LE DUC DE ROHAN
ET
LE SIEGE DE CREISSELS EN 1628

vendredi 10 décembre 2010
par  Webmestre


2.Le siège de CREISSELS.

La mise en place des troupes de Rohan

S’étant donc décidé à venir assiéger CREISSELS, le Duc de Rohan donne ses instructions à ALTAYRAC, gouverneur de MILLAU et à GUERIN, 

le 1er Consul, afin que les soutiens que doit lui apporter la ville de MILLAU se préparent activement et secrètement [1]. Il leur affirme que son armée arrivera à MILLAU le lundi 28 Août. Il ordonne à ALTAYRAC de bloquer CREISSELS un jour plus tôt, donc le dimanche 27, afin que les assiégés n’aient aucun contact avec l’extérieur.
Comme prévu, l’armée de Rohan arrive à MILLAU le 28 Août. Nous verrons que l’armée des papistes est moins ponctuelle que celle des Huguenots. Une partie de celle-ci bivouaque autour de la ville ; les autres, les plus chanceux, sont logés chez l’habitant. Les chefs et les nobles étant hébergés par les grandes familles millavoises.
Le mercredi 30 Août, le Duc de Rohan arrive à MILLAU. Comme tout chef militaire qui se prépare à mettre en place un dispositif, il devrait procéder d’abord à une reconnaissance du terrain. Mais Rohan connaît bien les lieux. Rappelez-vous, il a pris CREISSELS le 12 Août 1621. (Il a fait raser l’église).
Il adopte le dispositif suivant :

  1. Il s’installe avec son quartier général et un régiment à Calès. Il est vrai que de Calès, il bénéficie d’une position dominante sur CREISSELS et il a, à tout moment, une vue sur les mouvements de ses troupes à l’Est ou à l’Ouest du village. Seul le Sud est masqué par le château. Autre avantage d’être à Calès, il peut rejoindre rapidement MILLAU.
  2. Il envoie un régiment à l’Ouest du village s’installer entre le ruisseau de CABRIERES (ou des Cascades) et le Tarn pour occuper les hauteurs qui dominent CREISSELS. Les soldats de ce régiment s’habillaient [2] moitié en noir, moitié en blanc. Ils ont été vite surnommés « los agassos ». Certains prétendent qu’ils s’habillaient ainsi pour se moquer des moines bénédictins. Mais on sait aussi que les parpaillots (parpalhol = papillon ; le parpaillot est celui qui est semblable à un papillon qui volette), pour se reconnaître lors des combats, enfilaient une chemise blanche par dessus leur armure. Je rappelle que ce n’était pas des soldats professionnels, mais des soldats paysans qui se battaient entre deux activités agricoles : la moisson et les semailles par exemple.
  3. Il poste un régiment à l’Est de CREISSELS qui s’implante à la ferme de « la Mendèze » (dépendance du château) et sur les pentes de Souloumiac en liaison à vue avec le régiment de « los agassos ».
  4. Enfin, il fait mettre en batterie deux canons dans les vignes de « la Mendèze », c’est-à-dire sur le terrain après les habitations et à droite de la route actuelle. De même, à Calès, il installe son dernier ou peut-être ses deux derniers canons.

Côté assiégés, le 28 Août, Monsieur d’ ARRES envoie un messager au Prince de Condé pour l’avertir que CREISSELS est assiégé. Il lui demande du renfort et lui promet de faire tout son possible pour défendre la place. Ce messager a réussi à traverser les lignes protestantes et à remplir sa mission.
En effet, le Prince de Condé apprend la nouvelle le 30 Août au soir, alors qu’il se trouve à GAILLAC, où il prépare le siège de CAUSSADE.

Le jeudi 31 Août, les pièces d’artillerie de « la Mendèze » commencent à tirer sur le rempart Est de CREISSELS. En même temps, le Duc de Rohan fait creuser un chemin, type « tranchée », de « la Mendèze » en direction de CREISSELS. Il le fait couvrir au fur et à mesure pour pouvoir atteindre la muraille Est sans être vu par les assiégés et ainsi de pouvoir la saper ou la miner en sécurité.

Les tirs de canons continuent jusqu’au soir avec plus ou moins d’intensité. Mais lorsque celle-ci est soutenue, les servants des pièces d’artillerie ont parfois, je cite « besoin de peaux pour rafraîchir les canons ». Au XVII° siècle, les soldats enrôlés dans les régiments ne portaient pas d’uniforme. Les uniformes ne se généralisent qu’à la fin du règne de Louis XIV. Sous Louis XIII, seules les unités de la Maison du Roi comme les mousquetaires, les chevau-légers, les gardes suisses ou bien les personnels de grands seigneurs ou de personnages importants et très riches comme RICHELIEU ; Dans le film des Trois Mousquetaires on peut voir les casaques rouges galonnées et ornées de la croix blanche des gardes du Cardinal opposées aux casaques bleues ornées de quatre croix fleurdelisées des mousquetaires du Roi.
Les tirs ont pour but de créer une brèche dans la muraille Est, c’est à dire une ouverture importante afin que les assiégeants puissent donner l’assaut sur un front assez large. Ainsi, les canons tirent toujours au même endroit jusqu’à ce que l’objectif soit endommagé et selon les dégâts, les artilleurs pointent leurs canons plus bas, à droite ou à gauche, pour agrandir la brèche. Ainsi, pour modifier la direction du tir, ils déplacent la pièce d’artillerie en la faisant pivoter et pour régler la hauteur de la trajectoire, ils enfoncent ou retirent un coin en bois (le coin de mire) entre le canon et l’affût.

Le même jour, à CREISSELS, Monsieur d’ ARRES profite d’accalmies de la canonnade pour réunir par groupes successifs afin d’assurer la permanence de la surveillance et de la garde, les soldats et les habitants. Il les exhorte à bien se défendre. Il les avertit que leurs ennemis, je cite « sont des gens sans quartier », c’est à dire qu’ils n’épargnent personne.

C’est le 31 Août que le Prince de Condé, toujours à GAILLAC, a de plus amples renseignements. Il apprend que le Duc de Rohan, avec une armée de 4000 fantassins et 300 cavaliers, assiège CREISSELS. Rohan disposerait même de quelques pièces d’artillerie.

Le lendemain vendredi 1er Septembre, les canons de « la Mendèze » reprennent leurs tirs sur la muraille Est. Si la veille les tirs ont été intenses, le 1er ils sont vite interrompus puisque dès la 6ème volée, un affût se brise. Peu de temps après, l’affût du deuxième canon subit le même sort.
La canonnade cesse.
Il faut préciser que les affûts sont soumis à dure épreuve par la fréquence soutenue des tirs, mais aussi par la puissance des charges des canons. En effet, elles doivent envoyer des boulets de 15 kilos 680 à 400 mètres environ. Un boulet de ce type a été retrouvé figé dans le tuf. Vous pouvez le voir à la réception de l’hôtel du château de CREISSELS.
Il mesure 16 cm et demi de diamètre pour une circonférence de 50 cm.

A CREISSELS, Monsieur d’ ARRES, renouvelle ses ordres pour surveiller à partir des tours les mouvements de l’ennemi, avec le minimum de soldat, tout en maintenant en réserve en cas d’alerte, un élément prêt à intervenir. En effet, Monsieur d’ ARRES se doute bien que Rohan n’attaquera pas sans qu’une brèche importante soit ouverte. En conséquence, il doit économiser ses troupes pour tenir jusqu’à l’arrivée des renforts.

La baisse d’activité des tirs, puis leur arrêt total, provoquent la liesse chez les habitants. Elle est de courte durée puisque le canon de Calès entre à son tour en action.

Toujours à GAILLAC, le Prince de Condé écrit aux CREISSELLOIS pour les encourager à servir le roi fidèlement en cette occasion et les assure qu’ils seront secourus le dimanche 10 Septembre au plus tard.

Pendant 4 jours, les 2, 3, 4 et 5 Septembre, les charretiers et les charrons de MILLAU réparent les affûts des deux canons, les soldats continuent de creuser leur tranchée vers CREISSELS et le canon de Calès poursuit ses tirs sur le village canon, ne peuvent pas détruire la muraille Nord, en endommageant gravement les toits des maisons et en semant la terreur chez les habitants.

C’est durant cette période que les femmes de MILLAU sont venues à Calès injurier les CREISSELLOIS. Les plus audacieuses, sachant que les Corses tirent sur les gendarmes, mais pas sur les femmes, descendent au bord du Tarn et crient : « Dîne ! Dîne ! Car tu ne souperas pas », puis, voulant aller plus loin dans la provocation, elles tournent le dos aux soldats et je dirai seulement qu’elles soulèvent leurs blancs jupons. L’une d’entre elles, nommée SAISSELE, moins paillarde, mais plus vindicative a amené « une grande quantité de cordes et crie que c’est pour pendre tous les hommes de CREISSELS. »

Et les CREISSELLOIS ! Postés sur la muraille Nord, ces vieux guerriers qui avaient vu toutes les horreurs de la guerre, se sont sûrement bouchés les oreilles, mais ont gardé les yeux ouverts.
Plus sérieusement, je dirais qu’aucun document à ma connaissance donne des renseignements sur les habitants et leurs occupations durant cette période. Mais on peut imaginer que Monsieur d’ ARRES continue à donner ses ordres pour assurer la surveillance des environs ; qu’il utilise ce répit pour poursuivre l’entraînement des CREISSELLOIS au maniement des armes ; qu’il organise les secours pour réparer les dégâts causés par le canon de Calès ; qu’il fait vérifier, jour après jour, la consommation des vivres et des provisions stockées en vue de soutenir le siège ; qu’il contrôle à l’hôpital que les préparatifs pour accueillir les blessés sont terminés, etc…, mais aussi, comme c’est le chef militaire, il doit réfléchir aux différentes hypothèses de manoeuvres de l’ennemi pour pouvoir, le moment venu, y répondre avec la meilleure efficacité.

*
* *

De son côté, le 2 Septembre, le Prince de Condé, demande au Duc d’ EPERNON de rester aux environs de CAUSSADE et de MONTAUBAN, pour maintenir la pression sur les protestants et de lui céder la Compagnie de Chevau-légers de Monsieur de MONTESTRUC et le régiment du Comte de MAILLE. Il lui précise que ces troupes doivent être impérativement à VALENCE d’ALBIGEOIS le 4 septembre.

Le 3 Septembre, le Prince de Condé quitte GAILLAC et se dirige vers VALENCE d’ALBIGEOIS.

Le 4 Septembre, il arrive à VALENCE d’ALBIGEOIS où il retrouve le régiment du Comte de MAILLE comme il l’avait prescrit et la Compagnie de Chevau-légers de Monsieur de MONTESTRUC.

Par ailleurs, il ordonne à la Compagnie de Chevau-légers du Duc d’ENGHIEN et aux régiments de FALSEBOURG et d’ AMBRES qui font le dégât du côté de CASTRES de se joindre aux troupes du Duc de Montmorency qui a atteint La SALVETAT. Il écrit au Duc, je cite « de venir prendre le logement à BELMONT sur RANCE et de rejoindre SAINT–GEORGES, point de regroupement général, avant le 8 Septembre ».

Le 5 Septembre, le Prince de Condé arrive à BROQUIES.

Enfin, le mercredi 6 Septembre, dès que Rohan apprend que les affûts sont réparés, il fait reconstituer les canons à « la Mendèze ». Aussitôt les tirs reprennent en direction de la muraille Est. Ils ont toujours comme objectif l’endroit de la muraille qui était visé au début du siège. Le rythme des tirs est très soutenu. La muraille commence à être entamée au grand contentement des servants qui crient : « On fait brèche ! On fait brèche ! »

A CREISSELS, la nouvelle se répand très vite dans tout le village. Il y a un début d’affolement parmi la population, mais un prêtre nommé Louis, revêtu de son surplis, brandissant un crucifix, parcourt les rues et les remparts en exhortant les habitants et en les encourageant à résister : « Courage mes enfants, je vous promets de la part de celui qui est attaché à cette croix pour lequel et pour l’église duquel vous vous battez, que l’ennemi ne remportera pas la victoire et qu’il n’entrera point dans la place. »

Avec de telles paroles, les assiégés ont été vite tranquillisés. Mais se tenant à l’écart, le curé qui était sûrement un jésuite, s’est écrié : « Mais qu’est-ce qu’il fout ce Condé ! ».

Eh bien, le Prince de Condé a passé la nuit du 5 au 6 Septembre à BROQUIES. Le matin du 6, il se prépare à traverser le Tarn. Malheureusement, comme il est impossible à son artillerie de franchir le gué, il décide de rejoindre VILLEFRANCHE de PANAT. Un messager du Duc de Montmorency arrive à le rattraper. Dans le courrier qui lui est remis, le Prince de Condé apprend que le Duc de Montmorency avec ses troupes n’arrivera à SAINT-GEORGES que le 9 Septembre. Il semble que tout le monde se presse lentement.

Mais le Duc de Rohan est bien informé des mouvements des troupes ennemies et de l’importance de leurs effectifs. Ainsi, il écrit le 7 Septembre à son vieux compagnon d’armes, Fulcrand II d’ASSAS [3] dit « le loup du Causse », pour lui demander « de faire lever des gens de guerre et de les conduire le plus diligemment possible qu’il pourra pour empêcher Monsieur le Prince et Monsieur de Montmorency de lui faire lever le siège de CREISSELS ».

Les 7 et 8 Septembre, la canonnade se poursuit avec la même intensité en continuant de battre en brèche. Le 8 au soir, elle est devenue, « praticable » pour donner l’assaut. Vu l’heure tardive, Rohan décide de reporter l’assaut au lendemain.

Je tiens à vous signaler que la brèche est encore visible de nos jours. Nous verrons que sur ordre de Louis XIII, les remparts ont été démantelés c’est à dire, que leur hauteur a été réduite de moitié, donc je pense qu’il ne reste que la partie inférieure de la brèche. Elle apparaît nettement sur la photo ci-contre.

A CREISSELS, le 7 Septembre, le curé avec le crucifix à la main, continue d’encourager les habitants mais aussi les soldats sur les remparts. Il est aidé efficacement par les femmes qui « animent les soldats à qui elles apportent du vin sans cesse ». Heureusement que l’assaut n’a pas au lieu ce jour-là.

Toujours le 7 Septembre, le Prince de Condé envoie à SAINT-GEORGES le baron de CHABANS avec le régiment de Normandie et les Compagnies de chevau-légers de Monsieur de LIGNIERES et de Monsieur de CAUVILLON pour reconnaître le théâtre des opérations et signaler sa présence aux assiégés.
C’est ce jour-là que le prince apprend le début de la brèche.

Le 8 Septembre, les habitants de CREISSELS sont avertis de la présence d’amis sur le Larzac à hauteur des fourches patibulaires. En effet, pour signaler sa présence, le baron de CHABANS a fait sonner les trompettes et a agité son écharpe bleue au bout d’un bâton. Pour montrer que les assiégés ont bien perçu le signal, les soldats de CREISSELS « ont répondu par force de mousquetades en direction des ennemis ». De plus, Monsieur d’ ARRES a fait hisser en haut de la tour du château une bannière blanche.
Evidemment, l’espoir a envahi le coeur des habitants et c’est avec entrain qu’ils profitent de la nuit pour fortifier la brèche avec des poutres, des planches et même des meubles.
Ce jour-là, 8 Septembre, le Prince de Condé envoie le régiment de la MOULIERE à COMPREGNAC avec mission d’assurer le passage du Tarn à l’infanterie et la cavalerie. Il laisse aux CANEBIERES son artillerie car elle ne pourra pas traverser le Tarn.

Le samedi 9 Septembre, au lever du jour, c’est le branle-bas de combat dans les deux camps. Le Duc de Rohan envoie trois tambours porter le message suivant à Monsieur d’ ARRES :
« Monsieur de Rohan vous fait dire que si vous voulez vous rendre, il vous accordera la vie ». Je continue de citer : Monsieur d’ ARRES leur fait une réponse fort courte et qui marque un grand courage en leur disant seulement « vous vous moqueriez de nous. » A ce moment-là, il est environ neuf heures du matin. Dépités, les tambours apportent la réponse à Monsieur de Rohan. Aussitôt, le Duc donne ses ordres à ses officiers afin que l’assaut soit donné à 14 heures. En outre, il va se montrer outrageant en invitant les personnalités de MILLAU à venir à Calès pour assister à la destruction de CREISSELS ! Les CREISSELLOIS sont outrés, mais tous se préparent à repousser l’assaut. Monsieur d’ ARRES place ses meilleurs hommes à la brèche où il fait installer un fauconneau [4] appelé « Miraillou ». Le fauconneau est un très petit canon qui a été utilisé aux XVI ° et XVII ° siècles [4]. Sur tout le périmètre du village sont postés les autres soldats secondés par les hommes du village. Monsieur d’ ARRES a même fait appel aux vieillards (sûrement âgés de 40 ans) pour se tenir avec des pertuisanes (hallebardes avec deux crochets en oreilles) aux endroits où l’ennemi peut accéder avec des échelles sur la muraille Ouest.

A deux heures de l’après-midi, le Duc de Rohan donne l’ordre d’attaquer. Ses troupes s’avancent avec des échelles en direction de la brèche, mais aussi vers les murailles Ouest et Nord. Les huguenots montent à l’assaut en criant « Vive Rohan », les assiégés répondent « Vive le Roi ». Les soldats de Calès tentent de traverser le Tarn. Ils sont stoppés par une mousqueterie,
c’est-à-dire le tir de plusieurs mousquets, qui je cite « imite le bruit d’une forte grêle qui tombe dans l’eau ». Du côté de la muraille Est, les assiégeants sont arrivés à la brèche, serrés les uns contre les autres. Monsieur d’ ARRES ordonne d’ouvrir le feu. La décharge des mousquets, mais surtout celle du « Miraillou » qui est chargé avec des dizaines de petits morceaux de fer irréguliers porte l’épouvante chez les protestants dont plusieurs sont tués et blessés. Mais M. de Las AYRES, qui commande les assiégeants montre l’exemple en se présentant le premier devant la brèche. (Dans la relation, le commandant des assiégeants est appelé M. d’ ALAYRE , mais je n’ai pas trouvé ce nom dans la liste des blessés qui ont été soignés, ni dans la liste des Commandants d’unité, par contre il est cité M. de Las AYRES. Il y a eu peut-être une erreur dans l’écriture des noms. Ce ne serait pas la première fois.)

Le combat au corps à corps s’engage. Cinq fois les assiégeants sont repoussés et bien qu’ils subissent de lourdes pertes à chaque tentative, ils retournent au combat après chaque échec. Lors du premier assaut, Monsieur de Las AYRES, toujours à la tête de ses troupes est désarçonné. Un habitant de CREISSELS, nommé SOLIER, le perce avec sa hallebarde, (la pointe porte d’un côté un fer en forme de hache et de l’autre un fer en forme de crochet) au défaut de la cuirasse. Rapidement secouru par ses soldats, Monsieur de Las AYRES est ramené dans son camp pour être soigné. Les affrontements vont durer deux heures. Finalement les assiégeants perdent courage et se replient vers « la Mendèze ».

Du côté de l’étang, l’ennemi a essayé de s’emparer du rempart à l’aide de plusieurs échelles. Mais les solides vieillards avec leurs bonnes et longues pertuisanes, ont fait merveille. L’ennemi tente honteusement de les soudoyer mais ils répondent, je cite : « Tirez-vous de là promptement, autrement vous êtes morts ». L’ennemi, à bout de forces est contraint de se retirer.

Le Duc de Rohan fait demander à Monsieur d’ ARRES la permission de venir en sécurité retirer ses morts et ses blessés. Elle lui est accordée.

Un mot sur les spectateurs des tribunes de Calès. Ils ont été déçus de voir la résistance des CREISSELLOIS. Sur le chemin du retour, ils étaient, je cite « si tristes qu’ils semblaient des visages de morts ».
Monsieur d’ ARRES pense que les troupes de Rohan remonteront à l’assaut le lendemain. Il ordonne donc durant la nuit de fortifier à nouveau la brèche. Il fait amener toutes sortes de projectiles sur les remparts, notamment des poutres et des grosses pierres. De plus, de chaque côté de la brèche il fait placer de grands chaudrons d’huile bouillante. En résumé, il prend toutes les dispositions nécessaires pour bien accueillir une nouvelle fois les Huguenots.

Le 9 Septembre, les troupes catholiques continuent de converger vers SAINT-GEORGES. Quant au Prince de Condé, il arrive à MONTJAUX où il passe la nuit.
Le dimanche 10 Septembre, les troupes de Rohan restent sur leurs positions. Peut-être parce que c’est le jour du Seigneur !
Comme le calme semble régner à CREISSELS, nous allons nous intéresser davantage aux troupes du Prince de Condé. Arriveront-elles enfin à SAINT-GEORGES ?
La réponse est oui. Le 10 Septembre, le Prince de Condé atteint SAINT–GEORGES où il retrouve le Duc de Montmorency. Son armée est enfin regroupée. Je rappelle que sans l’artillerie qui est restée aux CANEBIERES, l’armée de Condé compte plus de 7 000 fantassins et 600 cavaliers.
Dès son arrivée, Condé réunit son conseil, c’est à dire son état-major pour écouter le compte-rendu du Baron de CHABANS. Celui-ci lui confirme qu’il a réussi à alerter les assiégés. Il lui indique que les assiégeants, je cite « sont campés en six quartiers, à savoir un au-delà de la rivière en un fort nommé « Calès » et cinq en deçà, trois sur l’avenue de SAINT-GEORGES et deux sur celle de MILLAU », il poursuit « un seul est retranché sur une colline assez haute du côté de SAINT-GEORGES ». Je pense qu’il s’agit de « Genevrières » là où se trouve la dernière station de l’ancien chemin de croix. Il lui précise l’emplacement des deux batteries : à Calès et à « la Mendèze ». Cette implantation correspond bien au dispositif que nous avons vu lors de la mise en place des troupes du Duc de Rohan.

Pour intervenir sur CREISSELS, le Baron de CHABANS propose trois itinéraires qu’il appelle « avenues » :

  • l’avenue n°1 : il faut se diriger vers PEYRE, passer le Tarn à gué, monter sur le plateau vers THERONDELS, redescendre dans la vallée par le ravin de Brocuéjouls et repasser le Tarn à « l’Yerle » et franchir le ruisseau de Saint-Martin par le pont de Rioux.
    Selon le Baron de CHABANS, cet itinéraire présente des inconvénients : il est difficile et « incommode avec des chemins forts serrés ». Mais surtout, selon moi, il faut franchir le Tarn face à trois unités ennemies, celles côté SAINT-GEORGES et avec le risque d’être attaqué sur ses arrières par l’unité de Calès.
  • l’avenue n°2 : à partir de SAINT-GEORGES, il faut monter directement sur le Larzac et redescendre entre la ferme de BRUNAS et le « Cap de Coste » sur les quartiers de l’ennemi à l’Ouest de CREISSELS.
    Cet itinéraire présente aussi des inconvénients. Il est très difficile parce qu’il faut monter sur le Larzac et en redescendre par « un chemin qui est si étroit qu’on ne peut passer qu’à la file ». L’armée devra emprunter un sentier et arrivée à hauteur des quartiers ennemis, elle devra combattre sans avoir pu se mettre en ordre de bataille.
  • enfin l’avenue n°3  : c’est l’itinéraire de la route de SAINT-GEORGES. Selon le Baron de CHABANS, il présente plusieurs avantages. Tout d’abord, il est si facile que les ennemis ne penseront pas que Condé osera passer par là. D’où l’effet de surprise. Mais surtout, le terrain permet de manoeuvrer, c’est à dire, d’intervenir par différents mouvements des unités. Ainsi, le Baron propose au Prince de Condé, de dépasser « Intermarché » et d’atteindre la plaine du Buech, où il devra diviser l’armée en deux. Une partie aux ordres du Prince passera par les Cascades en laissant le quartier fortifié (« Genevrières ») à sa gauche pour aller attaquer les deux unités côté MILLAU, tandis que le Duc de Montmorency passera par « Peyrelongue » en laissant à sa droite le quartier fortifié pour aller attaquer les deux unités à l’Ouest de CREISSELS. La bataille gagnée, le quartier fortifié de « Genevrières » se trouvera isolé et sera obligé de se rendre. Cet avis ayant été débattu, combattu ou soutenu lors de la réunion du Conseil, le Prince de Condé décide d’aller lui-même avec le Duc de Montmorency reconnaître les lieux. C’est ce qu’on appelle : avoir confiance en ses subordonnés.

Cette reconnaissance est prévue pour le lendemain dès potron-minet et même avant, puisque le départ est fixé à 4 heures.

Le lundi 11 Septembre, dès potron-jaquet (petit Jacques nom de l’écureuil), le Prince de Condé avec quatre compagnies de cavalerie se dirige vers CREISSELS. Contrairement à son habitude pour ne pas perdre de temps, il fait venir son armée aux abords de la ferme de SEGONAC, prête et en mesure soit de monter sur le Larzac, soit de continuer tout droit vers CREISSELS.
Pour avoir une bonne vision des lieux et être en sécurité, je pense que le Prince de Condé s’est rendu sur le Plateau de France d’où il pouvait apercevoir Calès, CREISSELS, « Genevrières », c’est-à-dire tout le théâtre d’opérations.

Le Prince de Condé voit et il croit que le Baron de CHABANS a raison. Il approuve son plan. Il donne l’ordre à ses officiers de faire avancer l’armée « droit à l’ennemi » en mettant en avant les enfants perdus de ses bataillons [5].

Le Duc de Rohan est prévenu de la présence de l’armée du Prince de Condé dans la côte de SAINT-GEORGES. Estimant qu’il n’est pas en position de force aussi bien stratégique que numérique, le Duc de Rohan ordonne à ses troupes de se replier sous les murs de MILLAU, mettant ainsi le Tarn entre lui et l’armée catholique.

A midi, le Prince de Condé arrive à CREISSELS sans combattre. Après avoir fait sécuriser le périmètre du village, il se présente avec sa garde personnelle devant le « pourtal de la Plassa ». Le gouverneur de la Croix, Sieur d’ ARRE, son frère Jean de Crozat, Sieur de VERTABLES, le Sieur d’ ARRES, le Chevalier SAINT-JEAN blessé, je cite « d’un coup de canon au gras de la jambe et quelques habitants sortent l’accueillir et le saluer. Le Prince de Condé s’adresse à d’ ARRE, je cite : « Qui est là ? Eh ! Monseigneur, vous ne me reconnaissez pas ! Je suis d’ ARRE ! » (parce qu’il était défiguré à cause de la grande fatigue). Monsieur d’ ARRE lui présente les six habitants qui l’accompagnent : « Vous voyez, Monseigneur, de braves habitants, bons soldats, car je vous assure qu’ils ont bien joué dans la pièce. Condé donne un louis d’or à chaque habitant. Ensuite, il fait le tour de CREISSELS par l’extérieur jusqu’à la brèche et s’étonne comment un si petit nombre de gens avait résisté si longtemps à un grand nombre d’ennemis si terribles. »

Sur place, le Prince de Condé prend les mesures suivantes :

  • il fait raser les travaux entrepris par les protestants à « la Mendèze » et à « Genevrières » ;
  • à la demande de Monsieur d’ ARRES, il renforce la garnison de CREISSELS par 200 hommes qu’il prélève sur le régiment du Comte de NOAILLES et il fait réapprovisionner en vivres et en munitions les greniers et les soutes.

Le siège de CREISSELS étant levé, il se pose maintenant une question importante. Que va-t-il se passer alors que les deux armées ennemies sont face à face ? Pas grand-chose.

Rohan est devant MILLAU. Il a son appui, ses portes lui sont ouvertes, donc il peut se désengager en sécurité s’il ne peut pas résister aux attaques de Condé. Mais Condé ne va pas bouger. C’est lui qui va attendre que Rohan dévoile ses intentions.

Après avoir satisfait aux besoins de Monsieur d’ ARRES, le Prince de Condé retourne avec son armée à SAINT-GEORGES pour étudier la situation avec son conseil. Déposer dans le portfolio Il est décidé que tant que le Duc de Rohan serait à MILLAU, l’armée du Duc de Montmorency sera cantonnée à LA CAVALERIE et l’armée du Prince à SAINT - BEAUZELY. Ils s’informeront mutuellement des mouvements de l’armée de Rohan. Telle est la mission également de Monsieur Du BOURG, maréchal de camp, qui se tient au milieu pour, je cite, « sur le bruit de la venue du Duc de Rohan, pouvoir joindre en diligence l’un ou l’autre ». Mais Rohan est pressé. Avec sa cavalerie, il tente de gagner CASTRES dans la nuit du 12 Septembre. Bien renseigné, le Prince de Condé réagit pour une fois avec rapidité et l’arrête entre CAMARES et LACAUNE. Le Duc de Rohan retourne à MILLAU qu’il quitte le 13 Septembre pour aller faire le dégât dans le Bas Languedoc.

Peut-être vous vous posez la question, mais pourquoi le Prince de Condé n’a-t-il pas fait le siège de MILLAU ? Je pense que son échec devant SAINT-AFFRIQUE au début du mois de Juin l’a rendu très prudent. En effet, il a dû lever le siège de SAINT-AFFRIQUE alors qu’il disposait d’une armée de 6 000 fantassins et 800 cavaliers, et que de Rohan était, rappelez vous, occupé à faire le siège de MEYRUEIS. De plus, Condé n’avait pas son artillerie et faire le siège d’une ville fortifiée sans l’appui de canons est totalement illusoire, surtout qu’il est difficile d’affamer un MILLAVOIS !

Le siège de CREISSELS est terminé.
Le Duc de Rohan a échoué.
Mais, quelles sont les conséquences de ce siège ?


[1Lettre de Rohan aux Consuls de MILLAU le 28 Août 1628 : « Messieurs, je viens vers vous avec toutes mes forces résolu de faire tout ce que vous voudrez pourvu qu’il ne nous manque rien surtout pain en abondance, pionniers, pics et pelles, que vos munitions de guerre soient aussi prêtes. Je ne vous dis point le jour que j’arriverai ni par où, mais je ne tarderai guère après ce billet. »

[2Au XVII° siècle, les soldats enrôlés dans les régiments ne portaient pas d’uniforme. Les uniformes ne se généralisent qu’à la fin du règne de Louis XIV. Sous Louis XIII, seules les unités de la Maison du Roi comme les mousquetaires, les chevau-légers, les gardes suisses ou bien les personnels de grands seigneurs ou de personnages importants et très riches comme RICHELIEU ; Dans le film des Trois Mousquetaires on peut voir les casaques rouges galonnées et ornées de la croix blanche des gardes du Cardinal opposées aux casaques bleues ornées de quatre croix fleurdelisées des mousquetaires du Roi.

[3Un de ses descendants est le célèbre chevalier d’ASSAS tué dans la nuit du 15 au 16 Octobre 1760 en criant : « A moi, Auvergne !... ». Le château d’ASSAS se trouve sur le Causse de BLANDAS prés du Cirque de NAVACELLE.

[4Aux XVI° et XVII° siècle, les pièces d’artillerie sont souvent désignées par des noms empruntés à la fauconnerie : fauconneau (jeune faucon), émouchet (crécerelle), émerillon (petit faucon) et même faucon.

[5On appelait au XV ° siècle les « enfants perdus », de jeunes soldats prêts à la mort. Ils montaient à l’assaut, je cite « sans barguigner » c’est- à- dire sans hésiter. Plus tard, soit ils ont été employés comme éclaireurs, soit ils ont constitué des unités qui recevaient les missions les plus dangereuses (c’étaient les commandos du XVII ° siècle)


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