, des mécaniciens spécialisés ont fabriqué des emporte-pièces, des calibres, des lisses et autres accessoires.

Les corporations locales qui avaient la mainmise ( c’est le cas de le dire) sur les modes de fabrication ayant été supprimées à la Révolution , c’est en 1830 que la ganterie commence à être codifiée pour tout le pays avec l’apparition de 322 gabarits de référence des diverses pointures et formes de gants créés par Xavier Jouvin de Grenoble.


Après ce bref avant-propos, entrons dans une ganterie et, pour rendre les souvenirs plus vivants, je m’exprimerai désormais au présent.

Qu’il s’agisse de gantier ou de gantière travaillant en atelier ou à domicile, et selon l’importance de l’entreprise, certaines opérations ne sont pas toujours l’objet d’un service particulier, une même personne pouvant réaliser plusieurs étapes de la fabrication.

La coupe :

Tout commence par le coupeur à qui le metteur en passe a remis les peaux qu’il a sélectionnées, accompagnées du bulletin indiquant le nombre, le type et la taille des gants à couper.

Plusieurs sortes de peaux sont utilisées en ganterie, notamment des peaux d’agneau, de mouton, de chevreau, de chèvre, de pécari , de porc, de caprins, d’ovins, de veau, d’autruche et de chamois.

Les gants, au fur et à mesure de l’eur élaboration, vont de passe en passe.

La passe est le nombre de paires de gants à confectionner par l’ouvrier ou l’ouvrière en une fois. La même passe va successivement passer entre les mains des différents intervenants dans le processus de fabrication que nous allons suivre.

Les passes se composent le plus souvent de sizains et les gants se comptent en douzaines de paires. Une bonne gantière à domicile ou en atelier peut faire plusieurs passes dans la journée : « honni soit qui mal y pense ». Le travail urgent est appelé la presse et aller le ramener à l’atelier se dit aller remettre.

Le travail du coupeur a très peu évolué dans le temps , ses outils, leur appellation ainsi que celle des différentes parties du gant sont, à quelques détails près, les mêmes en 1960 qu’en 1800 .
L’outillage du coupeur se compose :

D’une table spéciale de gantier, en bois, haute, solide avec un plateau épais et un grand tiroir. Sur la table, une nappe pliée qui est un carré de tissu , un pavé de marbre, un couteau à doler et la pierre à affûter, un couteau à déborder, un couteau à piquer, un pied de gantier : baguette de bois de 32,4 cm de long graduée en pieds de 12 pouces de 2,7 mm divisés en 12 lignes de 2,25 mm. Cette mesure n’a rien à voir avec les mesures anglaises et sont des mesures spécifiques de la profession (selon la légende, il serait question du pied de Charlemagne, à moins que ce ne soit celui de Berthe au Grand Pied au singulier.,) une paire de ciseaux spéciaux du métier de tailleur, une poudrette garnie de talc et un tampon en peau en forme de pomme pour répartir le talc , un tampon gras soit passé sur la sueur du front, soit imbibé d’huile de machine à coudre pour foncer une zone trop claire, une série de gabarits en carton, une série de ridelles accrochée au mur ou une ridelle réglable dans le tiroir avec le tampon encreur ;
devant la table, un tabouret pour soulager de la position debout quasi permanente, l’ensemble à proximité d’un point d’eau.

( ciseaux – couteaux – pied – couteau à doler – ridelle fixe – ridelle réglable )
La présence d’une lame de palisson mentionnée au XVIIIe siècle a disparu au XIXe pour devenir le travail du mégissier, ou du dérayeur à façon.

Prenons le cas d’un coupeur .

Avant de tailler les étavillons qui sont les différentes parties de peau découpées qui constitueront le gant, le coupeur humidifie la peau pendant quelques minutes en l’enroulant , pliée fleur contre fleur dans la nappe préalablement humidifiée. Ensuite, il l’étire à la main à l’aide du rebord de la table dans des sens bien précis et d’une façon régulière et suffisante pour que le gant s’applique parfaitement aux formes des différentes mains d’une même taille sans se déformer. C’est le dépeçage, terme typiquement gantier.

Pour ce faire, il sait que la peau étirée n’augmente pas de surface. C’est à dire que le gain en longueur correspond a une perte égale en largeur. Il sait aussi que les fibres de la peau ont un sens et une souplesse différente selon que l’on travaille le collet, les flancs ou la culée et qu’il doit découper la peau en tenant compte de chacune de ses parties ; de même il travaille l’étavillon en fonction de son élasticité.

( peau - coupeur)

S’il observe une irrégularité d’épaisseur de la peau, il l’applique côté fleur sur le marbre bloqué au bord de la table et l’égalise avec le couteau à doler. Depuis les années 1930, les peaux étaient dolées en mégisserie ou en ganterie par les dérayeuses et le coupeur n’avait qu’à affiner le dolage dans certains cas.

( doleur – débordage )

La peau entière étant dépecée , avant de découper l’étavillon à l’aide du gabarit, il marque l’emplacement des formes à découper et repère les éventuels défauts de la peau appelés « plaçures » afin qu’elles se situent dans les chutes. Il taille l’étavillon et le travaille avec le couteau à déborder entre lame et pouce pour mettre en place le cuir mort dans le bon sens et lui donner la forme exacte du gabarit en carton en respectant les « étajures » (endroit des petits doigts). Dès la mise au large pour donner la taille, il applique la ridelle côté chair pour vérifier qu’une fois l’échantillon mis au long, les repères imprimés par la ridelle soient restés parallèles. Ce travail complète le dépeçage de la peau avant découpe.

( carton – dessin f f )
Ne pas oublier la coupe des fourchettes, ces bandelettes de peau à coudre aux entre-doigts. Il y en a deux sortes : selon qu’il s’agit d’une coupe Jouvin (dite aussi à potence), ou d’une coupe ricochet. Elles sont cousues avec les carabins, ces petits triangles de peau qui donnent de l’aisance à la naissance des doigts.


Comme les gants, les pouces vont par paire. Le coupeur les colle fleur contre fleur d’un coup de langue sur le doigt ou directement sur la peau. Tous ces étavillons sont des rectangles de peau prêts à être vérifiés.
Bien entendu, le collage est d’autant meilleur que le coupeur a mangé des trénels ou des pénous sauce poulette, qui sont des mets traditionnels contenant du collagène.

Il fait tout cela avec ses bras, ses mains , à l’aide du pied en bois, du couteau à piquer ou de l’ongle du petit doigt qu’il laisse long, du couteau à déborder, du couteau à doler, de la poudrette et du tampon talqué, des ciseaux et de la ridelle qui permet de vérifier que l’étavillon a été correctement dépecé.

L’usage de la ridelle a disparu avec le temps.

Ce travail requiert de la force physique, un coup d’oeil averti (aucune peau ne réagit de la même façon), un esprit de jugement, une pratique gestuelle précise et l’art de manier les outils sur la peau.

Aucune peau ne se comporte de la même façon. Il est évident qu’une peau d’agneau glacée, d’autruche ou de veau velours demandent un savoir-faire très différent.

Ce savoir-faire nécessite au moins 24 mois d’apprentissage pour les plus doués et donne des mains reconnaissables à leurs coussins, à l’ongle long du petit doigt pour marquer les plaçures, aux varices de ceux qui ont pratiqué le métier durant plusieurs années et qui ont souvent une épaule plus haute que l’autre à force d’avoir effectué ce mouvement caractéristique du coupeur étirant la peau sur le rebord de la table. On parle des dos en mandoline.

Les étavillons réalisés en supplément de la demande du metteur en passe doivent être restitués, mais ils sont inavoués et considérés par l’usage comme la propriété du coupeur et s’appellent le « flanche » ce qui permet une fabrication occulte de gants de contrebande.

L’expression «  Aller mouiller ou tordre la nappe  ». a un sens imagé : certains coupeurs à domicile et ils sont nombreux vont mouiller et tordre la nappe sur le bec verseur des nombreuses fontaines de la ville. « Aller mouiller ou tordre la nappe » veut aussi dire aller boire un coup, pas obligatoirement à la fontaine. On peut aussi classer les bornes fontaines de la ville parmi les outils des gantiers. Dans les ateliers, le vin des vignes entourant Millau attend le coupeur, tandis que sa nappe dans la cuve d’au fraîche attend d’être tordue.

Le passeur de gant.

Le coupeur empile les étavillons par paires entre deux planchettes accompagnés de leur bulletin de coupe et les adresse au passeur de gants qui vérifie le travail du coupeur. L’étavillon ne doit pas présenter de parties mortes ou endormies, c’est-à-dire non travaillées, ni de défauts d’aspect et les repères de la ridelle doivent être toujours en place.

Selon les indications du bulletin certains étavillons sont dirigés vers la pécarineuse.

( pécarineuse)

La pécarineuse est une presse équipée de plaques gravées selon le grain à obtenir que ce soit de l’autruche, du pécari, ou tout autre sorte de peau à imiter. Elles sont fabriquées hors Millau par des constructeurs de machines de tannerie. A Millau, des représentants (le plus souvent des artisans mécaniciens) en vendent, les entretiennent et les dépannent . Toutes les ganteries ne possèdent pas de pécarineuse et il y a des « pécarineurs » à façon .
La pécarineuse est une création du XIXe siècle ; il en existe en mégisserie traitant les peaux entières. C’est une façon d’utiliser des peaux dont les défauts de surface les rendraient impropres à être utilisées sans maquillage.

Le marquage :

Les sizains sont confiés à la marqueuse ( terme local) qui assemble les gants paire par paire, y imprime côté envers au haut de la manchette ou rebras, la taille et la marque.

Plusieurs méthodes de marquage sont utilisées. A savoir :

Le pochoir qui comprend autant de plaquettes de laiton perforées que de marques et tailles à imprimer avec un pinceau en forme de blaireau et de l’encre spéciale.

Le système transfert est un ensemble composé d’un rouleau de papier soie sur lequel sont collés en cire dorée les chiffres et textes à imprimer et d’un petit fer électrique rond monté sur un manche qui, appliqué sur le papier, imprime le gant à l’emplacement désiré en y déposant la cire.

Le procédé du composteur à encre spéciale ;

Cet outillage n’est pas exclusif de la ganterie. Il n’est pas fabriqué à Millau.

La fente :

Est appelé « fente » le lieu où l’ étavillon est découpé pour prendre la forme d’un gant.

Création du début du XIXe siècle, ce procédé a remplacé la paire de ciseaux.

Est aussi appelé "fente" le matériel utilisé pour découper mécaniquement les étavillons .

Après l’arrivée des gabarits en 1830 qui ont codifié tailles et formes des gants, le Grenoblois XavierJouvin inventa les mains de fer, autrement dit les calibres tranchants.

Ce fut une invention très importante qui permit de tailler d’un seul coup de presse 6 gants à la fois, alors qu’avant chaque étavillon devait être découpé doigt par doigt au ciseaux.

Ce sont des calibres tranchants qui découpent le dessus et dessous de main en une ou deux pièces et séparément le pouce et les fourchettes, le cœur et les carabins. Il en existe autant que de pointures pour homme, dame, garçonnet en coupe dites larges ou étroites pour gants fourrés ou non et parfois pour les formes de gants spéciaux. Les différentes pointures vont par quart de taille de 6 à 7 ½ pour les dames et de 6 ½ à 8 pour les hommes.

Ces calibres se composent d’une plaque en tôle d’acier sur laquelle sont vissés des plots d’acier aux formes à découper sur lesquels sont vissées les lames en acier trempé, le tranchant vers le haut.

( calibre gant – calibre fourchette – calibre pouce )

Ce sont des outils dits de taillanderie, œuvres d’ajusteurs spécialisés dans l’ajustage (évidemment) mais surtout dans la trempe et le revenu à la forge, ainsi que dans la soudure. Ce sont des actions délicates au savoir-faire empirique et précis. La bonne température est atteinte quand la couleur de la pièce à tremper se confond avec celle d’un écran témoin. Après la trempe, le revenu dont la couleur idéale est le gorge de pigeon. La soudure de certaines pièces s’apparente aux soudures d’orfèvres ou d’armuriers.

Ces outils proviennent d’artisans millavois pour la plupart, mais aussi d’artisans grenoblois ou parisiens.

Les termes employés pour désigner les différentes parties du gant et celles des calibres sont les mêmes :
Dessus de main, dessous de main, enlevure Jouvin ou enlevure ricochet, fente, piquettes, rebras, manchette, cœur, pouce, fourchette pour ou sans carabin, carabin.

Le sizain d’étavillons est placé sur le calibre, le « souc » par-dessus . Le souc ou assise de coupe est un rond de bois debout cerclé de fer, conservé humide dans un bac près de la fente.

L’ensemble est enfilé sous le plateau de la presse. Le « souc » est régulièrement égalisé par le menuisier car au fur et à mesure des pressions de découpe, sa surface s’use et se déforme.

Ces mains d’acier découpent en un seul coup de presse les forme les plus élaborées du gant dans les moindres détails.

( calibre devant la presse – gant découpé – presse )

Il arrive que des tombées de peau s’incrustent entre les lames des doigts de calibre : le fendeur les enlève à l’aide de la « curette » qui est une fine lame recourbée montée sur un long manche. Ces tombées et les autres chutes de peau sont appelées « retaille » ou « moscof » selon qu’elles sont utilisables ou non pour de la confection de petites réalisations.

( curette – calibre traditionnel et coupé sur pièces )

Il existe plusieurs sortes de fentes qui sont des presses mécaniques à vis et balancier à main à col de cygne ou à pont. Elles sont apparues en même temps que les calibres tranchants au début du XIXe siècle. Elles ont été suivies, au début du XXe siècle, par les mêmes électrifiées et certaines plus puissantes et à mouvement continu. De nos jours certaines sont hydrauliques.

Une loi de 1814 donne obligation aux propriétaires de presses mécaniques de les déclarer à l’administration, sous peine d’amende. Cette obligation avait pour but de pouvoir contrôler qu’il n’y ait pas d’imprimeries clandestines ou d’ateliers de faux monnayeurs.

Les presses ne sont pas des machines exclusives de la ganterie, bien que certains modèles soient particulièrement adaptées à la découpe de gants. Elles sont fabriquées par des constructeurs spécialisés. Il y en a dans tous les pays. Ce sont généralement les artisans mécaniciens locaux qui les vendent et les réparent. Il existe un modèle de fabrication millavois issu des ateliers Ramone.

Les fantaisies :

Le gant étant repéré et fendu avant couture est parfois dirigé vers le service dit des fantaisies pour être orné, décoré par des broderies main ou machine, ou par des perforations main ou machine, ou bien encore peints.

Les différents outils sont :

Les emporte-pièces : la plupart sont réalisés à Millau par les fabricants de calibres. Ils perforent les gants selon les dessins donnés par le client.

La machine à plier et coller les bords des manchettes (pour ne pas avoir à les coudre) est inventée et fabriquée sur place par Franck Finiels.

( emporte-pièces et M.P.L.B. )

Les machines à perforer, proviennent soit du commerce et adaptées à la décoration du gant, soit l’oeuvre d’artisans locaux ou de mécaniciens d’usine. Une de ces machine à perforer le gant entier est l’objet d’un brevet « Lauret/Finiels ».

Les machines à broder industrielles du commerce adaptées à la couture de la peau fine sont entretenues et réparées sur place par des artisans revendeurs. Il y a à Millau un brodeur sur gants à façon. Une mention particulière est à noter pour les broderies Cornély, du nom de la maison qui construit ces machines singulières qui permettent de broder les gants en dessinant et cousant au point chaînette. Franck Finiels les a adaptées au travail sur peaux fines. Elles équipent quelques ganteries.
Madame Elizabeth Baillon, plus tard, leur donne leurs lettres de noblesse : elle en perpétue l’usage avec panache en brodant ses tapisseries , manoeuvrant sa Cornely avec une dextérité jamais égalée. C’est époustouflant de la voir au travail et d’admirer le résultat artistique.

Les zincs , ainsi appelés sont des gabarits en zinc sur lesquels on poinçonne en relief le tracé des broderies ou perforations à effectuer. Ces gabarits appliqués fortement sur la peau impriment en creux le dessin à suivre. Ils sont réalisés par le fabricant de calibres.

La « rentreuse de bouts » qui réintroduit dans le gant les fils laissés en surface par la machine à broder, notamment des trois nervures du dessus de main.

Le garnissage :
La garnisseuse prend les gants paire par paire, les doigts tournés vers elle, choisit les fourchettes les mieux adaptées à la couleur et à la tenue du gant ; elle place les gants fleur contre fleur et pose sur chaque paire les pouces et les fourchettes sélectionnés. Elle empile un sizain et en fait une passe attachée par un « courréjou » (terme local pour une bande étroite de peau ) et la dirige vers la couture.

Les courréjous sont utiles à bien d’autres usages : par exemple on entoure d’un courréjou les branches et l’appui des lunettes sur le nez ou le manche des outils à main (ciseaux, manches de couteau) pour en adoucir le frottement ; toutes sortes de paquets en sont ficelés, les courréjous sont en quelque sorte une des identités remarquables des gantières et des gantiers.

La couture  :
Gant cousu main : selon un document de 1804, sur la ganterie en général, « Les gants fendus à la main sont cousus à l’aide du cousoir (la mécaniquette chez nous) , pour les gants découpés à l’emporte-pièce, on ne se sert pas du cousoir, c’est l’emporte-pièce qui en découpant la peau fait une infinité de petits trous placés à l’arrière du tranchant de l’emporte-pièce par lesquels doit passer l’aiguille. » J’avoue n’avoir jamais vu d’emporte-pièce de gants avec des picots derrière le tranchant sauf pour des emporte-pièce destinés aux fantaisies.

A Millau, le cousu main nécessite simplement une aiguille , du fil et du savoir- faire.

La couture à la « mécaniquette » abandonnée depuis l’arrivée de la machine à coudre est une pince de laiton a bouts dentelés monté sur une tablette. Les dents servent de guide à l’aiguille de la couturière ou de la brodeuse. Elle est estampillée par un fabricant ou revendeur millavois. Elle est utilisée notammant pour broder les 3 nervures ornant les dessus de main.

Avec l’arrivée de la machine à coudre trois types de coutures sont utilisés en ganterie :
- la couture à plat à une ou plusieurs aiguilles pour les broderies,
- le piqué anglais à bords chevauchés sous le pied de biche sur un tube (dont les premières machines sont si bruyantes qu’on les appelle les tapageuses),
- le piqué sellier et brosser qui sont des surjeteuses cousant à bords conjoints entre deux coupelles . Ces machines industrielles adaptées à la peau de gant sont vendues et entretenues par des artisans revendeurs locaux.

Dans les ateliers, les machines à coudre sont mises en batteries de 4 ou 6 entraînées par un même moteur et un arbre équipé d’un embrayage pour chaque machine. Le montage, l’entretien et la réparation sur place de ce matériel est assuré par le mécanicien.

La bonne tenue de la couture est vérifiée au moyen du fuseau. Outil composé de deux baguettes en bois conjointes et reliées au centre par une charnière.

( fuseau)

Par beau temps, dans les rues, les couturières à domicile s’installent pour travailler et bavarder en formant des clubs.

A la grande différence des coupeurs, les couturières ont de belles mains fines et soignées leur permettant de réaliser ce travail tout de finesse et de précision .

Le noircissage pour déposer délicatement la teinture sur la tranche des coutures piqué anglais des gants noirs envers blanc. Cette opération est interdite de nos jours du fait des vapeurs nocives de teinture et de la position pénible du corps pour ce travail. Dès lors la couture des gants de ce type est remplacée par la couture brosser ou sellier. Certaines gantières ont passé une partie de leur vie comme noircisseuses !.

Les doublures  :

Elles peuvent être en tissus molleton, en tricot, en peau de lapin, en peau de chamois ou en soie. Leur fixation s’opère par points de couture, en retournant le gant.

Les molletons reçus en grands rouleaux sont prédécoupés en bandes avec des ciseaux à main, remplacés plus tard par des ciseaux électriques, plus rapides et moins fatigants . Ces bandes découpées en étavillons sont ensuite fendues sur les calibres. Les doublures tricots sont reçues prêtes à être placées dans le gant.

Les doublures lapin, chamois ou soie sont fendues sur les calibres et cousues dans le gant.

Il y a aussi les gants à manchette fendue, fermée par un bouton cousu main ou bouton-pression. Là aussi la mécanique intervient avec la machine à fixer les boutons- pression.

Le dressage :

Le gant manipulé tant de fois au cours de sa confection a besoin d’être « dressé ». C’est-à-dire repassé.

Cette opération a évolué :

Selon un manuel de 1804, le gant est humidifié. Le dresseur introduit dans les doigts le « renformoir sorte de fuseau pour les étirer . Ensuite, avec la demoiselle (autre pièce de bois) il ouvre le gant prêt à être étendu pour sécher.

Plus tard le gant humidifié avec la pièce de tissu en coton appelée « longette » est dressé à la main sur le bord de la table.

Avec le progrès sont arrivées les mains chaudes, mains en laiton chromé comportant des résistances électriques à l’intérieur : on enfile les gants sur ces mains chaudes et on les étire manuellement. Il n’y a pas de fabricant à Millau.

( main chaude)

Il ne reste plus qu’à les lisser pour leur donner l’aspect brillant définitif de beau gant de Millau. Les gants suède ou velours étant bien entendu brossés.

La lisse comporte un ou deux tambours tournants garnis de feutre ou tout autre tissu sur lesquels on appuie les gants. Pliés dans des papiers soie, ils sont prêts à être livrés.

Une lisseuse spéciale de fabrication Franck Finiels sert à« rafraîchir le brillant des gants si nécessaire en magasin après un long stockage ou un essayage » . Elle est formée d’un disque plat tournant, horizontal, garni de peau de mouton lainée, le tout monté sur un trépied.

( lisses)

C’est ainsi qu’après avoir été manipulés au moins 12 fois, ils sont soigneusement pliés dans du papier soie en attendant l’inconnue vie vagabonde que le sort leur réserve.

A l’outillage déjà décrit, il faut ajouter évidemment, tout le savoir-faire et la dextérité proverbiale et essentielle des gantiers et gantières.

Gardons la mémoire des outilleurs au service de la ganterie qui ensemble ont fait vivre plusieurs générations de Millavois et procuré une partie de la richesse économique de la ville.

La qualité de la production actuelle sauve la réputation de Millau.

J’ai tenté de vous transmettre les souvenirs de ma jeunesse, acquis dans l’atelier de mécanique paternel et auprès de nos clients et amis gantiers.

Merci à Elizabeth Baillon, à Michel Delmouly sur les travaux desquels je me suis appuyé, à Jean Dupin pour sa documentation. Une pensée particulièrement reconnaissante chère madame à la mémoire de votre époux Maurice Labbé pour son aide. Sans oublier les plaisirs partagés avec le Maître coupeur Jean Roussel qui pendant quelques années a été au Musée de Millau le démonstrateur de ce métier ainsi qu’avec les Maîtres gantiers Pierre Montrozier, Jean Got et Claude Liron.

Je ne saurai terminer sans recommander l’œuvre d’Elizabeth Baillon,

« Un métier dans la peau » : la ganterie en général et millavoise en particulier y sont admirablement décrites dans tous leurs aspects : symbolique, historique et technique, le tout parfaitement illustré Vous y verrez le plus vieux gant du monde trouvé dans la tombe de Toutankhamon .

Une main bien gantée est dotée d’une deuxième peau et garde la sensation du toucher.

La ganterie est un artisanat d’Art à plusieurs mains.

Papa coupe et maman coud.

Je vous remercie

Paul Finiels.


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