LE DUC DE ROHAN
ET
LE SIEGE DE CREISSELS EN 1628

vendredi 10 décembre 2010
par  Webmestre

2/ LE SIEGE DE CREISSELS

Je vais aborder le corps du sujet : « le siège de CREISSELS » en rappelant très brièvement la situation générale en France, la situation particulière dans le sud de la France, et la situation du moment.

Situation générale

Louis XIII appelé Louis le Juste parce qu’il est né au mois de septembre (le 27) sous le signe de la balance, règne sur la France depuis 1610 ou plutôt depuis 1614 puisque sa mère, Marie de Médicis, a assuré la régence du royaume de 1610 à 1614 (exactement jusqu’au 28 Octobre 1614).
Le cardinal de Richelieu est aux affaires depuis 1624. Il veut la ruine du parti Huguenot qui constitue un état dans l’état. Le duc de Rohan qui est devenu le véritable chef de ce parti de la « Religion Prétendue Réformée (la R.P.R.) », mène ses guerres contre le roi dans le sud de la France.

Situation particulière

Au cours du 1er semestre 1628, le Duc de Rohan et le Prince de Condé pour les catholiques font le siège des places fortes du Sud de la France. Parfois, ils réussissent comme Rohan à PRIVAS, parfois ils échouent comme Condé devant SAINT-AFFRIQUE. Condé lève le siège de SAINT-AFFRIQUE le 6 Juin et se rend à TOULOUSE au lieu d’aller, comme c’était son intention avant de s’arrêter à SAINT - AFFRIQUE, secourir les catholiques de MEYRUEIS qui sont assiégés par Rohan.

Situation du moment

Peut-être savait-il qu’un lieutenant du Duc de Montmorency, autre chef catholique et beau-père de Condé, avec une armée de 2 000 hommes, tentait de porter secours aux assiégés. Mais celui-ci, aux abords du camp de Charlotte Marguerite de Montmorency Rohan, a préféré faire demi-tour et revenir à VEYREAU. Et c’est à MEYRUEIS que la ville de MILLAU va envoyer une députation à Rohan pour l’engager à venir faire le siège de CREISSELS.

Mais pourquoi Rohan viendrait-il faire le siège de CREISSELS ?
Il faut que les raisons soient importantes car un siège est une opération qui coûte très cher compte tenu :
des effectifs considérables qu’il mobilise et immobilise, parfois très longtemps, pour encercler la place ;
des personnels nombreux nécessaires pour assister les soldats ;
des travaux parfois importants à réaliser.
Quelles sont donc les raisons du duc ?

Les causes du siège

Tout d’abord, parce que CREISSELS a toujours été considéré comme une place forte importante, chef-lieu d’une vicomté rattachée à la couronne de France depuis l’avènement d’ Henri IV en 1589 et dirigée par un gouverneur nommé par le roi.
Néanmoins, on pouvait penser, et Rohan l’a pensé, qu’en s’appuyant sur MILLAU et en y mettant les moyens, il devait être assez facile de prendre cette place papiste qui ne cessait pas d’importuner MILLAU l’Huguenote. En effet, les MILLAVOIS continuent de ruminer leurs rancoeurs contre leurs voisins depuis les luttes entre MILLAU et la maison d’Armagnac. Aussi, ils veulent faire, je cite : « de CREISSELS un monceau de ruines » surtout, depuis que le gouverneur a fait venir des renforts. Ils considèrent cette mesure comme une provocation. Et à CREISSELS, on considère que les MILLAVOIS je cite : « sont outrés qu’après être demeurés deux ans sous leur obéissance et celle de Monsieur de Rohan, nous nous fussions révoltés tout d’un coup [1], alors que le Duc avait soumis tout le pays : MILLAU, SAINT-GEORGES, SAINT-ROME-DE-CERNON, SAINT-AFFRIQUE, VABRES, tout le CAMARES, tandis qu’un seul petit lieu : CREISSELS, ne voulait pas se soumettre à faire les fonctions de la religion prétendue réformée « la RPR ! » Je suis sûr que ce passage vous rappelle l’histoire d’un autre petit village...
Cette animosité pérenne pousse MILLAU, à envoyer nous l’avons vu, une députation au Duc de Rohan qui se trouve à MEYRUEIS pour l’inciter à faire le siège de CREISSELS ; et je cite « il n’y a rien qu’ils n’aient employé auprès de lui pour l’induire à entreprendre le siège ». Rohan qui ne peut pas faire autre chose pour se rendre agréable aux habitants de MILLAU, s’y détermine à la mi-Août. En effet, à cette période il peut récupérer une partie de ses troupes qui était partie faire les moissons.

En outre, comme il veut exercer une menace sur le Prince de Condé qui a l’intention d’assiéger CAUSSADE, il ne peut nourrir je cite « sa cavalerie qu’en traversant le Rouergue ». Et CREISSELS est sur sa route.

Plan et fortifications de CREISSELS.

A l’époque qui nous intéresse le périmètre du village de CREISSELS correspond approximativement à un carré dont les côtés font face aux quatre points cardinaux.
Un historien (Carrière) écrit que le village est « coincé entre le Tarn, le ruisseau de CABRIERES et le rocher de Tuf qui porte le château ». A ces défenses naturelles, s’ajoute un mur d’enceinte doublé d’un fossé qu’on franchissait avec un pont tournant ou « pont viradou ». CREISSELS s’est donc construit en s’appuyant à la face nord du rocher, mais sans s’étendre au-delà : côtés Est et Ouest.

Il est évident que le village aurait beaucoup perdu en sécurité, s’il s’était développé au Sud, à l’Est et à l’Ouest du rocher. Sans crainte de se tromper, on peut affirmer que les fortifications de CREISSELS et son implantation ne sont pas le fait du hasard, mais le résultat d’une étude stratégique.

Le côté Est face à MILLAU est défendu seulement par le fossé et la muraille. C’est le côté le plus faible et bien sûr, c’est celui-là qui subira les assauts des troupes de Rohan qui affirmait « qu’il ne valait rien ». Le Duc de Rohan ne se serait pas autant avancé s’il avait lu « L’ours et les deux compagnons » mais La Fontaine en 1628 n’avait que 7 ans.

Je pense que Rohan estimait que les murailles ne valaient rien parce qu’elles n’étaient ni bordées par des mâchicoulis, ni protégées par des tours de flanquement « et qu’elles étaient enfilées et vues par revers ».

Le côté Nord est difficile à prendre puisque l’assiégeant doit traverser le Tarn, escalader la falaise de tuf et s’emparer de la muraille appelée muraille de la « Boubino ». Cette opération ne peut être entreprise sans risquer d’énormes pertes. Sur le côté Nord et à l’angle Nord-Est se trouvaient deux tours dont on peut encore voir les vestiges de l’une (et voici l’autre sur la carte postale ci-contre).

La muraille du côté Ouest est bordée par un étang qu’on appelle aujourd’hui « le Pesquié ». Il est alimenté par le ruisseau de CABRIERES qui descend des Cascades après avoir pris naissance à la DOUS. A cette époque, le ruisseau n’était pas abrité par les deux tunnels comme aujourd’hui, mais il traversait la place actuelle à l’air libre et constituait un obstacle naturel.

La partie Sud de CREISSELS, sur un tiers de sa surface environ, est occupée par un énorme rocher de tuf sur lequel a été construit le château. Le château était défendu par une muraille qui surélevait le rocher, sur tout son pourtour. Une tour, dominait l’ensemble et il est dit en 1577 et je vais essayer de bien le dire : « se fasia garda a la sime de la tourre del castel et quant vesia veny gens en troupa sonan la campana et toute se retiravon al fort ». Les photos et gravures ci-dessus et ci-dessous montrent cette tour à différentes époques.

Quelques précisions concernant toujours cette partie Sud et notamment le Sud - Est où se trouvent le cimetière actuel du château et l’église.

La trouée actuelle a été réalisée bien plus tard lorsque Monsieur de GUALY a donné en 1856, un terrain à « la COMTAL » pour y implanter le nouveau cimetière. En outre, à l’époque du siège il n’y a plus d’église. L’église Saint Julien a été démolie le 4 Septembre 1562 par les protestants commandés par le capitaine PEYRE. On a bien tenté de la rebâtir en 1607 en confiant sa construction à MARTIN, maître maçon à VIMENET, mais une partie de l’édifice s’est écroulée en 1609. Elle est complètement rasée par Rohan lors de la prise de CREISSELS le 12 Août 1621, car il considère qu’elle nuit à la défense du château. En effet, elle empêche toute communication entre les défenseurs. En 1628, à la place de l’église se trouve un fortin, appelé fort du Prieur qui prévient fortement à cet endroit toute attaque du château. Alors, si CREISSELS la catholique n’avait pas d’église, le curé ne pouvait pas dire la messe. Si, il la célébrait à la maison commune qui se trouvait sur l’emplacement de l’ancien bureau de poste.

Enfin, bien qu’il y ait un mur d’enceinte, il fallait pouvoir entrer et sortir de CREISSELS.

Les historiens ont relevé sept noms de portes. Ces sept noms figurent aussi dans la notice historique de Jules ARTIERES. Mais il est évident qu’en 1628, il n’y avait pas sept portes, sinon Rohan aurait eu le choix pour entrer. Plus sérieusement, je pense qu’il y avait trois portes : deux donnant à l’extérieur et une porte intérieure :
- le « pourtal dels Bals » (la balse c’est la Baoume). C’était la porte principale au nord-est du village,
- le « pourtal de la Plassa » donnait sur la place actuelle. On pouvait encore la voir au début du XX ° siècle (peut-être à l’époque il était appelé « le pourtal del Baler »),
- et la porte intérieure appelée « pourtal de Malacava » ou Malecare qui permettait d’accéder au château par l’intérieur du village. C’était sûrement l’ouverture de l’enceinte du château.
Les autres noms sont, soit des noms de portes qui ont été créés après la démolition des remparts comme le « pourtal dels Amels « (du hameau) appelé aujourd’hui le « pourtalou », soit des porches comme le « pourtal de la boubino » qui permettait de rejoindre justement la muraille de « la Boubino ».
Enfin, le « pourtal de Derocada » et celui « del Moulis », que je n’ai pas pu situer. Pourtant, il existe encore deux ouvertures : l’une donne sur le « Pesquié », l’autre est le porche jumeau de « la Boubino ».

A partir de ces portes, on pouvait emprunter cinq voies de communication :
- de la porte dels Bals, un chemin se dirigeait vers Millau en longeant le Tarn jusqu’à la glacière, puis rejoignait le vieux pont (1758) à Bêches.

- de la même porte, un autre chemin, en passant par « Souloumiac » arrivait à la plate-forme des Combes pour rejoindre la voie romaine.

- un troisième passait à la « Petitasse » arrivait au vieux cimetière, puis à la DOUS pour déboucher sur le Larzac, près de la ferme de BRUNAS.

- un quatrième reliait le hameau de Saint-Martin à CREISSELS.

- enfin, le dernier menait à SAINT-GEORGES par le lieu-dit RAUJOLLES.

Pour conclure ce chapitre, je soutiendrai quoiqu’en dise Rohan qui affirme que « les murailles de la ville ne valent rien et c’est une honte d’avoir été dix jours sans la prendre », que CREISSELS disposait de sérieux atouts pour soutenir un siège à condition de pouvoir les utiliser efficacement.


[1CREISSELS s’est révolté en 1627 quand MILLAU a ouvert ses portes au Duc de Rohan.


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