LE DUC DE ROHAN
ET
LE SIEGE DE CREISSELS EN 1628

vendredi 10 décembre 2010
par  Webmestre

2.Le siège de CREISSELS.

Les conséquences du siège.

Tout d’abord, il convient de s’intéresser aux victimes. Côté protestant, il est avancé par les historiens le chiffre de 200 tués. Ils affirment qu’il y aurait eu autant de blessés. Le « miraillou » installé sur la brèche a donc fait beaucoup de dégâts.

Parmi les tués, il y a plusieurs officiers dont on connaît les noms, par exemple, le Sieur de CLOZEC maître de camp et SORIN, capitaine des gardes du Duc de Rohan (ainsi que son argentier:surintendant des finances).

Quant aux blessés, environ 200, ils ont été soignés soit à l’hôpital s’ils bivouaquaient aux portes de MILLAU, soit aux domiciles des MILLAVOIS chez lesquels ils étaient hébergés. Aux archives municipales, il existe un document de 14 feuillets qui a été exploité par Jean-Pierre BENEZET (ancien pharmacien de MILAU). Ces feuillets constituent le rôle ou la liste des médicaments qui ont été donnés aux blessés de l’armée de Rohan. Cette liste a été établie le 13 Octobre 1628 par le maître apothicaire Guyon REM. Elle constitue un justificatif pour se faire rembourser les médicaments fournis. Mais les consuls MILLAVOIS sont méfiants et pas pressés de payer puisqu’ils demandent quatre mois après, le 15 Février 1629, aux maîtres apothicaires Jean FERRAGUT et Jean VAN PEREN de vérifier le rôle. Et ils font bien. En effet, aux 363 livres de la facture de Guyon REM, les contrôleurs estiment que les dépenses ne s’élèvent qu’à 240 livres c’est à dire un tiers de moins. Mais paraît-il qu’il « était courant que les apothicaires majorent préventivement leurs factures » !

Les médicaments sont préparés pour les trois chirurgiens de MILLAU : LAGARDE, RICHARD, ET CAZALET qui est le plus grand demandeur, mais qui fait aussi des factures préventives. Sa note de frais qui s’élevait à 2889 livres sera réduite le 16 Juillet 1630 par une ordonnance du juge de MILLAU à 1016 livres, presque 2/3 de moins !

Rapidement, un mot sur les médicaments prescrits. Ils peuvent se diviser en trois catégories :

- les médicaments non ingérables comme les cataplasmes, les emplâtres, les huiles, les poudres ...

- les médicaments absorbés par voie orale comme les sirops, les potions, les bouillons et autres décoctions,

- et les médications évacuantes comme les clystères, les potions laxatives ou purgatives. Cette dernière catégorie était plutôt utilisée pour soigner les malades et il y en a eu durant le siège.

Mais je reviens à CAZALET le chirurgien.
Pourquoi ?
Parce qu’il est précisé au verso du feuillet n°1 que le 1er Septembre, il a commandé 5 onces d’onguent basilicum et 3 onces d’onguent rosat de MESUE. Et il les a pris pour qui ? Pour les blessés de CREISSELS. Ce n’est pas la 1ère, ni la dernière fois qu’un médecin soignera des blessés ennemis. Ces blessés, parmi les assiégés, il est difficile d’en connaître le nombre exact. En effet, des textes annoncent 5 ou 6 blessés, d’autres « une vingtaine de blessés ou d’estropiés ». Les blessés ont sûrement été soignés à l’hôpital de CREISSELS. Certains CREISSELLOIS avancent que l’hôpital Sainte-Croix se trouvait dans la maison dont la façade arbore une croix discoïdale. Je veux bien et ils ont peut-être raison, mais je trouve que la description de l’hôpital qui nous a été rapportée par les consuls en 1667 ne correspond pas à cette maison, qui est peut-être tout simplement l’annexe de l’hôpital qui se trouvait, je cite toujours les consuls, « dans une petite maison dite Sainte-Croix contenant un étage ». D’ailleurs, dans l’arrêté verbal de juillet 1686 qu’on pourrait qualifier de salubrité publique, il est précisé à la page 26 « de mettre la muraille qu’elle aille droit le long de la maison Sainte- Croix ». Quoiqu’il en soit, on ne peut pas parler de maison, mais plutôt de l’ancien emplacement de l’hôpital, ou de la maison dite Sainte-Croix, ou encore peut-être de « la Charité Sainte-Croix » qui était une institution charitable. Celle-ci, « faisait à toute sorte de pobres allans et venans » une distribution de pain le jour de Sainte-Croix de mai qui est fêté religieusement le 3 mai. Tous les anciens enfants de coeur de l’abbé Fabre le savent ! ...
Pour votre information, l’hôpital de CREISSELS et « la Charité Sainte-Croix » seront réunis à l’hôpital général de MILLAU le 2 Octobre 1725. La fusion existait déjà à cette époque !

En ce qui concerne les victimes, les chiffres varient en fonction des sources, mais de très peu, puisque le nombre de tués serait de 4, ou de 5 ou de 6. Je n’ai pas pu vérifier auprès des registres paroissiaux de CREISSELS car les archives départementales ne les possèdent qu’à partir de 1656.
D’après ce bilan corporel, il s’avère que les pertes des assiégés sont nettement moins importantes que celles des assiégeants, ce qui justifie le principe militaire : « qui tient les hauts, tient les bas ».

Autres conséquences, les dégâts matériels et les récompenses [1].

Quant à Pierre de Crozat de La CROIX , dés la fin du siège, il se dépêche d’adresser à Louis XIII un mémoire dans lequel il expose qu’il lui faut 20 000 livres pour réparer les dégâts causés par les canons et qu’il a dépensé 1500 livres pour soigner les blessés. Dans ce même mémoire, il argue respectueusement qu’ils ont, avec son fils Etienne et son frère Jean, je cite « cet avantage d’être les seuls en France de la RPR. (je rappelle Religion Prétendue Réformée) qui ont fidèlement servi le Roi ». En effet, les de la Croix étaient protestants mais leur fidélité au roi l’a emporté sur leur foi. Ils ont défendu une place catholique qui appartenait au roi contre les protestants. Ils seront bien sûr récompensés par le roi qui écrit à Pierre de Crozat de la Croix le 25 Octobre 1628. Louis XIII se trouve encore devant LA ROCHELLE qui capitulera 3 jours plus tard, le 28 Octobre 1628. Dans sa lettre, le roi le félicite et lui demande de continuer à bien le servir en l’assurant qu’il saura se montrer reconnaissant. En effet, il fait indemniser Pierre de Crozat de la Croix des dommages subis pendant le siège et lui donne les ruines, fossés et jardin du château de CREISSELS. Mais il ne lui donne pas le château. D’ailleurs, comme le Rouergue est en paix, à la demande des MILLAVOIS et parce que, je cite Louis XIII : « le château pourrait servir à des gens mal intentionnés », le roi ordonne à Jean de Crozat (le frère de Pierre) le 9 Avril 1633, de raser et démolir le château, de combler les fossés, mais de préserver le logement de Pierre de Crozat de la Croix et les prisons. Lors des démolitions de fortifications, la hauteur des remparts était réduite de moitié et les tours fortement décapitées. En conséquence, il ne reste que des vestiges insignifiants ou presque des remparts. Dans sa lettre à Jean de Crozat, le roi y précise que les travaux seront exécutés « à la diligence et aux frais et dépens des habitants de notre ville de Millau ». Mais la destruction du château ne sera pas entreprise, puisqu’il est signalé dans un acte du notaire Pélissier en date du 15 Juin 1634 que le château a été épargné. Il restait donc dans le domaine de la couronne. Mais Etienne de Crozat, le fils de Pierre, est devenu engagiste du château le 1er Août 1675. Ainsi, il peut faire exécuter des réparations au château, à ses frais, pour un montant de 1000 livres. Avec une telle somme, les travaux n’ont pas dû être très importants !

J’ai prononcé le mot « engagiste ». Je vous avoue que j’ai buté sur la signification. J’ai buté mais je ne me suis pas rebuté. En droit ancien, l’engagiste est le détenteur d’un bien du domaine de la Couronne qui lui a été donné en gage d’un emprunt contracté par le Trésor Royal. Le domaine de la Couronne étant (ordonnance de Moulins, Février 1566) inaliénable, l’engagiste n’avait que la jouissance, tandis que le roi restait propriétaire du bien engagé. Le roi a donc donné à Etienne de Crozat la jouissance du château en gage du prêt d’une somme d’argent.
La branche de la maison Crozat va s’éteindre puisque Etienne de Crozat n’a qu’une fille, Julie, qui épouse en 1706 Pierre - Lévi de GUALY. La même année, le roi confirme en faveur de Julie l’engagement qu’il avait consenti à son père. Mariée à de GUALY, l’engagement de Julie est transmis à son époux.

Nous traversons le XVIII ° siècle pour arriver à la Révolution. La Révolution dépouille les engagistes sans les avoir préalablement indemnisés. Elle révoque les engagements postérieurs à 1566 (ordonnance de Moulins, Février 1566), mais les petits engagistes eurent la possibilité de devenir propriétaires moyennant le versement du quart de la valeur des biens. A CREISSELS, une partie des biens nationaux sont vendus le 22 Messidor an IV (10 Juillet 1796) et notamment « une maison ci-devant château, terrasse et petit jardin joignant, plus loin, le pré du Moulin Haut et le pré de Madame ; le tout sis à CREISSELS, ci-devant du domaine de la Couronne et joui à titre d’engagement par GALY ; adjugé le tout à Marc Antoine-François GALY, 18 700 livres ». Si, comme je le pense, ce GALY sans « U » et sans particule est le même que Marc - Antoine de GUALY, celui-ci aura réalisé une bonne opération. Si pendant une période, il avait perdu sa particule, on voit cependant qu’il n’avait pas perdu la tête.

Je rappelle aux MILLAVOIS notamment, puisque la famille GUALY est d’origine millavoise, que les GUALY ont pris, peu de temps avant la révolution, le titre de Baron de GUALY SAINT - ROME et après la restauration, celui de Vicomte. Ils ont pris sans doute ce dernier titre puisqu’ils possédaient le château de l’ancienne vicomté de CREISSELS. Après le décès du Vicomte Edouard de GUALY, le château est devenu la propriété du Baron de GISSAC qui le vend en 1936 à Madame HUBIN. Cette dernière l’a légué à sa mort le 14 juillet 1955 à Madame AUSTRUY.

Enfin, une dernière conséquence, la plus importante pour le Rouergue : Rohan ne reviendra plus en Rouergue.

Le siège de CREISSELS met fin à la campagne du duc de Rohan en Rouergue.

Dans une troisième partie, après avoir rappelé comment se terminent les hostilités qui opposent le Duc de Rohan à Louis XIII, il est tout naturel de terminer en évoquant rapidement les nouvelles et dernières activités ou occupations du Duc de Rohan qu’il qualifie « d’oisivetés ».


[1Le premier servi et ce n’est que justice est Charles d’ ALBIGNAC, Sieur d’ ARRES qui est élevé par le Roi au rang de Baron d’ ARRES.


Commentaires

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LE DUC DE ROHAN
ET
LE SIEGE DE CREISSELS EN 1628
vendredi 11 juillet 2014 à 08h57 - par  Bruno MURATET

Bonjour monsieur ,

LE DUC DE ROHAN
ET
LE SIEGE DE CREISSELS EN 1628

Je regrette que votre nom n’apparaisse pas sur le texte du cite internet . Cela m’aurait permi de vous citer. (Genanet code tetarum)

Je croyais avoir compris que Julie était la fille de Marc Antoine Crozat de la Croix , donc la petite fille d’Etienne ?
Ce "Marc Antoine de Crozals, Seigneur de Creissels" a été imposé sur les armoiries c 1695, et figure dans l’édition de Hocquellet de l ’Armorial du Rouergue (CGR 2006)
Quand à Etienne, il teste au mois de mars 1711 et il fait héritier son fils Marc Antoine auquel il substitue son petit fils Etienne (AD82 C 444 selon Hocquelet) . Il y avait donc des héritiers males.

C’est intéressant cette façon de préférer une fille comme héritière !

La suite prouva combien il avait raison :
La suite est que Marc Antoine receullit la succession paternelle , réalisa ce qu’il put de ses biens et quitta le royaume en compagnie de ses deux autres filles. On ne sait pas ce qu’il est devenu, vraisemblablement Genève.

Il avait laissé derrière lui Etienne qui obtint restitution des biens confisqués au fugitifs par brevet du Roi du 26 04 1717. Je ne sais pas ce qu’il est devenu non plus. Genève ?

Enfin Hocquellet cite un oncle de Marc Antoine, autre Marc Antoine (parrain vraisemblable), frère d’Etienne Jean et Jacques , résidant à Paris, Seigneur de Labastide qui fit l’acquisition de la Seigneurie de Peyre le 09 04 1671.
Celui-ci est bien connu comme ayant été un des commis du ministre Fouquet et un grand ami du secrétaire de ce dernier, Paul Pellisson, qui deviendra académicien. Crozat épouse à Toulouse la fille d’un fermier des Monnaies de la ville. S’y installe et deviendra Capitoul.

Bien cordialement
Bruno MURATET