LE DUC DE ROHAN
ET
LE SIEGE DE CREISSELS EN 1628

vendredi 10 décembre 2010
par  Webmestre

2/ LE SIEGE DE CREISSELS

Les forces en présence

Généralement, le théâtre d’un siège met en présence deux acteurs : ceux qui sont à l’intérieur de la place forte ou de la ville, les assiégés, et ceux qui sont à l’extérieur, les assiégeants. Mais l’histoire nous révèle que lors de sièges célèbres, il y a eu un 3ème acteur : les secours.

Souvenez-vous du siège d’Alésia en 52 avant notre ère : VERCINGETORIX s’est réfugié à ALESIA. Jules CESAR a fait construire un formidable blocus autour de l’oppidum pour empêcher les assiégés de sortir et les affamer, mais aussi pour se protéger des attaques des armées gauloises venues au secours de VERCINGETORIX. Souvenez-vous aussi d’ ORLEANS : la ville est assiégée par les Anglais et c’est Jeanne d’ ARC qui vient délivrer ORLEANS. Autre exemple célèbre, en 1683, les Polonais et leurs alliés libèrent VIENNE de la menace Turque. Mais il faut dire qu’en libérant VIENNE, ils libèrent tout l’Occident. Depuis cette époque, on peut se régaler au petit déjeuner de croissants. Enfin, pour des raisons inhérentes au sujet, il faut citer le siège de LA ROCHELLE [1] qui capitule en Octobre 1628 après l’échec des secours anglais.
Et bien, lors du siège de CREISSELS, il y a eu également 3 acteurs :
- les CREISSELLOIS : les assiégés ;
- les soldats de l’armée du Duc de Rohan et les MILLAVOIS : les assiégeants ;
- et les secours commandés par le Prince de Condé.

Bien que la stratégie employée par les uns ou par les autres ne soit pas compliquée, je vais essayer, afin que vous ayez une vision claire de l’évolution de l’événement, de vous relater le rôle de chaque acteur dans chaque phase du siège et, lorsque c’est possible, au jour le jour.

Mais auparavant, quelles étaient les forces en présence ?

Tout d’abord, côté protestant, nous avons vu que le Duc de Rohan, après avoir fait le siège et pris MEYRUEIS, a regroupé à nouveau ses forces à la mi-Août.
Il arrive à MILLAU à la tête d’une armée de 4000 fantassins et 300 cavaliers. Comme je l’ai dit, la proximité d’une ville de l’importance de MILLAU à côté de CREISSELS, est pour Rohan un atout majeur.

Premièrement, une partie de l’armée est logée chez l’habitant. Bien sûr, les nobles sont hébergés par les plus grandes familles millavoises. Ensuite, la ville de MILLAU peut fournir une main d’oeuvre qualifiée comme des charpentiers, des charretiers ou des charrons. Nous verrons que Rohan en aura besoin. Et surtout, la ville de MILLAU assure le ravitaillement pour les hommes et les chevaux. De plus, comme les vignes couvrent déjà les coteaux de MILLAU, la ville approvisionne en vin l’armée de Rohan. Les comptes de cette fourniture permettent de dénombrer sept régiments. Ces régiments sont composés inégalement par des compagnies puisque leur nombre varie de quatre à vingt. J’ai relevé les noms de 53 commandants de compagnie. Je vous fais grâce de la lecture fastidieuse de tous les noms. A titre d’exemple, je citerai : Monsieur de La BAUME, Monsieur le Baron d’ AUBRAIS, le capitaine DURAND. Enfin, pour en terminer avec les différents soutiens apportés par MILLAU, il faut ajouter que la ville fournit en renfort une compagnie de soldats sous les ordres de TAURIAC d’ ALTAYRAC.

En plus de tous ces moyens : personnels, logistiques, subsistances, le Duc de Rohan dispose d’une artillerie : élément indispensable pour prendre une place forte. Mais cette artillerie est bien modeste puisque Rohan n’a que trois canons, peut-être quatre, mais pas plus.
Tout cela fait évidemment beaucoup de monde pour s’emparer de CREISSELS qui n’en compte pas autant pour se défendre. Nous allons le voir.

Un mot sur la population de CREISSELS. A la fin du XIV ° siècle, la paroisse de CREISSELS compte 103 feux. Au début du XVIII ° siècle, la population n’a pas progressé puisqu’en 1709 elle se répartit en 102 hommes, 121 femmes, 150 enfants, 62 domestiques et 2 religieux, soit 437 habitants. La population a peu évolué pour trois raisons principales :

- à cause des ravages causés par les guerres. Dans les ouvrages anciens, on trouve souvent une expression « faire le dégât ». Rohan est allé faire le dégât en Ariège. Le Duc de Montmorency est venu faire le dégât autour de CASTRES. En faisant le dégât, les soldats tuent pendant les combats, mais après, ils égorgent les prisonniers, les fusillent ou les pendent. Ils violent, ils volent, ils pillent, ils détruisent les récoltes, s’emparent du bétail, des réserves alimentaires et contribuent avec les années de mauvaises récoltes à provoquer des famines ou des disettes.
Pendant les guerres de religions en Rouergue, on dénombre entre 1550 et 1580, 18532 tués lors des combats, répartis d’ailleurs assez équitablement entre catholiques et protestants. En effet, 203 gentilshommes catholiques ont péri contre 191 protestants et 9200 soldats catholiques contre 8900 protestants. Les curés peut-être font la différence : 38 victimes. La révolution fera mieux.
- il existe bien sûr un autre fléau, la peste, qui sévit dans tout le ROUERGUE en 1587 et 1628. En 1628, elle n’a pas touché CREISSELS mais elle aurait fait 8000 victimes à VILLEFRANCHE de ROUERGUE. Selon les historiens les chiffres sont souvent exagérés. Ainsi on relève qu’en 1587, la peste a fait 4000 victimes à MILLAU dont 6 apothicaires sur 6 et 7 médecins sur 7. Vous voyez que les risques du métier sont grands, aussi bien d’ailleurs pour ceux qui l’exercent, que pour les patients.
- enfin, troisième cause principale : le taux de mortalité infantile. Jacques FRAYSSENGE nous précisait dernièrement qu’il atteignait 450/1000 à la moitié du XVIII ° siècle. Et oui, au XVII ° siècle, à CREISSELS comme partout dans le royaume de France règne une affreuse misère qui accable la population. Elle sera dénoncée avec force par LA BRUYERE, rappelez-vous : « l’on voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles,… ». Dans les archives municipales de CREISSELS, on trouve plusieurs rôles relatifs à l’entretien des gens de guerre, à celui de la garnison de CREISSELS ou à celui de la garde du château ; mais il existe aussi un rôle de 1626 qui a été établi par le prieur. Il a dressé la liste des noms des habitants les plus nécessiteux auxquels il a donné des subsides pour survivre. Il y a 52 noms, c’est à dire un habitant sur huit.

Maintenant, en ce qui concerne la troupe, on peut évaluer à une vingtaine de soldats la garde du château, ce qui était insuffisant pour défendre CREISSELS mais aussi le château. Mais pour l’époque, je dirais que c’est une situation normale ; en effet, en général, les effectifs qui assurent la défense des châteaux sont relativement faibles, car les soldats coûtent chers. Il est donc nécessaire de se renforcer. Ainsi, dès que les hostilités reprennent, le gouverneur de CREISSELS, Pierre de Crozat de la Croix, Sieur d’ ARRE, demande à Jacques d’ ETAMPES, Marquis de VALENCAY qui commande la citadelle de MONTPELLIER, de le renforcer, « par de bons soldats, ce qu’il fait en lui envoyant une compagnie de 50 hommes sous les ordres du capitaine Monsieur de CEBROUNAS ». Ce dernier rejoint donc CREISSELS. Pour tromper les Huguenots de MILLAU qui veulent lui tendre une embuscade sur la côte du Larzac, il fait allumer aux deux bouts la mèche des mousquets pour faire croire qu’ils sont deux fois plus nombreux. Je précise qu’il fait nuit depuis une heure environ. Il demande à ses gens, « de faire longue file », plus tard on dira « marcher en file indienne ». Les MILLAVOIS ont cru à un détachement important et se sont repliés sur MILLAU. C’est la version relatée par des historiens locaux. Mais des textes du XVII ° siècle et notamment un règlement sur le tir de l’infanterie permettent de donner une version des faits plus vraisemblable. En effet, un article du règlement stipule : « les sergents doivent avoir soin de faire allumer toujours une mèche à chaque rang, quand l’on passe en pays hors de soupçon (c’est-à-dire une mèche par groupe d’une dizaine de soldats) ; mais, survenant une alarme ou traversant un pays non sûr, un chacun doit allumer sa mèche aux deux bouts [2] et mettre quatre balles en bouche (afin de charger et de tirer plus vite – il faut une minute pour charger) ».
Par ailleurs, Monsieur le Prince de Condé, informé de la menace qui pèse sur CREISSELS , à envoyer à Pierre de Crozat de la Croix un officier supérieur de son armée pour diriger la défense de CREISSELS. Cet officier appartient à la maison d’ ALBIGNAC : Charles d ’ALBIGNAC, Sieur d’ ARRES et de Saint-Michel. Ici, pour faire plus court, je dirai Monsieur d’ ARRES. Je précise que Monsieur d’ ARRES n’appartient pas à la même branche que les ALBIGNAC du château de TRIADOU de PEYRELEAU dont un des membres, Simon d’ ALBIGNAC, a attaqué l’escorte des bagages du Duc de Rohan lorsqu’il se rendait à MILLAU pour faire le siège de CREISSELS.

Ici, pour les MILLAVOIS, j’ouvre une parenthèse : Rohan n’a pas eu de chance avec les ALBIGNAC. Simon d’ ALBIGNAC se serait emparé d’un véritable trésor. Son fils, François 1er d’ ALBIGNAC va en utiliser une partie pour construire, en 1669 la magnifique chapelle octogonale du château de TRIADOU à PEYRELEAU. Il va cacher le reste du trésor, mais il va si bien le cacher que ses descendants qui en connaissaient l’existence, vont le chercher pendant 150 ans sans le trouver. Il sera découvert à la révolution. Voici comment.

En 1793, un détachement de la garde nationale de Millau va au château du TRIADOU pour récupérer tous les objets de valeur, notamment la vaisselle en argent que Claude François d’ ALBIGNAC a du cacher avant d’émigrer. En participant à la fouille des salles du château, un garde national remarque sur une contremarche d’un escalier, les armoiries des ALBIGNAC : 3 pommes de pin sculptées dans le bois. Haïssant la noblesse et tout ce qui s’y rapporte, il brise la planche et découvre au fond de la marche des sacs remplis de pièces. Dans son procès-verbal, il déclare avoir trouvé « des sacs remplis de sous ». Cet homme-là a eu la chance d’avoir des chefs très confiants et peu perspicaces, ou peut-être peu scrupuleux et très véreux.

Quelques années plus tard, il a fait construire, sur le boulevard de l’Ayrolle, une grande et belle maison que, je cite « la voix juste et vengeresse du peuple a baptisé l’Hôtel du TRIADOU ». Cette maison existe toujours puisque certains MILLAVOIS la situent à l’angle gauche de l’Ayrolle et de la rue droite (en regardant le Beffroi, sur la mercerie actuelle).

Je ferme la parenthèse et je reviens à CREISSELS où justement en venant...

En venant à CREISSELS, Monsieur d’ ARRES a amené avec lui une trentaine d’hommes. Dès son arrivée, il visite les murailles du village et passe en revue la garde du château et les hommes du village en état de porter les armes, au total 80. Ainsi, Monsieur d’ ARRES, avec les renforts venus de MONTPELLIER, dispose de 150 à 160 hommes pour faire face à l’armée de Rohan. Mais il peut compter sur l’aide de tous les habitants et même, nous le verrons, du soutien du curé.

Quant aux secours ! Et bien, les CREISSELLOIS peuvent espérer des renforts de la part du Prince de Condé. Celui-ci dispose de plusieurs unités de « gastadours » occupées à « faire le dégât » dans le Tarn (Gastadours est un mot en vieux français qui vient de gastadou en occitan, c’est-à-dire, celui qui fait le dégât ou gast en occitan – on les appelle aussi les gastadous, les ravageurs). Il peut les regrouper en quelques jours pour constituer une armée conséquente atteignant environ 8000 hommes de pied ou fantassins et 600 cavaliers (le double de l’armée du Duc de Rohan).

En effet, au niveau de l’infanterie, il peut compter sur les deux régiments du duc de Montmorency et cinq autres régiments : le régiment du comte de MAILLE, celui de FALSEBOURG, celui d’ AMBRES, le régiment de LA MOULIERE et enfin le régiment de Normandie du baron de CHABANS. C’est le même baron de CHABANS qui a écrit l’ouvrage intitulé « Histoire de la guerre des Huguenots sous Louis XIII ». Comme dans l’armée royale, l’effectif d’un régiment s’élève à environ 1000 ou 1100 soldats, le Prince de Condé a environ 7000 à 7500 fantassins à sa disposition.

Quant à la cavalerie, le Duc de Montmorency lui apporte 2 compagnies auxquelles le Prince de Condé va réunir 4 compagnies de chevau-légers : celle de Monsieur de MONTESTRUC, du Duc d’ ENGHIEN, de Monsieur de LIGNIERES et Monsieur de CAUVILLON. A 100 cavaliers environ par compagnie, la cavalerie du Prince de Condé s’élève bien à 600 cavaliers. Un mot sur les chevau-légers : ils appartiennent à la Maison du Roi qui a été créée par Charles VII et qui va devenir l’élite des armées royales. Les nobles de ce temps, et parmi les plus grands, ont tous désiré ardemment servir leur roi en revêtant l’habit rouge des chevau-légers. Jusqu’à leur extinction avec la monarchie de l’ancien régime, ils ont toujours fait preuve d’une extrême bravoure, tout comme les mousquetaires qui appartenaient aussi à la Maison du Roi.

En ce qui concerne l’artillerie, nous ne savons rien. Toutefois on peut l’estimer à 300 ou 400 soldats ; mais cela n’a que très peu d’importance car nous verrons qu’elle n’a joué aucun rôle, sinon de retarder le regroupement des troupes de Condé. Et comme Condé, selon moi, n’était pas un rapide, les
CREISSELLOIS vont attendre.


[1La mère de Rohan, Catherine de PARTHENAY et sa sœur Anne étaient parmi les assiégés.

[2« Le mousquetaire sera toujours fourni d’un fusil pour allumer sa mèche, car elle peut s’éteindre ». Le fusil est une pièce d’acier fortement trempé qui, percuté sur l’arête d’un silex détache une volée d’étincelles qui provoque l’ignition de l’amadou


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